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Frédéric Pousin :
Merci pour ces deux présentations passionnantes. Celle d’Elena Cogato Lanza nous plonge dans la compréhension des études de planification et des enjeux de visibilité au moment de la production, qui sont d’une grande complexité . Enjeux historiques également.
Ursula Wieser nous place, quant à elle, plutôt du côté de la réception des images. Là encore nous sommes dans une situation complexe, dans la mesure où ces images dépendent de modèles culturels, parfois difficiles à saisir. Elles dépendent aussi de la matérialité de la représentation, comme on a pu le voir avec la carte postale. Celle-ci est un produit de l’industrie, destinée à être vendue, et ce type de représentation renvoie aux enjeux économiques. Il y a aussi des enjeux de temporalités.
Corinne Jaquand :
Je voudrais réagir à l’intervention d’Elena Cogato Lanza, et notamment sur cette notion de « mémoire institutionnelle des plans », plans qui n’ont pas forcément été réalisés, ou alors parfois de façon fragmentaire, mais qui continuent de marquer l’imaginaire. Cette approche me semble très intéressante et permet d’entamer un débat que nous aurons peut-être tout à l’heure à propos de deux façons de faire l’histoire : soit par les plans, soit par les politiques locales ou municipales. Vous avez aussi évoqué la question des temporalités. Pour l’histoire longue des systèmes de parcs j’utilise le terme d’ « urbanisme chronotopique », qui permet de s’ancrer véritablement dans la question des déplacements, des mobilités, et cela de façon concrète grâce à la vie des gens. Combien de temps pour aller à l’école, au parc, etc ? Il me semble que l’aire culturelle (dont je ne sais pas si elle englobe la Suisse) avait une longueur d’avance sur la pensée des systèmes de parcs en France puisqu’elle a tout de suite relié la question des transports en commun avec les grandes réserves naturelles en ville. J’ai travaillé sur le plan Prost de 1934, dans le cadre de mon HDR, et j’ai observé que les pensées étaient là mais que cela n’a pas marché sur le terrain. Pourquoi a-t-il fallu ce rattrapage des années 60 dans la planification, les aires de loisirs, etc ? Pourquoi ce décalage dans le cas français ? Il y avait la question des transports, mais aussi la question foncière qui était absolument évidente. Qu’en est-il à Genève de cette question foncière vis-à-vis de la Métropole ? Y a t-il eu une agence foncière qui a permis de réserver des espaces naturels ? À Paris, certains acteurs, dont Henri Sellier, ont poussé à cela. Mais il y a eu un blocage institutionnel, si bien que de nombreux territoires franciliens ont été fragmentés, et il a été difficile d’en récupérer des morceaux pour créer des continuités naturelles et écologiques. Et il me semble que c’est toujours un problème chez nous.
Benoit Yacine :
Je suis chercheur associé à l’IPRAUS et ma question porte sur l’héritage du travail de Paola Vigano et Bernardo Secchi réalisé lors de la Consultation Internationale du Grand Paris. Ce travail a, semble-t-il, été inspirant pour celui réalisé à Genève, avec notamment cette approche spécifique de la question de l’eau. Cet héritage est-il réel ? Et peut-on esquisser une vision européenne de cette gestion de l’eau, par bassin versant, comme Studio 9 le proposait à l’époque ?
Nathalie Roseau :
Ma question concerne les trois interventions et porte sur l’élément « socio » dans le terme socio-écologique. On s’interroge tous sur la raison de la réussite du dispositif de parksystem dans un certain nombre de grandes villes américaines (même si tous n’ont pas fonctionné), contrairement à ce qui se passe dans nos villes d’Europe. Plusieurs hypothèses coexistent, notamment l’obstacle de la gouvernance dans la mise en œuvre de ces projets. La question des continuités écologiques signifie qu’une attention doit être portée à certains espaces et parcs publics, tout en enrayant d’éventuels phénomènes de gentrification. On sait qu’il existe de nombreuses inégalités sur les territoires du point de vue des pollutions, des nuisances, du rapport aux aménités publiques. Pourtant, le travail d’HDR de Sonia Keravel sur les parcs publics des départements de la proche couronne, les parcs André Malraux ou Georges Valbon par exemple, donc dans des territoires plutôt socialement déshérités, a montré qu’une politique des continuités était possible là aussi. Comment le terme de « socio », ou d’inclusion sociale comme Elena Cogato-Lanza l’a élaboré, peut-il, par-delà les obstacles, être intégré dans une planification qui travaille sur un temps long ?
Elena Cogato Lanza :
Lorsque j’ai évoqué l’idée de projeter la temporalité du territoire, je pensais à l’idée de rendre visible le fait que les territoires sont tous anachroniques, au sens où il existe des restes de logiques relatives à des temporalités différentes, mais qui continuent d’être là, et cohabitent avec d’autres logiques. Des résidus de village avec une agriculture industrialisée par exemple. Mais je n’inclus pas ce travail dans une dimension chronotopique qui mériterait une étude plus approfondie.
Par ailleurs, à propos de l’absence de réalisation de ce projet dans les années 30 : ce projet des années 30 était extrêmement visionnaire, né d’une grande réflexion menée autour de la nécessité de réforme de la propriété foncière. Ce n’est pas un hasard si à Genève l’on convie alors à la Commission d’Urbanisme le grand théoricien Hans Bernoulli, auteur de « La Ville et son sol » et théoricien du bail emphytéotique et de la propriété publique du sol. Ce qu’il a été possible de faire à Genève l’a été sur des surfaces urbaines acquises puis données en bail emphytéotique, portions importantes données aux organisations internationales et aux zones industrielles. Celles-ci sont gérées par diverses fédérations, mais cela n’a pas touché les thèmes que j’ai évoqués dans mon intervention. Mais la question foncière est bien sûr importante, et nous l’avons soulevée dans notre étude. Mais dans cette étude nous n’avons pas prêté attention au statut foncier. Par contre, nous avons ouvert une discussion sur ce que l’on devait peut-être identifier comme une zone spéciale. De même, nous avons mis en avant le fait que c’est au niveau des communes que des décisions d’intérêt public peuvent être prises, et non pas à l’échelle de l’agglomération. Ces discussions et approfondissements de l’étude devraient être faits mais nous n’avons pas forcément les compétences à ces sujets.
À propos d’une éventuelle continuité entre les réflexions menées à Paris et à Genève, et les infrastructures socio-écologiques, en tant qu’observatrice externe je constate le souci, par le projet, d’instaurer de nouveaux droits. Que tous dans un territoire puissent bénéficier d’infrastructures, comme dans le Grand Paris ce maillage de tramways par exemple, et ainsi bénéficier aussi du caractère salutaire de ces infrastructures qui permettront, lors des canicules par exemple, de sortir de chez soi pour se sentir un peu mieux. Les services écosystémiques doivent être assurés comme un droit pour tous les habitants du territoire, et c’est, il me semble, le souci profond de ces études.
En ce qui concerne la dimension « socio », je ne veux pas trop théoriser à ce propos, mais j’ai tout de même pensé à celle-ci en écoutant notamment les interventions hier. On dit que les continuités sont en danger, que les surfaces en milieu ouvert sont en danger. Ce sont des milieux en condition de faiblesse, d’un point de vue économique, de la biodiversité, qui y est fragile, dans lesquels s’installent les faiblesses sociales, des activités associatives, hors cadre, des espaces d’une socialité qui n’est pas celle de la consommation. L’ensemble de ces faiblesses sert à nourrir l’idée de préserver ces continuités pour qu’il y ait cette inclusivité, dont l’inclusivité sociale qui est une forme de faiblesse, dans un contexte plus général du souci d’une santé transversale du vivant, biologique mais aussi sociale, au sens large du terme.
Sonia Keravel :
Je voudrais revenir sur des questions de représentation et de paysage. Vos diverses interventions montrent bien que le paysage est une réalité mouvante, et on comprend la difficulté rencontrée pour saisir par la représentation ce caractère mouvant, qu’il s’agisse de la photographie, du plan, de la coupe. Elena Cogato Lanza, finalement on a vu peu de photographies dans la présentation de votre étude, et il semblerait que ce soit plutôt la coupe qui permette le mieux de figurer ce caractère mouvant ainsi que les échanges écosystémiques. Avez-vous réellement peu utilisé la photographie ?
Elena Cogato Lanza :
Non, et nous avons aussi un répertoire photographique semblable à celui montré par Ursula Wieser-Benedetti. Par contre, nous n’avons pas changé nos habitudes de représentation, ou questionné notre manière d’utiliser notre matériel, de dessiner, de photographier. Ce n’était pas ce qu’il fallait travailler pour créer ces conditions d’interdisciplinarité. Par contre, dans notre méthodologie pour créer une infrastructure, nous avons établi une liste de fonctionnalités, des coupes multifonctionnelles, des matériaux, etc. Mais pour ce qui est du mode de représentation, il n’était pas nécessaire de changer nos pratiques habituelles.
Frédéric Pousin :
Je voudrais revenir sur la question des infrastructures socio-écologiques, et sur l’association entre « infrastructure » et « social » qui me semble assez paradoxale. Finalement, comment donner une représentation à ce paradoxe d’infrastructure sociale ? L’exposé d’Ursula Wieser-Benedetti nous a montré comment les usages se déposent dans la représentation, ou comment la représentation enregistre aussi des usages qui évoluent, qui transforment les espaces. Le regard sur ces espaces évolue aussi. Il me semble qu’il y a là quelque chose de l’ordre d’une sédimentation qui peut, justement, donner sens à cette idée d’infrastructure sociale, dès lors qu’on sort de la vision fonctionnelle des usages, comme par exemple les déplacements d’un point à un autre. Elena Cogato Lanza a évoqué le souci de sortir des représentations monovalentes et fonctionnalistes, le zonage, etc. Elle a aussi évoqué la nécessité d’associer mobilité et écologie, et de trouver comment représenter cette association. Là on a donc une vraie complexité, qui nécessite aussi d’avoir un regard sur les représentations, sur les images.
Ursula Wieser-Benedetti :
Mon exposé aujourd’hui était rapide, et j’aurais pu développer chacun des projets, notamment celui du parc zoologique, le plus dramatique en termes d’évolution des usages mais aussi des représentations. Ce parc zoologique est initialement un zoo privé, financé par des investisseurs, pour lequel se pose la question de sa mise en images, images séductrices pour stimuler les investissements. À Bruxelles, l’urbanisme est en grande partie lié à cette valorisation du territoire par le parc, et le droit des investisseurs d’obtenir des parcelles attenantes à ce parc qui permet de faire fructifier cet investissement par la suite. Mais ce parc zoologique a connu une fin très rapide puisqu’après vingt ans, pour des raisons de santé des animaux et de mode, il a été transformé en parc public où le caractère de « jardin paysager à l’anglaise » a été mis en avant. Finalement il est devenu ce parc directement situé en face des institutions européennes, qui accueille le Musée d’Histoire de l’Europe. Ce parc a donc changé de valeur, et, à l’origine périphérique, il est devenu un élément central quasi symbolique des institutions européennes. La télévision et d’autres médias le montrent avec les institutions européennes en fond d’image, avec ce musée de l’Histoire de l’Europe, bien loin de l’attraction touristique du 19e siècle et de la grande innovation que représentait alors le jardin zoologique. Donc on observe des changements d’affectation, de représentation et d’intention du regard.
Elena Cogato Lanza :
Le Grand Genève nous pose ces questions, après ces dernières années qui ont permis d’installer la grande infrastructure de la mobilité pour le bassin genevois, un grand projet de nouveau réseau de train financé par la Confédération. L’agglomération, vue comme un grand bassin, s’est réunie autour de ce grand projet qui s’est finalement réalisé. Il y a donc eu une première infrastructure, et maintenant une autre. Lors de nos discussions avec les acteurs institutionnels, on a essayé d’imaginer ce qu’elle est. Ils évoquaient certaines dispositions proches du concept de parc agricole, mais les véritables parcs agricoles sont organisés et réglementés de manières très spécifiques. Mais surtout, l’infrastructure a la qualité de pouvoir contenir des hétérogénéités de situations, d’atmosphères, d’esthétiques aussi. En même temps, on a mis en avant que ç’est une entité qui fournit des services.