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DOI

10.25580/IGP.2023.0020

Table ronde avec Mathieu Flonneau, Cyrille Simonnet, Paul Lesieur, et Nathan Belval.

 

Justinien Tribillon :

Ce matin, Paul Lesieur évoquait la progressive sous-traitance des technologies d’enrobage, d’application du macadam, et finalement de la construction des routes de Paris. Cyrille Simonnet a aussi parlé de la sous-traitance du monitoring du pont à haubans Masséna. On a aussi parlé du rapport de force entre les ingénieurs de la Préfecture de la Seine avec leurs contractants, et entre la préfecture et leur autorité de tutelle. Et une notion est revenue plusieurs fois, sous diverses formes, la notion de croyance. Croyance sociale dans la robustesse d’un ouvrage, dans la certitude et la confiance des ingénieurs dans leurs réalisations, croyance technique aussi car lorsque l’on n’est pas ingénieur ces ouvrages peuvent paraître complètement fous… Et aujourd’hui encore, les ingénieurs n’ont pas toujours la capacité de vraiment calculer les résistances de leurs ouvrages. Une forme de croyance qui a été très importante dans l’histoire de l’ingénierie et qui continue finalement aujourd’hui. Donc je voulais ouvrir la discussion sur la question de la croyance des ingénieurs qui ont construit le boulevard périphérique, à la fois en leur propres capacités et dans leur capacité d’analyse. Dans les entretiens avec les ingénieurs, comme François Ozanne notamment, est-ce que cette notion de croyance est présente ?

 

Mathieu Flonneau :

Tout le monde est concerné par la question de la croyance, bien sûr. Toutes les générations, parfois sans en avoir pour elles-mêmes une conscience claire. Et si le large consensus qui a existé autour de la voiture et du périphérique, interroge rétrospectivement, il a également eu sa cohérence. J’ai en effet rencontré des gens qui étaient assez sûrs de faire alors le « bien public ». Ils avaient reçu une formation d’ingénieur des Ponts et Chaussées qui utilisaient des manuels et des connaissances qu’on peut qualifier de « positivistes » mais, de grâce, sans la suffisance que s’arrogent parfois les sciences sociales.

La catastrophe du viaduc le Gênes et ces fragilités des ponts évoqués dans le rapport du Sénat restent quand même des exceptions. Des cas évidemment dramatiques et incroyablement spectaculaires. Ce qui me fascine plutôt dans l’exemple du pont de Morandi, c’est la croyance dans la nécessité de le reconstruire dans les trois ans et la réussite de ce chantier car il vient d’être réinauguré… Quelle énergie, quelle vitesse ! Quel besoin donc. Quelle absolue croyance dans la nécessité d’avoir une route qui traverse Gênes à cet endroit ! Je n’ai d’ailleurs pas entendu parler d’opposition locale consistante au projet de reconstruction du pont de Gênes.

 

Cyrille Simonnet :

Bien sûr, cela répond à une exigence économique énorme. L’économie ce n’est pas seulement de la croyance.

 

Mathieu Flonneau :

Oui, de telles productions infrastructurelles font tenir une société, qu’on le déplore ou non.

 

Cyrille Simonnet :

La catastrophe a suscité un bouleversement. Renzo Piano s’est proposé pour fournir un projet. Au départ c’était du tout métal qui était souhaité, puis finalement il a repris l’exemple d’un pont au Japon qu’il avait construit, avec des grandes piles qui ne fonctionnent plus du tout sur le même système. En terme de croyance, dans les années 60 on croit au progrès. Il y a une fascination liée à la fierté du kilométrage autoroutier. On en était fier, alors qu’aujourd’hui plus du tout. Au contraire, on fait des grèves de la faim pour empêcher l’extension d’une autoroute vers Pau, vers Tarbes… La croyance, c’est un fait d’époque.

 

Simon Ronai :

On a eu la même croyance par rapport aux grands ensembles, qui étaient une image de progrès sans aucun doute. Ce progrès allait rendre les gens heureux, et ça ne poserait aucun problème. Il n’y a pas eu d’effondrement si ce n’est un effondrement social. Les étudiants aujourd’hui ne croient plus en rien. C’est un vrai sujet. Parce que la croyance, c’est porteur ! Ça a porté l’idée même d’aménagement du territoire, de croire qu’on pouvait et qu’on devait le faire.

 

Nathan Belval :

Une croyance est encore très présente dans la prise en compte du son et du bruit, la conviction que par le traitement technique on peut résoudre le problème du bruit, et créer une situation de confort sonore. Cela me semble être une espèce de rémanence de la Charte d’Athènes, cette idée que chaque impact technique peut être réglé par une technique d’isolation, absorption, de contrôle de la fréquence dominante, etc. On constate souvent que c’est une croyance qui est peu ancrée sur le terrain. C’est une croyance hors sol qui justement s’appuie sur des documents à grande échelle, une échelle qui n’est pas celle de ce que l’oreille perçoit, mais plutôt à l’échelle métropolitaine une moyenne de dB(A)[1] du territoire. Donc cette croyance oblitère la question du point de vue de l’écoute. Sur le territoire, finalement, la dénonciation contre le bruit est très peu présente. Les gens acceptent le niveau de bruit car ils se disent que finalement c’est un niveau de bruit qui est fonctionnel, acceptable par rapport à l’utilité de l’infrastructure. Mais ça ne répond pas aux enjeux sensibles dont on fait l’expérience dans l’environnement. Il y a une tension entre une croyance d’une approche technique susceptible de résoudre tous ces problèmes et, justement, la non prise en compte de ce qui est vécu. On peut connaitre, en habitant près d’une autoroute, l’impact de la pollution aérienne de l’âge des véhicules, les techniques qu’on peut mettre en place pour mieux isoler le logement, pour aérer aux bonnes heures, etc. Mais après il y a les impacts réellement vécus de la pollution, les odeurs, les contre-parfums qu’on emploie dans les logements, comment calfeutrer les ventilations avec du filtre à hotte, les matières grasses sur les vitres, etc. C’est ce genre de caractéristiques sensibles, sensorielles, vécues au quotidien que se proposent d’agir des concepteurs de micro-urbanisme, d’intervention sur mesure pour certains espaces. Et cela ne va pas contre l’expertise et la nécessité de réduire le niveau de bruit, de réduire les bruits produits par les bitumineux, les moteurs, etc. C’est davantage une complémentarité qu’une remise en question de cette approche technique qui, pour le son, est nécessaire en tout cas.

 

Nathalie Roseau :

Sur la question des voix sourdes ou contestataires, on évoquait le cas des riverains d’Orly qui manifestaient contre le bruit, et qui a donné lieu ensuite au couvre-feu de l’aéroport d’Orly, dès le début des années 60. C’était un acte pionnier. Il y a eu aussi, dans les années 70, la lutte très importante des paysans contre l’aéroport de Narita, pour garder leurs terres, causant la mort de dix personnes. Donc la contestation n’est pas un phénomène nouveau. Peut-être que ces voix sont minoritaires, mais il reste toute une histoire à établir qui permettrait de nuancer le récit que l’on fait de ces croyances.

Une question pour Paul Lesieur, sur le rôle des entreprises. On a bien vu les enjeux autour des matériaux, des constructions, des enjeux de brevet, liés à l’utilisation de telle ou telle technique, surtout par rapport à l’ampleur des travaux à réaliser. Comment interviennent ces enjeux de pouvoir, d’influence sur les choix qui sont faits ? Quelle lecture des jeux d’acteur, entre la collectivité, les services techniques, les entreprises ?

Par ailleurs, j’étais assez frappée dans l’intervention de Cyrille Simonnet de la relation au corps qui est évoquée. Vous parliez de physicalité, de fracture, de rupture. Ces photos des ouvrages faisaient penser aux illustrations des dictionnaires de médecine, des artères, etc. Quel rapport, dans le cercle des techniciens, des mainteneurs, à cette question du vieillissement des infrastructures, et au risque de l’effondrement ? Cette catastrophe, soudaine et ingérable, pourtant était sans doute anticipable par rapport au vieillissement de ces infrastructures…

 

Paul Lesieur :

Concernant les essais de revêtement, ce sont dans la quasi-totalité des cas des entrepreneurs qui viennent demander une autorisation aux ingénieurs. Ils veulent bénéficier de leur expertise. Les services techniques se contentent de surveiller ces essais pour en constater les bons (ou mauvais) résultats, en fonction de l’état du revêtement et de la façon dont la circulation est concrètement affectée. Dès 1860 quelques notations dans les archives (du type « peut passer pour montrer ces échantillons » / « n’est jamais passé ») montrent que les ingénieurs suivent toutes les demandes qui sont faites avec attention, même celles qui se réduisent à une lettre envoyée au préfet. C’est peut-être là l’effet des recommandations du Conseil général des Ponts et chaussées qui veut se débarrasser de l’empierrement. Pour le pavage en bois, il est encore difficile de savoir pourquoi les services parisiens font appel aux entreprises londoniennes, et pourquoi seulement en 1880 alors que le revêtement est employé depuis 1840 à Londres. Des essais sont effectués à Paris à cette période, mais ne sont pas concluants. Quarante ans plus tard la volonté de la préfecture de la Seine est toute autre, puisqu’il ne s’agit plus d’essais demandés par des entrepreneurs mais d’un marché commandé par la Ville. Et c’est pour cette raison qu’ils ont fait appel à des entreprises étrangères, qui maîtrisent de ce revêtement. Dans cette transformation, ce sont les conseillers municipaux qui sont à l’initiative. Ils pressent les services techniques à supprimer un macadam trop coûteux à entretenir. Par ailleurs, d’autres municipalités comme Bordeaux ou Le Havre demandent des renseignements, à propos des entrepreneurs qui déclarent avoir effectué avec succès tel essai à Paris. Dans l’aménagement du territoire, ce sont donc principalement les acteurs politiques qui décident de changement, et les ingénieurs les appliquent. Leur marge de manœuvre réside dans la rédaction du cahier des charges qui conditionne l’attribution des marchés aux entrepreneurs. Ceux-ci demandent un accès à la voie pour effectuer des essais qui sont surveillés assidûment par les services techniques. Les rôles sont bien délimités.

J’aimerais également dire un mot sur la question des croyances. Effectivement les ingénieurs croient beaucoup dans le développement des techniques. C’est pour ça qu’ils misent sur l’empierrement dès 1850. Dès qu’ils le mettent en place, ils savent que l’entretien est très cher, et que ce coût peut devenir prohibitif. Mais ils ont également conscience des améliorations obtenues en révisant les méthodes de maintenance. Ils songent naturellement à la mécanisation du travail ouvrier. Ils utilisent d’abord des rouleaux compresseurs, qui permettent des gains économiques mais pas suffisants. Le remplacement de la traction animale par des moteurs à vapeur leur offre un nouvel espoir, qui suit la même logique : ils réalisent un essai sur une portion de voie, calculent le gain obtenu et en proposent une extrapolation. Bien sûr, celle-ci conduit à une baisse remarquable des coûts d’entretien. Mais nous pouvons faire deux remarques. D’une part cette extrapolation abstraite se heurte à la diversité des cas, même sur un espace réduit comme la ville de Paris. Sur les voies de plus faible dimension, cette technologie est moins adaptée. De plus, il faut tenir compte de la distance entre le chantier et le dépôt où est stockée la machine, qui influe sur le coût de l‘opération. D’autre part, la mécanisation réduit le savoir-faire ouvrier à une force mécanique. La puissance des rouleaux permet une compression de la chaussée plus importante que celle obtenue par la force humaine et paraît de ce fait justifiable. Cependant, dans la réalisation des tâches d’entretien, tous les sens sont en jeu. Une chaussée en bon état doit être homogène et les cantonniers ressentent cette homogénéité, par le toucher, par la vue. Dans le cas du pavage, ils estiment la dureté des pierres en écoutant le son que fait leur marteau lorsqu’ils frappent faiblement le matériau. Ce savoir-faire échappe à l’abstraction par les nombres réalisée par les ingénieurs. Ils reconnaissant son importance, mais cela les gêne pour évaluer les gains d’une méthode sur une autre.

 

Cyrille Simonnet :

Pour répondre précisément, depuis 1978 six ouvrages en France, six ponts se sont effondrés. Au niveau du boulevard Périphérique, je crois qu’il n’y a pas vraiment de danger, grâce notamment à cette équipe de cinq personnes qui sont au chevet permanent des ouvrages d’art. Mais la fissure, c’est traitre. Ça peut constituer le début de l’implosion de l’ouvrage. Une petite chose, un événement singulier qui se produit à tel ou tel endroit, qui se propage on ne sait pas trop comment… Une sorte d’effet papillon dans la masse immense de l’ouvrage.

 

Mathieu Flonneau :

Pour complément si vous le permettez, l’inondation de 1910 a descellé énormément de pavés, notamment de bois, donc cela a été l’une des raisons également de cet abandon. La réponse de Paul Lesieur est très intéressante sur le savoir-faire et la manière de nommer les métiers, de nommer les pratiques, mais elles ont connu un appauvrissement considérable. Lorsque j’avais rencontré André Herzog, à ses yeux, son plus grand motif de fierté sur les voiries parisiennes avait été, place de l’Étoile, de faire dessiner les pavés de façon étoilée, avec des pavés de grés un peu rose et d’autres beaucoup plus gris, pour que cela reproduise en vue aérienne (ce qui est toujours effectivement spectaculaire) une étoile. Comme ingénieur, alors qu’il avait construit le périphérique pour la Délégation générale à l’aménagement et l’urbanisme de la Ville de Paris, qui est arrivée dans l’organigramme après la Direction de la voirie. Comme François Ozanne, autre bâtisseur, il avait cette formule provocante dont on perçoit de nos jours le décalage : « Je construisais 7 kilomètres de périf’ par an, et là maintenant on demande aux ingénieurs de faire 70 centimètres de piste cyclable… ». Cette transition générationnelle, évidemment doit être prise pour ce qu’elle et relativisée. Ce marqueur des temps existe mais ne retire rien à la reconnaissance légitime due à ces grands « opérationnels et sachants », à la fois théoriciens et praticiens auxquels je tiens à rendre hommage.

 

Loïc Vadelorge :

Je voudrais revenir sur la notion de récit, et sur le contre-récit actuel du boulevard périphérique et l’idée qu’on changerait de paradigme. Que ce serait une histoire de récit. Pour moi, le récit comme la croyance sont des objets tout à fait légitimes de recherches historiques, et pour moi aussi il n’y a pas de construction d’un objet comme le boulevard périphérique sans croyance et sans récit. Mais pour autant ce n’est pas suffisant. D’abord parce que la croyance n’est pas hégémonique. Au moment où on a construit le tout nouveau boulevard périphérique, tout le monde n’était pas d’accord. Par exemple, à l’endroit de la cité universitaire, qui est en fait au-dessus du boulevard périphérique, il y a eu des contestations à partir de 1956. Ces contestations n’ont bien sûr pas débouché sur l’arrêt du boulevard, mais elles ont obtenu l’arrêt du tunnel qui devait passer sous la cité universitaire pour rejoindre l’A6 et Denfert Rochereau. Le boulevard périphérique est un objet qui est connecté, avec des projets autoroutiers à l’intérieur de Paris qui sont abandonnés entre 1956 et 1960, et des autoroutes de desserte autour. Donc ces contestations existent à un moment donné ce qui fait que la croyance n’est jamais complètement hégémonique, et ce qui fait qu’en fait, si on arrive à faire un objet comme le boulevard périphérique, cela suppose des choix, qui sont des choix politiques et des choix financiers. Et c’est là où je trouve que l’approche matérielle de Paul Lesieur est particulièrement intéressante, parce que ça explique à un moment donné, notamment par rapport à l’exemple de Mai 68 sur lequel il y quand même une mythologie incroyable, on fait le choix de l’asphalte. Ce que vous disiez par rapport à Mai 68 prouve bien qu’il y a des capacités d’inertie, parce que ça coûte beaucoup d’argent.

De même, je me demande s’il ne faut pas aussi nuancer le contre-récit actuel du boulevard périphérique. Parce qu’en effet, derrière ça, il y a une ville productive, et cette ville productive a aussi la capacité de mettre à distance les injonctions de la transition écologique contemporaine pour faire que, finalement, les grandes infrastructures de desserte continuent à exister. Et la suppression du boulevard périphérique à moyen terme, franchement, elle est peu réaliste…

Une question pour l’ensemble des intervenants. On a assez peu parlé de comparaison. Ce boulevard périphérique, quand il est construit, est issu d’un projet qui remonte aux années 1940, et qui s’achève en 1973. Il y a eu quand même des études qui ont été faites sur d’autres types de contournement routiers, partout en Europe. Est-ce que ces études-là ont pesé ou pas dans la décision ?

 

Matthieu Flonneau :

Il y a aussi un horizon imaginaire américain matriciel.

 

Corinne Jaquand :

Il y avait aussi une opportunité foncière, tout simplement. Les réserves qui avaient été faites pour la grande Île-de-France étaient assez limitées, mais il y a eu cette ambiguïté de la loi concernant la déclassification des fortifications, qui qualifiait d’espace libre parcs et voiries. Donc on a pu décider qu’une partie de la ceinture verte serait transformée…

 

Loic Vadelorge :

Non, on ne peut pas dire ça. La déclassification, c’est le début des années 20. Le boulevard périphérique n’est alors pas d’actualité, c’est beaucoup plus tard.

 

Nathalie Roseau :

Oui, le regard étranger est très intéressant. Dans le rapport du Conseil de Paris de 1954, « Solutions aux problèmes de Paris », les autoroutes américaines, qui sont largement photographiées, sont des références.  Et dans les années 40, quand les boulevards périphériques émergent, elles le sont toujours. Mais on a du mal à trouver des chercheurs et collègues qui travaillent sur ces objets, pour pouvoir comparer des situations similaires, observer des échanges, des modèles, etc. Dans le cas de l’aéroport, il y a des revues qui montrent de nombreux exemples aéroportuaires, et les ingénieurs, les architectes, les autorités vont visiter ces sites. Comment ça se passe du côté du périphérique ? Est-ce qu’ils vont voir d’autres modèles, aux États-Unis par exemple, où ils sont quand même beaucoup plus avancés à l’époque ?

 

Cyrille Simonnet :

J’habite à Barcelone, et là-bas les architectes sont très impliqués dans cette thématique des infrastructures. Au moment de la création des ramblas, ils ont travaillé sur le périphérique parisien. Ils ont cherché des modèles dans la littérature. Même si finalement le système est assez différent, c’est quand même comparable, une sorte de grand périphérique, et les architectes sont beaucoup plus impliqués dans la création de ces ouvrages. Ils font partie des équipes de construction, contrairement au cas français.

 

Corinne Jaquand :

Pour Barcelone, le thème de la grande rocade apparaît beaucoup plus tôt, lors du concours pour ce qu’on a appelé le plan des liaisons, et qui consistait justement à faire une grande rocade mettant en liaison les bourgs hors de la grande rambla. Ce thème de la grande rocade traverse le destin des grandes villes, à Berlin, à Moscou, et pose aussi la question de la juste distance par rapport au centre-ville, avec évidemment, pour que cela puisse être réalisé, la question de l’acquisition foncière. Or, dans le Grand Paris, il y a eu pour le plan d’aménagement, dit plan Prost, un projet de grande rocade, dite perspective, qui en gros doublait certaines grandes voies royales comme celle de Versailles à Choisy-le-Roi. Mais ça n’a pas été plus loin. Je ne sais pas pourquoi mais il n’y a pas eu d’acquisitions foncières suffisantes. On retrouve la même idée à Marseille avec la grande rocade, mais cela a fait l’objet très tôt d’acquisitions foncières. Cela dit, la grande rocade de Marseille n’est pas totalement terminée. Cette idée de grande rocade est très prégnante dans les années 30 et 40, et encore une fois il y a l’opportunité foncière de la ceinture verte parisienne qui était là. Je pense qu’on ne s’est pas posé plus de questions que ça.

 

Justinien Tribillon :

À propos de l’influence internationale, dans les années 30 et 40 on regarde beaucoup vers l’Allemagne. Toutes les revues de paysagisme et de travaux publics sont remplies d’exemples allemands, ces autoroutes d’Hitler comme on les a surnommées car c’était un grand programme de la République de Weimar mis en place par le 3eme Reich. La pratique du design de l’autoroute allemand est une pratique politique, voire nationaliste, qui est complètement mélangée au paysagisme, à la pratique du design de paysage. Ces deux disciplines se confondent. Éric Alonzo et Dorothée Imbert ont travaillé sur ces questions. Dans les années 40 s’élabore cette idée de couloir périphérique, sous Vichy, et c’est à la fois une ceinture verte et une route, les deux concepts étant similaires à ce moment-là.

 

Frédéric Pousin :

Je voulais réagir à ce qu’avait évoqué Cyrille Simonnet, sur la question de la présence de ces ouvrages dans le tissu urbain. Quelle est la réalité de cette présence dans le tissu urbain ? Qu’a-t-elle mobilisé au cours de sa fabrication comme réflexion, comme regard, et y compris du côté d’acteurs qui interviennent dans l’aménagement ? Je pense par exemple aux paysagistes et à la question de la trame verte, question qui n’est pas uniquement une question des années 80. Elle existe bien avant, dès le début du 20e siècle. Quelle est la réception, en France et autour du périphérique, de ce qui s’est développé aux États-Unis, un autre regard sur les autoroutes comme dans les travaux de Kevin Lynch et de Donald Appleyard, avec l’ouvrage The View from the road notamment ? Qu’est-ce que ça a impliqué sur la façon dont on a pu penser les évolutions du périphérique ?

Concernant la dimension plus paysagère, je pensais aussi à la mobilité piétonne. On voit bien que dans les années 70 se crée toute une réflexion autour du sonore, dans une approche plus sociologique puis musicologique, une sorte d’interférence entre différents champs disciplinaires qui font sortir le son d’une expertise purement technique. Mais qu’en est-il d’autres aspects de la présence de ces ouvrages dans le tissu urbain ?

 

Cyrille Simonnet :

Quand on travaille sur l’histoire d’un pont, la définition la plus simple, c’est celle de sa fonction. À quoi sert un pont ? À franchir un obstacle. Alors quand la ville devient l’obstacle, et l’exemple de Gênes est représentatif, on peut effectivement se poser des questions qui vont bien au-delà de la technicité propre de l’ouvrage. Donc la question paysagère est plus que présente. Je ne connais pas vraiment l’histoire du périphérique, sinon pour avoir vu l’exposition d’André Lortie et Jean-Louis Cohen il y a bien longtemps. Je crois qu’en Espagne, la compétence paysagiste est venue plus tard qu’en France, mais là-bas les architectes sont tous un peu paysagistes, et tous un peu ingénieurs aussi. Barcelone est une belle ville parce que tout est dessiné, les sols avec autant de soin que les façades ; les trottoirs, les passages piétons, le mobilier urbain, tout sort non pas de calculs ou de ratios de voirie mais du dessin. Les sols sont des créations. Il y a des plans. Je pense que la qualité visuelle, paysagère de ces grands ouvrages dans la ville est liée aussi à la mobilisation de ces compétences. Considérez la voie Pierre Mathis, à Nice : c’est vraiment le contraire. Une armée de rhinocéros qui foncent à la queue leu leu dans la ville : ça a un effet physique, visuel, urbain terrifiant. Les cultures constructives, les manières de passer les marchés, d’impliquer tel ou tel acteur, sont différentes d’un pays à l’autre. Il y a longtemps j’ai travaillé sur le paysage autoroutier, comparant à situation égale la France et l’Italie, sur des sites de moyenne déclivité (pas de haute montagne, ni de plaine). Sur des sites comparables, on trouve beaucoup plus d’ouvrages d’art en Italie, des ponts, des viaducs, des tunnels, des pilotis, alors qu’en France on tranche les montagnes, on arase les collines. Le système des déblais et remblais est roi. Pourquoi ? Les grands groupes français du BTP possèdent d’impressionnants parcs de bulldozers, d’excavatrices. Le terrassement représente un poste beaucoup plus important que les ouvrages d’art.  Alors qu’en Italie, dans les années 60 – 70, le système des appels d’offre pour les ouvrages d’art – même si ce sont des grandes entreprises qui réalisent les portions d’autoroute – les oblige à faire travailler les entreprises locales là où elles passent. Une sorte de système syndical de l’époque, les Squadre de Cottimisti (coopératives de mains d’œuvre), faisait que toute l’économie locale participait à la construction des ouvrages d’art.

 

Mathieu Flonneau :

L’effet d’opportunité foncière me semble absolument décisif pour Paris. Il y a une raison simple à tous ces échecs d’autoroutes urbaines, présentées dans un numéro célèbre de Paris-Match. Ils n’ont pas connu de concrétisation parce que précisément, à partir du moment où il a fallu exproprier des propriétaires et des Parisiens, il n’était plus question, même dans l’Est pourtant plus pauvre, exposé à ces pratiques car socialement plus fragile, de faire toutes les rocades et pénétrantes qui étaient suggérées. Là où des réalisations ont eu lieu, pour le boulevard périphérique et les berges de Seine, la présence potentiellement contestataire de riverains se présentaient différemment. Il y était beaucoup plus simple de construire.

 

Nathan Belval :

Je voulais rebondir sur la coopération internationale dans la lutte contre le bruit. La France est en retard par rapport à la Pologne, l’Autriche, l’Allemagne, les États-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, les acousticiens vont pas mal regarder du côté des États-Unis. Des voyages seront prévus et certains réalisés. Un épisode relativement marquant sur ce point sera le conseil de coopération franco-américain sur la ville nouvelle du Vaudreuil, prévue pour être une ville « sans nuisance ». Ce programme sera arrêté avec le choc pétrolier de 1973.

Sur la question de la place du piéton, finalement cette perspective auditive c’est la perspective auditive d’un piéton. Quand on est en voiture, évidemment, on n’a pas du tout la même perception. Je ne rentrerai pas dans le détail du cocon auditif qu’est censé être une voiture… Donc il y a la place du piéton en ville, mais il y a aussi maintenant la problématique montante du vélo qui induit un autre usage de l’espace public, et d’autres nécessités auditives pour permettre aux cyclistes de se déplacer, de se repérer à l’oreille dans l’espace. Tout le monde a déjà entendu les nouvelles clochettes des bus qui servent à avertir les piétons et les vélos. C’est anecdotique mais cela montre vraiment comment l’intervention sur le paysage sonore, la conception sonore, joue son rôle. C’est un métier qui est très peu ou mal identifié : designer sonore, concepteur sonore, architecte sonore, plasticien sonore, paysagiste sonore, etc. La démarche, c’est quand même de s’appuyer sur un usage. Pierre Mariétan a collaboré avec Alain Sarfati pour une résidence de 300 logements dans la ville nouvelle d’Evry. Chaque usage défini et programmé par l’architecte doit avoir des caractéristiques sonores qui y répondent. À Évry, il y a du trafic routier, et la résidence, en forme de U, comprend un îlot central. Le compositeur préconise de profiter de cet effet de masque, mettre une butte de terre à l’entrée de l’espace pour absorber les bruits routiers, et faire de cet espace un espace qu’on peut habiter, mais qu’on peut aussi habiter à l’oreille. Ici est développé un effet de seuil. Pour l’identification à l’oreille, Mariétan met en valeur le decrescendo de la rumeur urbaine qu’on ressent quand on passe de la ville à la résidence, quand on rentre dans les espaces communs, etc. Il crée un marqueur sonore avec les sols, un son reconnaissable produit par vos chaussures, un petit son au début inaudible, couvert par la rumeur, qui s’amplifie au fur et à mesure de la progression vers la résidence, et vient non conscientiser mais faire sentir le fait de rentrer dans un environnement sonore. Ici on voit comment usage, mobilité – ici piétonne pour rentrer dans une résidence – sont censés, dans cette approche, définir vraiment la configuration des sons, du complexe acoustique et les formes d’écoute qu’on va proposer.

 

André Lortie :

Effectivement le périphérique parisien a été construit sur une opportunité foncière, et elle n’est pas banale. La loi prévoyait de transformer la zone non aedificandi en une ceinture d’espace libre. D’ailleurs le préfet prend la parole devant le conseil municipal en 1922 et dit : « L’avenir nous dira s’il sera nécessaire de construire une voirie supplémentaire, ce que la loi permet. ». Donc il est très clair là-dessus, et il ouvre la porte à une augmentation du réseau de voirie autour de Paris. Mais sans vision particulière. Il ménage l’avenir. Mais cette zone non aedificandi n’appartient pas à la collectivité, et elle doit être expropriée de plusieurs milliers de propriétaires qui occupent ou permettent l’occupation par la location. La loi oblige la ville de Paris à exproprier, et les conditions d’expropriation seront contestées par les propriétaires. Les expropriations commencent au début des années 20, 1922 – 23 pour la cité universitaire. Les contestations des propriétaires amènent l’arrêt des expropriations, et une nouvelle loi est mise en place en 1930, avec un calendrier d’expropriation qui s’étend jusqu’au début des années 1970. Si les effets de cette loi avaient été à leur terme, au début des années 50 une grande partie de cette zone aurait été occupée. Mais l’État français est passé par là, et une loi de 1943 assimile les îlots insalubres parisiens à la zone non aedificandi, et amène une intervention militaire et l’expulsion d’occupants de la Zone qui libère ce terrain. Il sera donc libéré à la Libération, à quelques exceptions près. Donc c’est cette opportunité foncière, léguée par l’État français, qui rend possible la construction du boulevard périphérique. Ce n’est pas un boulevard périphérique, c’est une voirie de contournement, qui d’ailleurs ne fait pas tout le tour de Paris. Les plans dessinent une voie qui prend naissance au sud-ouest, fait le tour de Paris, avec des incertitudes en ce qui concerne les traversées des grands faisceaux ferrés, vers Austerlitz et vers le faisceau nord-est parisien, et qui fait le tour de Paris selon une boucle incomplète. La tâche aveugle, c’est le bois de Boulogne qui est préservé. Cette voie vient chercher les autoroutes de part et d’autre. Les références, en ce qui concerne ce type de voirie, sont connues. Jacques Gréber, dans son plan pour Marseille, en donne des dessins très précis. Ce type de voirie urbaine sera le modèle de la partie sud du boulevard périphérique. On le sait, on est constamment en train de monter et descendre. On descend sous les ponts et on remonte au pont suivant, pour écourter la bretelle qui permet de sortir du boulevard, de gagner la porte, puis une voie parallèle au boulevard périphérique qui fait la continuité de la Seine à la Seine dans la portion sud de Paris. Ce profil en travers est connu et est largement diffusé au milieu du siècle par le modèle américain qui préconise ce type de voie rapide. C’est le modèle initial, pour lequel on n’a pas besoin d’architecte paysagiste.

L’introduction des architectes et des paysagistes sera plus tardive, dans les générations suivantes du boulevard périphérique qui n’est pas du tout uniforme. François Ozanne dit qu’ils ont fait appel aux paysagistes pour les dernières sections, où on a effectivement des grands talus, des courbes, où les boulevards sont beaucoup plus lissés, si on les compare aux premières sections. On fait aussi appel à des architectes, mais pas du tout dans le même esprit de ce qui se fait en Espagne et à Barcelone. Arsène-Henry est l’architecte du pont de franchissement ouest de la Seine, le pont aval, et dessine les piles, le profil du tablier. Il apporte son savoir-faire du dessin du pont mais n’est pas du tout invité à réfléchir au delà. On retrouve ici cette disjonction, ou cette adjonction, entre la route et l’ouvrage.

 

Arnaud Passalacqua :

On a parlé de l’évolution, dès son ouverture presque, du périphérique qui s’est adapté, a évolué, etc. On a beaucoup parlé des matérialités, des physicalités, des gens qui sont derrière, à l’ausculter, à regarder son vieillissement, et à intervenir, via des entreprises privées. Donc il y a une sorte d’adaptation permanente. En revanche, du côté de la gouvernance, ça a l’air hyper figé. Que dire de cette tension entre ce qui paraît le plus adaptable, ce qu’on voit, ce béton, et ce qui paraît le moins adaptable et qui dépend plus de nous, et qu’on est incapable de faire bouger ?

 

Simon Ronai :

Ce n’est pas plus figé que toute la gouvernance de la région parisienne… Là il y a un tandem entre la Ville de Paris et l’État, et les autres sont des protagonistes accessoires.

 

Arnaud Passalacqua :

Dans les transports collectifs, on est plus capable d’inventivité dans la gouvernance…

 

Nathalie Roseau :

Cette question est intéressante. Finalement, qui gouverne l’objet technique ? Et on pourrait j’imagine la mettre en regard de la grande infrastructure contemporaine du Grand Paris, sur laquelle d’ailleurs tu travailles, Arnaud, le Grand Paris Express. J’avais cru comprendre que le périphérique était un peu orphelin d’une certaine façon… Il y a eu ce rapport du Conseil de Paris de 1954. La voie est inscrite, avec une question foncière assez complexe, et l’engagement de l’État et de la ville qui est important. Ensuite Paul Delouvrier arrive au district et reprend en main le périphérique, et on voit une augmentation des financements de l’État. Les investissements routiers vont être massivement tournés vers la construction du périphérique. Et ensuite, quels vont être les processus de désengagement ? On se tourne aussi vers d’autres choses que la construction des autoroutes. Il y a aussi des contestations par rapport à la couverture du canal Saint-Martin, notamment, qui marque une sorte de de changement de cap. Puis la lutte aussi pour l’amélioration des transport ferroviaires. Et ensuite l’engagement des travaux du RER, etc. Et puis la ville de Paris qui se retrouve à gérer tout cet héritage ! J’avais lu des articles de presse qui témoignaient des revendications de financements pour les murs anti-bruits. Cette histoire n’a pas cessé, puisque le périphérique est la frontière entre Paris et les départements riverains. Sans compter évidemment la réforme du département de la Seine qui est fracturé à ce moment-là. Donc il y a une gouvernance politique qui est assez complexe, complètement en mutation dans cette période -là, entre 1954 et 1973. Le périphérique n’aurait pas pu se faire sans cet investissement massif. Mais à un moment, on constate une sorte de désengagement. On se désintéresse de l’être né qui doit vivre sa vie… Un désintérêt paradoxal de l’objet qui persiste toujours. En fait, qui gouverne, qui s’occupe, qui gère le devenir du périphérique ? On est toujours à côté…

 

Justinien Tribillon :

Dès que le périphérique est terminé, c’est un moment bascule, aussi au niveau sonore. C’est là que la question du bruit devient un problème social qui ne peut plus être ignoré, et qui est identifié par le nouveau maire de Paris comme une façon de se faire élire et réélire. Tout d’un coup, évidemment, on change de gouvernance. On passe d’un Paris où il y n’a pas de maire, sous tutelle de l’État pendant plus de 150 ans, à un Paris avec un maire élu et tout puissant. D’un coup, tous les services de la Ville de Paris passent sous la coupe d’un maire, et ce maire dit aux services — qui jusqu’à présent avaient fait le choix d’ignorer le problème du bruit —que c’est un problème qu’ils doivent maintenant prendre en compte. Et les mêmes personnes qui avaient refusé de tester les murs anti-bruit dans les années 70 sont alors obligés de les accepter ! La gouvernance se fait aussi, bien sûr, par l’argent. Car dès qu’il s’agit de voiries publiques, cela implique des sommes énormes. Dès que Jacques Chirac arrive à la mairie de Paris, il commence des négociations avec la région, avec l’État pour avoir des financements pour faire ces mesures anti-bruit. La mairie de Paris, malgré sa richesse en tant que collectivité territoriale, ne peut pas gérer ça seule. Il faut convaincre les préfets et l’État de suivre.

 

Nathan Belval :

Il y a aussi les bailleurs des logements qui sont en prise avec ce son-là. C’est surtout à travers la nouvelle RTE qu’il va y avoir de l’isolation phonique. Comme on veut rénover l’isolation thermique, énergétique, ça a été mis dans le pack. Et ça c’est aussi un chemin de subside privilégié maintenant. Donc c’est toujours drivé par l’État, mais plus d’un point de vue réglementaire.

 

Justinien Tribillon :

Il y a plusieurs jeux de pouvoir au moment de la construction du périphérique, sur la question du bruit et des pollutions. La direction de la voirie dit que, de son côté, le design est optimal, et qu’il faut plutôt aller voir les bailleurs sociaux et même les constructeurs automobiles. On a dans les archives beaucoup d’échanges avec Peugeot Citroën, leur demandant d’effectuer un travail sur leurs voitures pour qu’elles fassent moins de bruit.

Sur la Zone, on a des luttes entre propriétaire et services de la mairie de Paris. Par exemple, la RATP refuse de déplacer un dépôt. Et moi je n’ai jamais trouvé de justification technique à cela… La RATP a fourni un devis extrêmement cher pour ne pas avoir à bouger son dépôt, et à cet endroit le périphérique fait un petit coude, au niveau de la porte d’Italie, pour éviter ce dépôt. Certes la Zone était une opportunité foncière, mais elle n’était pas totalement vide. Il y a eu des résistances, des évictions, des jeux de pouvoir entre les départements de la Préfecture de la Seine, au niveau de l’attribution des terrains, dès les années 30.

 

Simon Ronai :

Sur une grande portion du périphérique, le territoire parisien va de l’autre côté, c’est-à-dire que c’est sur le territoire municipal de Paris. Ce qui peut expliquer aussi que les communes riveraines, pendant un moment, ne s’y sont pas du tout intéressé, et même ont été exclues. Parce que, administrativement, c’est dans Paris. Aujourd’hui on voit le périphérique comme la limite, mais de l’autre côté, c’est là où se sont construits beaucoup de bureaux justement, notamment pour répondre à la question du bruit. On fait un mur de bureaux pour protéger les logements qui sont derrière. Ça se voit beaucoup sur la partie sud.

 

Nathalie Roseau :

Oui, il y a des recherches à faire du côté des archives des communes riveraines. On a un regard très parisien sur cette infrastructure, y compris dans la manière dont on mène les recherches.

 

Nathan Belval :

Sur la question de la gouvernance, et les cartographies du bruit qui sont exigées par les plans de prévention du bruit dans l’environnement. En préparant les visuels de mon intervention d’aujourd’hui, c’était impossible de mettre la main sur la carte à l’échelle de l’agglomération ! Il fallait passer par la Mairie de Paris pour avoir une carte du territoire parisien, où on voyait donc en violet – la valeur maximale – le périphérique, et tout autour en blanc les communes adjacentes…  Vous voyez l’inanité d’appréhender un traitement du bruit côté Paris… C’est une question de compétence. Il n’y a pas de « Monsieur Bruit » à la mairie de Paris, alors qu’il a un « Monsieur Bruit » à la mission « bruit » du ministère de l’Environnement. Je ne sais pas si à l’échelle métropolitaine il y a une prise en compte de cette thématique-là. C’est encore relayé par les élus mais sous forme de promesse électorale.

 

Loïc Vadelorge :

Simon Ronai évoquait la manière dont les communes communistes se positionnaient par rapport au boulevard périphérique. C’est une hypothèse très intéressante, parce que ces communes communistes n’ont pas attendu les lois de décentralisation pour se positionner sur les problématiques d’aménagement. Si on reprend l’exemple de Gentilly, Gentilly est capable dans les années 50 de bloquer le projet de Raoul Dautry, qui est quand même ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme, projet qui voulait étendre la Cité universitaire sur le territoire de Gentilly. Ils sont capables de bloquer ça pour faire un grand ensemble ! Mais effectivement, ensuite, la question du périphérique ne les intéresse pas. Dans les archives de la Cité, quand j’avais travaillé sur ce fameux tunnel autoroutier qui est bloqué par la Cité, Gentilly s’en fout complètement ! Ce n’est pas son problème. Le problème c’est, en revanche, les installations sportives de la Cité universitaire que Gentilly veut utiliser pour ses propres habitants. Cela conforte un peu l’hypothèse que vous avez mis en avant tout à l’heure, à savoir qu’ils ont leurs propres logiques d’action, et que globalement cette frontière symbolique du boulevard périphérique est pour eux plutôt intéressante finalement.

Je ne sais pas ce qu’Emmanuel Bellanger en pense ? Tu es quand même le spécialiste de ces relations entre la banlieue proche et Paris, et tu as démontré que cette banlieue proche insiste pour que, par exemple, le métro franchisse la ligne. Tu serais d’accord avec Simon Ronai ?

 

Emmanuel Bellanger :

La gouvernance des infrastructures, il faut la corréler avec la question « Qui aime le périphérique ? ». Et à l’évidence c’est une question d’opportunité, de pragmatisme, qui peut-être nuancerait ce qu’a pu dire Simon Ronai sur ces élus de la banlieue rouge, qui se sont, bien sûr, toujours tournés contre Paris, mais qui en même temps ne pouvaient pas s’en passer. Et, à l’inverse, Paris n’a jamais pu se passer de ces banlieues. Donc le périphérique, c’est aussi un trait d’union entre des territoires qui ont appris, au fil des décennies, à s’apprivoiser, et d’une certaine manière à penser ensemble la métropole, jusqu’à cet acte de séparation, la fameuse loi du 10 juillet 1964, qui bouleverse en profondeur et la gouvernance, et l’histoire commune de la banlieue et de la capitale.