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DOI

10.25580/IGP.2023.0028

Frédéric Pousin :

En regardant les corpus photographiques que vous avez mentionnés, finalement apparaît quelque chose qui était peu apparu jusqu’ici, c’est la dimension paysagère de l’infrastructure, et quelque part cela montre que photographie et paysage ont vraiment partie liée, et que c’est par la photographie aussi que s’énonce, que se montre le paysage. Les photographies que vous nous avez montrées sont assez différentes de celles qui ont pu être montrées à travers les différents supports médiatiques qu’on a vu avant, ou à travers même les photographies tirées des maîtrises d’ouvrage, ou encore celles montrées par Justinien.

 

Justinien Tribillon :

Elles sont essentiellement issues des Archives de Paris, un fonds important avec quelques doubles dans les collections du Pavillon de l’Arsenal.

 

Cyrille Simonnet :

On a vu beaucoup de documents, plans, photographies, et on reste dans l’histoire et l’actualité. Mais on sait que dans les agences d’architecture et d’urbanisme on travaille à une sorte de vision du futur, et dans nos présentations on n’a pas vu beaucoup de ces images-là…

Sinon, j’ai trouvé très intéressant votre travail sur la photographie. J’ai en mémoire un texte de Jackson qui parle des trois natures, le dehors absolu, la nature vernaculaire et peut-être politique, travaillée par des siècles voire des millénaires d’activités humaines, et puis la troisième qui est le jardin. Avec le jardin on est dans un dispositif imaginaire qui est plus complexe. Il me semble que Jackson essaie de faire le court-circuit entre cette nature travaillée par des millénaires, par l’homme, et puis ce supposé dehors absolu, la nature de la création en quelque sorte, le jardin, et cherche à les faire dialoguer. J’évoque ça par rapport aux plans éventuels, aux dessins et projets éventuels sur le futur du périphérique qui pourraient s’associer à cette idée de créer des sortes de jardins.

 

Marion Emery :

Les visions du futur que j’ai étudiées sont spécifiques aux années 60 et ne portent pas sur des projets contemporains.

 

Blanche Thirot :

Au cours des dix dernières années, on retrouve plusieurs explorations du renouveau du boulevard périphérique, notamment sur la thématique du « boulevard urbain ». Avec l’exposition du Pavillon de l’Arsenal « Les routes du futur du Grand Paris » c’est la vision prospective de 4 équipes pluridisciplinaires pour le devenir des routes, autoroutes et voies rapides structurantes qui est diffusée. On y voit se développer des voies réservées pour des circulations douces, des voies vertes intégrées à l’espace routier, des flux ralentis avec la présence des vélos et également des passerelles installant les flux piétons par-dessus les voies. La couverture est dans ce contexte à son tour étudiée mais comme un espace foncier. On retrouve l’exemple du projet « 1000 arbres » à la Porte de Montreuil, qui sera par la suite abandonné. Dans cette même dynamique, on retrouve des projets de passerelles piétonnes qui créée un lien physique au-dessus des voies, entre deux rives, et qui vont redessiner un paysage mais de façon subtile, avec une ligne, et qui posent un peu la question de ce qu’on est capable de mettre en place pour faire évoluer la rocade. Pour leur part, les projets de bâtiments-ponts ont du mal à voir le jour, certains sont des projets en renoncement, qui ont été dernièrement désavoués par la loi. A l’exception du projet de complexe sportif de l’agence Hardel et le Bihan qui est en train d’être construit à la porte de Vanves. La différence entre la fiction et la réalité est parfois un peu plus complexe en mise en œuvre. On pense aux projets de couverture du boulevard par des toitures de panneaux solaires… Des projets d’images émergent parfois dans les médias sans suites concrètes.

 

Loïc Vadelorge :

Ma première question porte sur les trois premières communications. J’étais un peu surpris de voir la différence faite entre la pollution sonore et la pollution de l’air dans les archives, telles que vous les avez présentées. Pas surpris de voir l’importance du bruit, ça parait assez évident dans ce cadre. Mais en revanche, sur la pollution de l’air, c’est quand même déjà une thématique importante dans les années 50, avec le Great Smoke de Londres, et puis aussi avec la loi sur l’air qui date de 1960. Et puis Paris est vraiment à la pointe avec le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris. C’est assez étonnant de ne pas le voir évoqué ici. Est-ce que c’est un effet de source ? Ou est-ce que finalement vous le voyez vraiment apparaître beaucoup plus tard ?

Ma deuxième question est pour la dernière communication. Vous n’utilisez pas, dans le corpus, les photographies aériennes de l’IGN qui sont aussi finalement des photographies commandées et qui présentent ces territoires un peu autrement. L’intérêt ici c’est de voir qui y habite à l’époque, justement là où il y a ces problèmes de foncier dont parlait André Lortie ce matin. Est-ce que c’est un choix délibéré d’avoir écarté ce type de corpus ?

 

Justinien Tribillon :

Dans mes recherches, la question de l’air n’apparait pratiquement jamais. C’est vraiment la thématique du bruit qui est omniprésente.

 

Marion Emery :

Dans les contestations contre l’Axe Nord-Sud, on rencontre la question de l’air tout autant que les pollutions sonores. Pour défendre le canal Saint-Martin, les mobilisations défendent un droit à l’eau, à l’air et aux espaces verts. Cela est très clairement énoncé.

 

Blanche Thirot :

À propos de la pollution atmosphérique et des projets de couverture, on observe entre 2004-2006, après la construction des couvertures des études scientifiques spécifiques portant sur la pollution de l’air à la sortie des tunnels. Une des études relate que l’on s’est rendu compte a posteriori, et ça n’avait pas été anticipé, que la pollution à la sortie des tunnels était beaucoup plus forte que ce qui avait été imaginé. La concentration d’air vicié dans les tunnels n’est pas entièrement absorbée par des éléments techniques de ventilation et les rejets en entrée et sortie montrent un haut niveau de pollution pour les bâtiments à proximité.

 

Raphaële Bertho :

L’IGN étant une couverture systématique du territoire, avec des vues orthonormées qui sont là pour produire des cartes, cela ne correspond pas à l’émergence d’un point de vue iconographique sur un objet. S’agissant de la ceinture, les photographies d’Henrard qui, elles, sont vraiment une production spécifique sur ce territoire-là, sont donc plus pertinentes pour marquer la manière dont on regarde ce territoire à un moment donné. Mais ça peut encore se discuter.

 

Nathalie Roseau :

La photographie aérienne existe effectivement depuis les années 20, avec plusieurs campagnes mais qui ne regardent pas forcément spécifiquement ce qui se passe sur ce territoire. Il y a là l’idée de relevés, inscrits dans le cadre de démarches de planification. Notre approche vise à considérer les photographies qui ont regardé vraiment ce qui se passait là, qui s’intéressaient vraiment au territoire. Et ce qui nous intéresse n’est pas tant ce qu’on peut voir dans une image, mais quand on décide de regarder par l’image un objet.

Les photographies aériennes en vue oblique apparaissent au moment de la construction du périphérique parce que, pour voir un immense chantier, il fallait d’autres techniques visuelles d’où le montage panoramique. Il faut prendre du recul et donc avoir effectivement d’autres modes de représentation que ceux habituels de la photographie. Ce basculement d’échelle est assez évident et donne un autre type de cadrage photographique et de point de vue.

 

Bernard Landau :

Votre travail m’a évoqué quelque chose qui m’avait frappé en ayant visité à peu près toutes les mairies de la République des villes voisines, c’est-à-dire les bâtiments qui sont construits à partir des lois sur l’autonomie communale, et qui ont quasiment toutes des représentations, souvent de tableaux, des communes limitrophes sur Paris. Toutes ces représentations montrent le territoire dont vous parlez, cette zone du futur boulevard périphérique, à Bagnolet, Vitry, Bagneux, etc. Elles montrent, de là où elles sont, le territoire vers Paris. Je pense que cela date des années 1890. Ce ne sont pas des photos mais des tableaux donc des points de vue choisis aussi.

 

Raphaële Bertho :

On a déjà traversé une grande masse de documents, pour rassembler ceux qui nous concernaient, puis les analyser. Avec plus de temps on s’étendrait à des questions de peinture, mais je ne suis pas historienne de la peinture mais bien de la photographie. C’est là où l’adjonction d’expertises est nécessaire.

 

Nathalie Roseau :

La question des points de vue est très importante. Ce que montre Raphaële Bertho sur les cartes postales, par exemple de la porte de Flandre, c’est qu’elles montrent toujours le même point de vue, depuis Paris vers l’extérieur, alors qu’il ne s’agit pas que d’une sortie mais évidemment d’une entrée. On n’a pas trouvé dans les archives de Seine-Saint-Denis des vues iconiques de carte postale qui inversent ce point de vue. Donc on regarde la ceinture depuis Paris. Mais effectivement c’est extrêmement important de regarder depuis le territoire opposé, et je suis sûre qu’un tel corpus enrichirait la compréhension de la situation et de la question.

 

Matthieu Flonneau :

Une remarque sur l’exposé très riche de Marion Emery qui revisite des associations qui existaient, sur l’ADRANS, l’Association pour la mise en valeur et la défense du site de Notre-Dame. Et notamment ce moment de l’exposition qui est un moment de communication, probablement à la fin maladroit, de la direction générale de l’aménagement et de l’urbanisme parisien, avec l’exposition et ces maquettes dont la conservation d’ailleurs est maintenant problématique à la ville de Paris et dans les archives puisque pendant 20 ans elles étaient quasiment en vrac avenue d’Ivry. J’attire votre attention sur la pluralité qui va s’exprimer au sein de l’administration parisienne, et là l’analyse doit être très fine, quasiment quinzaine par quinzaine. Après les événements de 68, après l’irruption du mouvement associatif dans le fait urbain – cela a été d’ailleurs très bien étudié déjà – il y a une pluralité dans l’administration parisienne, avec l’atelier parisien d’urbanisme qui va prendre son autonomie, autour de Pierre-Yves Ligen, qui ne va plus du tout s’aligner sur les positions de la mairie. Il va y avoir une divergence, des dissidences parfois encouragées, et des notes confidentielles de Pierre-Yves Ligen vont être rédigées pour proposer une version B, une version C. Et certaines versions sont très intéressantes. J’attire votre attention aussi sur le fait que si le tronçon central avait été réalisé en caissons, etc, avec un coût faramineux bien évidemment, le parvis devant l’Institut aurait été piéton, ce qu’il n’est toujours pas aujourd’hui malgré beaucoup d’efforts. Dans les archives, c’est extraordinaire lorsque vous tombez sur le livre d’or de la voie express Rive Gauche de l’exposition ! Déjà vous ouvrez la couverture reliée, puis vous tombez sur un nom écrit de façon immense qui couvre toute la première page. Puis vous feuilletez presque un herbier parce que des gens sont arrivés avec des feuilles du saule pleureur qui aurait dû être abattu et les ont collées dans le livre d’or de l’exposition. Ce livre d’or a été sauvé, et je doute qu’aujourd’hui un tel livre d’or serait possible sur des opérations d’urbanisme comparables. Mais ça a été un grand moment de démocratie, de remise en question de la parole municipale, de la parole régalienne, de démocratie participative.

 

Laurent Coudroy de Lille :

À propos des cartes postales, sur les fortif’ essentiellement, et sur la route sur toute la période, c’est en même temps un lien avec des usage un peu intimes, privés, de familles. Ce ne sont pas les grandes campagnes officielles qui sont celles qu’on va retrouver dans les musées, dans les archives. Qu’est-ce que cela apprend, ces cartes postales ?

 

Raphaële Bertho :

La carte postale renvoie effectivement à un usage certes privé, mais pas vraiment intime. Au début du 20e siècle, on s’envoie une carte postale pour se donner rendez-vous dimanche, et il faut attendre le développement du tourisme plus tardivement pour que cela devienne un espace proprement dit intime. Et si c’est un usage privé, cela reste une production industrielle, qui a une logique très simple : il faut que ça se vende. Donc on va choisir des représentations qui sont supposées être intéressantes pour un large public. On constate donc cette actualisation et une production continue sur cette porte de Pantin entre 1903 et 1945, ce qui suppose un intérêt du public pour cette vue. Et probablement on peut l’avoir après. Les archives de Seine-Saint-Denis arrêtent en 1945 pour des raisons de droit. Après les archives ont des problématiques justement sur les droits industriels de ces images, donc elles n’ont pas pu les scanner et elles ne peuvent pas les distribuer aussi facilement. Mais on sait au moins que pendant la période de montée en puissance entre 1900 et 1952 les cartes postales montrent les portes de Paris, dont celle de Pantin, mais c’est la même chose pour la porte de la Villette aussi, et on n’a pas d’autres sujets dans ces cartes. Seulement les portes, dont on réitère le point de vue, avec cette élévation pour construire des plans, du volume et de la profondeur.

 

Laurent Coudroy de Lille :

On n’en a pas des canaux, des marchés aux bestiaux … ?

 

Raphaële Bertho :

On n ‘en a pas trouvé dans ces archives-là. Ce qui est intéressant c’est que les portes ne sont représentées que sur l’opérationnel et sur les commandes administratives, puis sur des cartes postales. Donc on passe d’une vue qui est vraiment issue du travail d’aménagement à une valeur emblématique de ce territoire.

 

Justinien Tribillon :

Pas de carte postale du périphérique, alors que du viaduc de Gênes il y en a plein… C’est à vérifier. Mais ce n’est pas une infrastructure iconique qui a généré beaucoup de représentations populaires ou artistiques.

 

Matthieu Flonneau :

Mais quand on a une carte postale du Parc des Princes, on a une carte postale du périphérique…

 

Clément Orillard :

Ma première remarque concerne le rôle de la presse dans toute cette histoire, la presse qui peut être mobilisée de l’extérieur, par les acteurs qui veulent construire l’opinion publique, etc. Mais lorsque Loïc Vadelorge avait travaillé sur la publicisation du schéma directeur d’aménagement de la région parisienne, et j’avais travaillé aussi un peu là-dessus, on avait remarqué qu’il y a une forme de professionnalisation de la presse sur ces sujets-là à l’époque. En 1958 le journal Le Monde recrute une personne qui devient spécialisée sur l’aménagement de la région parisienne, alors qu’auparavant on est sur un journalisme qui s’occupe des questions d’actualité économique. À partir de 1958 il y a vraiment la construction d’une forme d’expertise interne au journal Le Monde, et qui n’hésite pas d’ailleurs à contredire le discours officiel. À tel point que d’ailleurs ça énerve régulièrement Paul Delouvrier ! Donc il existe un différentiel probable entre certains journaux qui professionnalisent leurs articles comme Le Monde, et d’autres pris dans d’autres logiques d’actualités ponctuelles dont Paris Match.

Mon deuxième point concerne le référent étasunien, évidemment qui est assez présent ici, et vous avez évoqué les freeway revolts mais sans développer. Est-ce qu’il y a de la circulation d’expertises qui revient des États-Unis, ou juste une référence qui est mobilisée ?

 

Marion Emery :

Je n’ai pas eu le temps de l’évoquer mais une partie de mes recherches doctorales portent sur l’imaginaire infrastructurel étasunien en France, à la fois comme modèle et contre-modèle, au sujet des autoroutes urbaines. Dans les archives du Préfet de la Seine que j’ai dépouillées, se trouvent des courriers rédigés par des Américains qui se positionnent au sujet des autoroutes françaises et mettent en garde les associations de riverains, notamment celles qui se mobilisent contre le projet de l’Axe Nord-Sud. Une de ces lettres est traduite et publiée dans une revue française pour dénoncer les erreurs commises aux États-Unis dix ans plus tôt.

Les Parisiens regardent les États-Unis aussi bien comme modèle, quand il s’agit de construire des infrastructures, que comme contre-modèle, quand il s’agit de les contester : il y a une vraie circulation des informations. Dans ma recherche je mobilise les États-Unis uniquement quand les contestations et les mobilisations parisiennes s’en emparent comme sujet. J’ai reçu une bourse d’étude pour aller à San Francisco étudier les freeway revolts. Et même si le contexte est très différent, les contestations américaines sont finalement simultanées à celles qui se mobilisent en France.  C’est-à-dire que pendant qu’on conteste l’Axe Nord-Sud en France, les freeway revolts se mobilisent encore à San Francisco en 1965. Et les mêmes arguments sont utilisés pour remettre en cause un certain progrès.

 

André Lortie :

En ce qui concerne les transferts de connaissances, l’architecte Raymond Lopez était boursier aux États-Unis avant de revenir en France travailler sur le périphérique.

 

Emmanuel Bellanger :

Dans un dernier temps d’échange on parlera peut-être plus d’un périphérique décliné au présent, mais ce qui me frappe c’est qu’il y a une fonction de la ville qui a été peu mobilisée jusqu’ici qui est celle de l’approvisionnement. C’est pourtant essentiel depuis l’histoire de la fondation de nos cités, et je raccorde cette question de l’approvisionnement de la vie à l’impératif économique, qui a été relativement peu mobilisé dans le choix de cette infrastructure, et qui reste important puisque l’on sait que c’est une capitale qui a longtemps tenu à son rang international et impérial. Et peut-être que tout à l’heure on re-situera aussi cette question du périphérique dans ce moment important qui est celui de la place de Paris dans le concert des métropoles internationales.