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© Inventer le Grand Paris
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Représentations et paysages de la métropole

par Raphaële Bertho, Sonia Keravel, Frédéric Pousin et Nathalie Roseau

Résumé

Les représentations mobilisent les mots, les figures, les discours, les images, les iconographies. Elles forment un champ très ouvert qui s’enrichit sur la durée et constitue un corpus et un patrimoine visuel et textuel, documentaire et projectuel. Cette question des représentations est particulièrement fructueuse à explorer pour comprendre, sur la longue durée, la construction des paysages du Grand Paris et des métropoles internationales, un pas apparemment de côté, mais qui en fait ouvre un renouvellement des réflexions sur la planification et ses échelles.
À partir d’une approche historienne des représentations et des paysages, il est possible de comprendre la façon dont se projettent les métropoles, de révéler les glissements qui s’effectuent entre représentations et projets, de faire apparaître l’importance des images et des discours dans l’histoire de l’aménagement. La session se propose, dans ces directions entrelacées, d’ouvrir un chantier de recherche, au croisement de l’histoire des représentations, de l’histoire du paysage, de l’histoire de l’aménagement.

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https://www.inventerlegrandparis.fr/link/?id=3429

DOI

10.25580/IGP.2024.0011

Raphaële Bertho est historienne de la photographie, commissaire d’exposition et maîtresse de conférences en Arts à l’Université de Tours. Au sein du laboratoire InTRu (EA 6301), elle travaille sur les enjeux esthétiques et politiques de la représentation du paysage, de l’architecture et du territoire contemporain, notamment dans le cadre des commandes publiques de photographie ou dans les fonds iconographiques institutionnels, en France et en Europe. Elle a été commissaire avec Héloïse Conesa de l’exposition Paysages français, Une aventure photographique 1984-2017 (BnF, 2017-2018).

Raphaële Bertho is a photography historian, curator and lecturer in the Arts at the University of Tours. As a member of the InTRu laboratory (EA 6301), she works on the aesthetic and political issues surrounding the representation of contemporary landscape, architecture and territory, particularly in the context of public photography commissions and institutional iconographic collections, in France and Europe.

 

Sonia Keravel est paysagiste DPLG, docteure de l’EHESS et maîtresse de conférences en théorie et pratique du projet de paysage à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles-Marseille. Au sein du Laboratoire de Recherche en Projet de paysage (LAREP), ses domaines de recherche sont la critique de projet et l’histoire du paysagisme, la spécificité de l’approche paysagère des espaces métropolitains et le rôle des représentations visuelles, notamment de la photographie, dans la pratique paysagiste.

Sonia Keravel is a landscape architect and a senior lecturer at the Versailles Landscape Architecture school. As a member of the LAREP laboratory, her research focuses on the project criticism and the history of landscape architecture, the specificity of the landscape approach to metropolitan areas and the role of visual representations, particularly photography, in landscape architecture practice.

 

Frédéric Pousin est architecte, directeur de recherche au CNRS au sein de l’UMR 3329 Architecture, Urbanisme, Société (AUSser). Docteur de l’EHESS et habilité à diriger des recherches, ses travaux portent sur les savoirs et les représentations qui fondent le domaine de l’architecture, de la ville et du paysage, leurs évolutions et transformations. Il a mené plusieurs recherches sur le paysage urbain et le rôle du visuel dans la construction des savoirs. Il a enseigné dans plusieurs écoles d’architecture en France, à l’Université Paris 1, et plus récemment à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles. Depuis 2017, il co-anime avec Nathalie Roseau le programme « Inventer le Grand Paris » du LabEx Futurs Urbains.

Frédéric Pousin, is an Architect and distinguished research director emeritus at the National Centre for Scientific Research (UMR AUSser 3329, Paris). He has been working extensively on urban landscape and the epistemological value of visuality in landscape planning and urbanism. He headed the ANR program Photo Paysage (2014-2018). Since 2017, he co-leads the research program Inventer le Grand Paris. Histoire croisée des métropoles. Among his recent publications : Photoscapes. The Nexus between Photography and Landscape Design (Birkhauser 2019), with Denis Delbaere, The Palimpsest Plan: A critical investigation of the French Métropole jardin, (Journal of Landscape Architecture, 2022), with Nathalie Roseau, Behind the metropolis: understanding Grand Paris through the history of its regional plans (Planning Perspectives, 2023).

 

Nathalie Roseau est professeure d’urbanisme à l’École des Ponts et directrice de recherche au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (UMR CNRS). Ses travaux, qui privilégient une perspective historienne, portent sur les dynamiques de transformation métropolitaine et la place des infrastructures, leurs temporalités et leurs représentations. Elle a codirigé plusieurs programmes de recherche sur l’histoire de la culture aérienne, la gouvernance des grandes métropoles et, depuis 2017, coanime avec Frédéric Pousin le programme « Inventer le Grand Paris » du LabEx Futurs Urbains.

Nathalie Roseau is a professor of urbanism at École des Ponts ParisTech and a tenured researcher at Laboratory Technics, Territories, Societies (CNRS). She has been trained as an architect-engineer and received her PhD in urbanism from the University Paris-Est. Her researches, which favor a historical perspective, focus on the dynamics of metropolitan transformation and the place of infrastructures, their temporalities and their representations. She has co-directed several research programs on the history of the aerial culture, the governance of metropolises, and currently the program ‘Inventing Grand Paris’. Book publications include Aerocity, Quand l’avion fait la ville, 2012 ; Le futur des métropoles, Temps et infrastructure, 2022 and, forthcoming, Condition mobile, Ressorts de l’imaginaire, 2024 (with Anne Jarrigeon) ; Photographier le Grand Paris, Une histoire visuelle du changement métropolitain, 2024 (co-ed with Raphaële Bertho, Sonia Keravel, Frédéric Pousin).

 


Français

Les représentations mobilisent les mots, les figures, les discours, les images, les iconographies. Elles forment un champ très ouvert qui s’enrichit sur la durée et constitue un corpus et un patrimoine visuel et textuel, documentaire et projectuel. Cette question des représentations est particulièrement fructueuse à explorer pour comprendre, sur la longue durée, la construction des paysages du Grand Paris et des métropoles internationales, un pas apparemment de côté, mais qui en fait ouvre un renouvellement des réflexions sur la planification et ses échelles.
À partir d’une approche historienne des représentations et des paysages, il est possible de comprendre la façon dont se projettent les métropoles, de révéler les glissements qui s’effectuent entre représentations et projets, de faire apparaître l’importance des images et des discours dans l’histoire de l’aménagement. La session se propose, dans ces directions entrelacées, d’ouvrir un chantier de recherche, au croisement de l’histoire des représentations, de l’histoire du paysage, de l’histoire de l’aménagement.

English

Representations of the large city make use of words and narratives, images and iconography. Maps, models, plans, photography, novels, films – we regularly note their profusion, which is testimony to the difficulty of depicting the metropolitan dimension while adding to its complexity through the emergence of new representations that overlap with what they actually represent. There are many avenues to explore. For example, how certain issues are represented so they appear either self-evident or, on the contrary, problematic? What effects do emerging frameworks produce? How do they reshape pre-existing power relationships?

 

Visual and textual, documentary and project-based representations of the metropolis form a very broad field that offers a possible long-term analysis of the construction of urban landscapes – an apparent side-step, but one that in fact paves the way for renewed reflections on a more inclusive history of planning. More than the urban, landscape – which includes living elements, perceptions, open spaces and multiple levels – raises the issue of how to understand an unstable continuum that harnesses several systems of always fragmentary representations. Landscape develops over a number of different temporalities.  This focus on the different levels of both human and ecological time is apparent in the amplitude of the constantly renewed representations, which in turn affect our understanding of time.

Taking a historical approach to representations and landscapes, it is possible to understand the way in which metropolitan narratives are developed, to reveal the shifts that occur between representations and projects in order to highlight the importance of images and discourse in the history of urban planning. It is in these overlapping directions that this session proposes to open up a field of research at the juncture of the history of representations, the history of landscape and the history of planning.


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La question que nous voulons poser dans cette session est celle de la figurabilité des villes dont le devenir métropolitain n’a cessé de mettre en crise les représentations. Comment se représenter les multiplicités, les dynamiques, les échelles, les temporalités ? Cette question était au cœur de la consultation internationale du Grand Paris et de l’exposition qui a suivi en 2009 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. On se souvient aussi des représentations spectaculaires élaborées par les équipes emmenées par Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, ou Antoine Grumbach qui avaient essaimé largement dans la presse quotidienne, tandis que les perspectives analytiques de l’équipe italienne Studio 09 avec les transects et les échantillonnages, ou celles de l’équipe d’AUC avec la matrice, étaient passées plus inaperçues faute de vues sensationnelles[1].

Cette quête d’« imagibilité » des villes (pour reprendre ici Kevin Lynch[2]), à la fois de leur totalité et de leur réalité fragmentaire, est un processus historique dont les modalités de saisie discursive et visuelle ont été plurielles. La grande ville se raconte, elle se donne à voir, elle s’incarne dans des cartes, des maquettes, des plans, des photographies, des films, des romans. Nous avons été marqués par le travail de François Maspero et Anaïk Frantz qui ont arpenté les territoires du RER B pour ramener un récit qui fait aujourd’hui date dans la perception du Grand Paris[3]. Trente ans plus tard, en 2022, Luise Schröder participe à la commande des Regards du Grand Paris en proposant une série photographique et une installation, faisant des récits du Paris révolutionnaire la matière même de sa barricade littéraire[4]. [ Voir Fig. 1 ] [ Voir Fig. 2 ]

La séparation entre les représentations documentaires, décrivant un état présent, et les représentations projectuelles, anticipant un état à venir, n’est pas toujours si aisée. Car décrire, c’est déjà projeter, disait l’urbaniste Bernardo Secchi dans un dialogue avec l’historien André Corboz[5]. Et projeter permet d’ouvrir à d’autres rationalités. Cet entrelacement du projet et du constat, de l’imaginaire et du réel fait partie intégrante de la compréhension de la figure métropolitaine.

La question de la figurabilité ne dialogue pas seulement avec les champs de recherche que sont par exemple la culture visuelle et la pensée de l’imaginaire. Ce décentrement apparent du côté de l’étude des représentations constitue surtout le moyen d’élargir notre connaissance des études urbaines, en particulier de l’histoire de l’aménagement métropolitain et des rapports de force qui le travaillent. La manière dont on choisit de représenter la métropole est soutenue par des présupposés, par des partis-pris qui opèrent des effets de cadrages et orientent, en retour, la manière de penser les projets. Ainsi la carte des « régions isochrones » de l’agglomération parisienne, inventée par Louis Bonnier, alors directeur du Service du plan de Paris, figure des dimensions alors inédites de la grande ville, à l’image de cette carte de 1914 qui, à partir d’un polygone regroupant les gares parisiennes, établit trois isochrones, chacune englobant tous les points de l’agglomération pouvant être atteints respectivement en 20, 40 ou 60 minutes de transport ferroviaire[6]. [ Voir Fig. 3 ]

Un deuxième pas de côté auquel nous conduit cette perspective, touche à la question de la construction des paysages de la métropole dont le champ des représentations est très ouvert. Constitué d’éléments vivants, de perceptions, d’espaces ouverts, d’échelles multiples, le paysage pose avec acuité la question de la compréhension de l’évolution dans un continuum temporel. Cette complexité associe le temps historique, le temps du projet, le temps de l’action collective, le temps humain mais aussi écologique. Mentionnons à l’introduction le projet de recherche ‘Natura Urbana’ mené par le géographe Mathew Gandy et son équipe européenne sur les Brachen de Berlin. Il y interroge la question des friches, des délaissés, des marges, de ces espaces indécis toujours évolutifs, en différenciation ou en négociation, qui permet de penser la ville de manière alternative, en scrutant son extériorité et ce faisant, en repensant sa centralité[7].

Les cinq communications de notre session portent sur des modalités de représentation très diverses qui s’intéressent à des questions métropolitaines tout aussi diverses. A travers la photographie, la première communication qui s’inscrit dans le cadre de la publication prochaine d’un ouvrage collectif, Photographier le Grand Paris, s’attache aux sols des objets urbains. Ursula Wieser Benedetti, historienne du paysage et curatrice au CIVA de Bruxelles nous propose une plongée dans les archives du paysage bruxellois en revenant sur la stratification des représentations sur le temps long. Elena Cogato Lanza, professeure de théorie de l’urbanisme à l’EPFL, aborde, à propos du Grand Genève, les défis de représentation que soulève une perspective urbaine fondée sur la porosité des espaces ouverts. Ari Blatt, professeur de littérature française à la Virginia University, s’attache à la littérature et la photographie à partir des œuvres de Jean Rolin et Camille Fallet, en nous partageant sa lecture des paysages « non officiels » des périphéries du Grand Paris. Martine Drozdz, géographe et chercheur au CNRS-LATTS, resitue une enquête menée au sein d’un salon immobilier international pris comme le cadre d’une mise en récit de la métropole.

Nos invités, qui s’intéressent tous à l’espace, proposent des regards contrastés issus de leurs disciplines de recherche (géographie, littérature, histoire) mais aussi des pratiques depuis lesquelles ils l’analysent :  architecture, paysagisme, photographie, urbanisme, écriture. Ces double-regards entrelacent plusieurs fils qui tissent des questions transversales pour notre session. Deux en particulier. D’abord, quels récits transparaissent à travers les représentations ? De ces narrations et temporalités, des hors-champs et des contre-regards, qu’est ce qui apparaît ? Et a contrario, qu’est ce qui n’est pas vu ? Ensuite, que disent les conditions de production et de circulation de ces visions, de leur matérialité, de leurs intentions et de leurs finalités ?

 

Figures et illustrations

Figure 1 :

Luise Schröder, La Barricade – Existing as a Promise, 2022, Image de recherche © Luise Schröder and VG Bild-Kunst Bonn & Adagp Paris 2024

 

Figure 2 :

Luise Schröder, La Barricade – Existing as a promise, 2022 © Luise Schröder and VG Bild-Kunst Bonn & Adagp Paris 2024

L’artiste explore le mythe pictural et imagé des barricades à Paris, au fil des siècles. A travers les époques et les territoires, une continuité historique apparaît. Un mur est construit avec des livres racontant les révoltes au fil de l’Histoire, comme autant de briques, pour actualiser une forme de sculpture sociale.

 

Figure 3 :

Paris et ses environs : Carte des régions isochrones / établie par le Service du Plan de Paris sous la Direction de Mr. Louis Bonnier, Inspecteur général des Services techniques d’architecture et d’esthétique de la Préfecture de la Seine, 1914. Echelle 1: 250 000, 50*75 cm. Ville de Paris/ Bibliothèque de l’Hôtel de ville de Paris.

A partir d’un polygone regroupant les gares parisiennes, cette carte établit trois isochrones, chacune englobant tous les points de l’agglomération pouvant être atteints respectivement en 20, 40 ou 60 minutes de transport