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Le « parc public » au Japon (1868-1930). Circulation et appropriation d’une notion, Shinjuku Goyen

par Yoko Mizuma 水眞洋子

Résumé

Shinjuku Gyoen est un jardin impérial réalisé au début du XXe siècle. Situé au cœur de la capitale Tokyo, à cheval sur les quartiers de Shinjuku et de Shibuya, ce jardin a été le premier projet franco-japonais, conçu et réalisé par un horticulteur japonais, Hayato Fukuba, et un paysagiste français, Henri Martinet, disciple d’Edouard André, célèbre paysagiste français du XIXe siècle. Le jardin, depuis sa création, a joué un rôle pionnier de « laboratoire » pour l’horticulture et l’art des jardins, dont la philosophie s’est appuyée sur celle de l’école française du paysage, élaborée sous le Second Empire.  Parallèlement à ce jardin, une autre école de paysage existait au sein de l’Université impériale de Tokyo, dans la faculté de sylviculture, dirigée par Seiroku Honda. À la différence de la première, cette école s’est appuyée sur les sciences forestières dont la conception a été basée sur « fonctionnalisme ».  Les deux écoles ont vu naître de nombreux jeunes paysagistes qui contribueront à la construction des parcs publics, à la suite de la promulgation de la nouvelle politique d’urbanisme.  Cette communication montrera la contribution de l’école française du paysage à l’évolution du « Parc public ».

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https://www.inventerlegrandparis.fr/link/?id=2615

DOI

10.25580/IGP.2022.0037

Yoko Mizuma 水眞洋子 est ingénieure d’étude auprès du LabEx « Futurs Urbains », en charge de l’encadrement scientifique du site web « Inventer le Grand Paris ». Diplômée en sylviculture de l’Université de Ryûkyû à Okinawa au Japon (2001), en paysage (CESP) à l’École Nationale Supérieure de Paysage à Versailles (2010), Yoko Mizuma est docteur en science du paysage. Ses travaux portent sur les sujets concernant le paysage, à diverses échelles, celle du jardin, de l’espace urbain et celle du territoire, tout en mettant en lumière le croisement des différentes cultures, notamment franco-japonaise et l’interdisciplinarité. En parallèle à sa recherche, elle développe son champ d’activité pour établir des passerelles entre les professionnels français et japonais.


Français

Shinjuku Gyoen est un jardin impérial réalisé au début du XXe siècle. Situé au cœur de la capitale Tokyo, à cheval sur les quartiers de Shinjuku et de Shibuya, ce jardin a été le premier projet franco-japonais, conçu et réalisé par un horticulteur japonais, Hayato Fukuba, et un paysagiste français, Henri Martinet, disciple d’Edouard André, célèbre paysagiste français du XIXe siècle. Le jardin, depuis sa création, a joué un rôle pionnier de « laboratoire » pour l’horticulture et l’art des jardins, dont la philosophie s’est appuyée sur celle de l’école française du paysage, élaborée sous le Second Empire.  Parallèlement à ce jardin, une autre école de paysage existait au sein de l’Université impériale de Tokyo, dans la faculté de sylviculture, dirigée par Seiroku Honda. À la différence de la première, cette école s’est appuyée sur les sciences forestières dont la conception a été basée sur « fonctionnalisme ».  Les deux écoles ont vu naître de nombreux jeunes paysagistes qui contribueront à la construction des parcs publics, à la suite de la promulgation de la nouvelle politique d’urbanisme.  Cette communication montrera la contribution de l’école française du paysage à l’évolution du « Parc public ».


Je voudrais vous présenter un parc qui s’appelle le Shinjuku Gyoen, un parc assez particulier non seulement par son histoire mais aussi pour sa place dans le développement des parcs publics au Japon.

Ce parc se situe au centre de Tokyo et couvre environ 58 hectares. Il se trouve entre les quatre principales gares de Tokyo, les gares de Shinjuku, Harajuku, Shibuya et de Tokyo. Ce très grand jardin joue le rôle de poumon vert pour la capitale du Japon. Au sud de Shinjuku Gyoen se trouvent le jardin intérieur du Sanctuaire Meiji (70 ha) et le jardin extérieur du Sanctuaire Meiji (58 ha). Un peu plus loin au sud-ouest se trouve le parc Yoyogi (54 ha), et près du fleuve le jardin Hama-Rikyû (25ha), évoqué par Monsieur Ono ce matin, et aussi le parc Hibiya (16ha). Enfin, à l’est le palais d’Akasaka est lui aussi agrémenté d’un jardin de 51ha, et directement aux abords du palais impérial se déploient les jardins extérieurs du palais (115 ha). [ Voir Fig. 1 ]

Une vue aérienne du parc Shinjuku Goyen montre des zones boisées, une grande pelouse au milieu, un ruisseau et un aménagement de pelouses et de lacs.

 

 

Parc hors-norme

Ce parc n’est pas seulement un parc public, et son contexte historique est assez original. Il a été désigné comme « parc du Peuple » ce qui est un statut rare. Seuls deux autres jardins, les Jardins extérieurs du Palais impérial à Tokyo et la Kyoto Gyoen à Kyoto ont aussi ce statut. Comme en France, il existe plusieurs catégories de parc au Japon. Ces « parcs du Peuple » sont gérés par le ministère de l’Environnement, tout comme les parcs naturels préfectoraux et les parcs nationaux. Mais la plupart des parcs urbains sont gérés par le ministère des Infrastructures, des Transports et du Tourisme. Certains parcs publics sont par ailleurs gérés par des collectivités locales.

Outre de par son statut particulier, Shinjuku Gyoen est remarquable pour sa population de cerisiers, environ 1 200 arbres de 60 espèces et variétés différentes, sur les 20 000 arbres et arbustes qui agrémentent le parc. Le jardin est donc très fréquenté lors de la floraison des cerisiers, et entre 30 000 à 50 000 visiteurs par jour viennent admirer ces floraisons.

Par ailleurs, le parc est un haut lieu de l’art floral des chrysanthèmes, particulièrement apprécié au Japon, et une exposition se tient régulièrement en novembre pour présenter de nombreuses variétés. Les plus remarquables sont les Ozukuri, 400 fleurs structurées en forme de dôme sur un seul pied, grâce à une technique horticole japonaise traditionnelle. En 2024 des Ozukuri ont été offerts au château de Versailles, et ont ensuite été exposés au Grand Trianon. Cette exposition a été un grand succès du point de vue des échanges culturels et des échanges techniques entre jardiniers. [ Voir Fig. 2 ]

À l’origine, le Shinjuku Gyoen est le jardin impérial du Japon. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, ce jardin a joué un rôle très important dans la diplomatie japonaise. Divers évènements diplomatiques y étaient organisés, présidés par l’Empereur. Les dirigeants étrangers du monde entier étaient invités à assister à la cérémonie des cerisiers en fleurs, au printemps, et à la cérémonie des chrystanthèmes en novembre.  Après la guerre, le jardin est confié au gouvernement et ouvert au public. Il devient « parc du Peuple ». [ Voir Fig. 3 ]

Mais la véritable particularité de ce parc Shinjuku Gyoen est qu’il a joué le rôle d’un véritable laboratoire du paysagisme franco-japonais, et a ainsi contribué au développement des parcs publics au Japon. Je voudrais développer ici trois points relatifs à l’art des jardins. En effet, curieusement, ce parc a été inspiré par l’art des jardins français du Second Empire dont on retrouve les tracés particuliers. Dans un deuxième temps je montrerai que Shinjuku Gyoen a joué un rôle très important dans l’enseignement de l’horticulture et du paysagisme au Japon. Véritable station des expérimentations en horticulture, il a aussi été un centre de diffusion de l’école française du paysage. Enfin, nous verrons l’influence de l’école française du paysage sur les projets d’aménagement d’espaces verts. En effet, Shinjuku Gyoen a eu un rôle important pour la formation des jeunes paysagistes, et a ainsi contribué au développement des parcs et jardins publics au Japon.

 

 

Shinjuku Gyoen, un parc inspiré des jardins français du Second Empire

En France, la période du Second Empire est marquée par l’essor de la création de parcs et jardins. De nombreuses créations de parcs, jardins publics et squares ont été réalisées dans le cadre des projets de transformation de la ville de Paris notamment.

Ce phénomène a été très favorable à l’enseignement et a accéléré le développement de l’école française d’horticulture, et a favorisé la création d’un enseignement du paysage. Née dans cette dynamique, l’École Nationale d’Horticulture de Versailles est ainsi fondée au domaine du Potager du Roi. Initialement dédiée à la recherche de méthodes de sélection et de culture de légumes, de fruits et de fleurs, elle est devenue par la suite l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage (ENSP). La particularité de l’enseignement de cette école était l’association de cours techniques, théoriques, à des exercices pratiques, l’école étant à la fois lieu d’enseignement et lieu d’expérimentation.

 

 

Rencontrer l’autre : l’horticulteur face au paysagiste

En 1899, un horticulteur japonais attaché à la maison impériale, Hayato Fukuba (1856-1921) séjourne pour la première fois en France, et s’inscrit en tant qu’auditeur libre à l’école de Versailles, pour suivre pendant trois mois les enseignements. Il restera en France pendant deux ans. Ses principaux objectifs étaient d’apprendre les techniques horticoles pour satisfaire les besoins alimentaires et ornementaux de la famille impériale au Japon, établir et diffuser les modèles des cultures horticoles modernes, et enfin contribuer au développement de l’enseignement de l’horticulture et du paysage au Japon. Pendant son séjour, Fukuba a été profondément impressionné par les parcs et jardins français dont la philosophie était très différente de celle des jardins japonais à l’époque. Il décrit dans son mémoire, ses sentiments comme suite :

« En visitant ces parcs et jardins (en France), je fus fortement étonné de leurs dimensions magnifiques et imposantes. Je fus également frappé par leur beauté. Mon premier souhait était de réaliser un jour des parcs et jardins de grande envergure, qui seraient cohérents et bien ordonnés dans mon pays, le Japon. » [1]

Il fait une rencontre importante, celle du paysagiste français Henri Martinet (1867-1938). Celui-ci sortait de l’École de Versailles, et Fukuba apprend avec lui à dessiner parcs et jardins. Ils se rencontrerons régulièrement, lors des passages en France de Fukuba, notamment lors de l’Exposition Universelle de 1900 où celui-ci expose un Ozukuri. Martinet rédige alors un véritable éloge du savoir-faire de Fukuba qui a « obtenu des résultats vraiment remarquables, et nous devons le remercier, pour nos lectures, d’avoir soulevé à nos yeux un coin du voile de mystère qui recouvre les jardins poétiques célébrés par Pierre Loti. » [2]. [ Voir Fig. 4 ]

Les deux hommes se sont durablement liés d’amitié (Fukuba serait venu au moins cinq fois en France) et avaient un grand respect mutuel.

Pendant son séjour en France, Fukuba avait commencé à concevoir un projet de rénovation de Shinjuku Gyoen, alors jardin impérial. À l’origine, Shinjuku Gyoen était l’ancien fief d’un vassal de

l’époque Edo, Kiyonari Naito. Suite à la révolution de 1868, le domaine est placé sous l’autorité de l’agence de la maison impériale, et devient jardin impérial. À l’époque le terrain est occupé par divers champs agricoles, destinés à diverses activités comme la culture de fruitiers et de légumes, à la sériciculture, riziculture, élevage, etc. À son retour au Japon, Fukuba élabore petit à petit son projet et finit par convaincre la direction impériale de réhabiliter le jardin de Shinjuku Gyoen. Suite à cette décision, Fukuba demande à Henri Martinet, lors de leurs retrouvailles en 1900, de dessiner Shinjuku Gyoen.  [ Voir Fig. 5 ] L’objectif était de transformer ce jardin en un lieu diplomatique moderne, mais aussi en lieu de production alimentaire et ornementale. Martinet ne viendra jamais au Japon et ne verra donc jamais le site, mais il accepte de dessiner un plan de jardin. Fukuba s’engage pleinement et réalisera le jardin en cinq ans, dans le style français. Martinet aurait envoyé de nombreux plans au Japon mais, les archives ayant été bombardées pendant la seconde guerre mondiale, seul subsiste le dessin d’ébauche du projet de Martinet. De ce projet, le jardin réalisé par Fukuma suit strictement le dessin, et seul le palais envisagé par Martinet dans la perspective des parterrres ne sera pas réalisé. [ Voir Fig. 6 ]

Ce projet aura de nombreux échos au Japon mais aussi en France, où l’on peut lire de nombreux commentaires et éloges du projet de Fukuba dans les revues spécialisées. Ainsi Théo Eckhardt évoque en 1902 :

« Le parc auquel fait allusion le passage ci-dessous est celui de Shinjucou, placé sous la direction de notre très estimé collégue et ami Foukouba. S.M.l’Empereur du Japon a d’ailleurs formé le projet de transformer celle Japon cette propriété, qui est actuellement divisée en petits jardins tancés à la mode japonaise, avec immenses vergers, rizières, lacs, jardin zoologique, étangs aménagés pour la chasse au canard, etc., en un grand parc paysager. Notre rédacteur en chef, Hanri Martinet, a eu l’honneur d’être chargé d’établir le projet et les devis concernant la transformation de ce parc, d’une très grande étendue, et les travaux seront commencés aussi tôt que les crédits demandés au Parlement japonais seront votés. Mais nous pouvons rassurer les personnes qui ont déjà assister un jour. Sur les indications de M. Foukouba, M. Martinet s’est arrangé, dans l’établissement de son plan, pour conserver les magnifiques avenues déjà plantées de cerisiers, et, mieux encore, il a augmenté le circuit des promenades bordées de Cerisiers plantés en groupe ou isolées.

Le parc ainsi transformé renfermera une importante collection botanique et un groupe de serres. »[3]

[ Voir Fig. 7 ]

 

 

Appliquer la théorie française au Japon

On peut donc dire que ce jardin est le premier projet franco-japonais dans le domaine du paysage.

Mais comment Fukuba a-t-il réussi à achever la réalisation de ce projet si conséquent avec une telle finesse et tout en respectant le protocole français ? C’est grâce à l’apport du paysagiste, urbaniste et botaniste Édouard André (1840-1911), représentant de l’école française du paysage durant la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce dernier avait réalisé des projets dans le monde entier, et fait partie de l’équipe ayant planifié des projets de réhabilitation de la ville de Paris, sous la direction d’Adolple Alphand. Mettant à profit toutes ces expériences, il avait publié en 1879  L’art des jardins : traité général de la composition des parcs et jardins, qui sera le véritable « fil d’Ariane » de Fukuba pour la réalisation de Shinjuku Gyoen. Ainsi on retrouve à Shinjuku Gyoen de nombreuses caractéristiques alors à la mode en France dans les jardins du Second Empire comme le style composite, un mélange de jardins réguliers et paysagers, la hiérarchisation des allées, très fréquente dans les parcs parisiens, ainsi que l’art de la perspective avec des « systèmes de groupes en coulisses de théâtre ».

À Shinjuku Gyoen une partie du parc, près de l’entrée principale, est en effet de style régulier, tandis qu’au milieu se déploie un jardin paysager, associés à deux jardins japonais. À l’époque ces deux jardins japonais étaient aussi des espaces importants puisque représentant la culture japonaise. D’autre part, on retrouve aussi à Shinjuku Gyoen un système de hiérarchisation des allées, différenciant chemins d’accès et allées de promenades, avenues rectilignes, curvilignes, et allées paysagères, secondaires, couvertes, au bord des eaux et extérieures, en fonction notamment de leur largeur et de leur fonction. Enfin, Shinjuku Gyoen développe aussi l’art des perspectives tel que préconisé par André, mettant en valeur la perspective du jardin grâce au système de cadrages successifs dit « système de regroupement en coulisses de théâtre ». On a en particulier fait en sorte que les lacs soient encadrés par des allées de plantation, organisées telles que décrites par Édouard André dans son traité, soit successivement à partir d’un point de vue principal (ici celui depuis le palais). Ce jardin de Shinjuku Gyoen a donc hérité des principales conceptions à l’œuvre dans l’art des jardins en France à cette époque.

 

 

Une station d’expérimentation et de développement du paysagisme au Japon

Parallèlement, Fukuba poursuit son deuxième objectif, celui du développement de la technique horticole et de l’enseignement de l’horticulture et du paysage. En effet, Shinjuku Gyoen commence alors à jouer un rôle de station d’expérimentation horticole et agricole. De nombreuses plantes venues de l’étranger y sont acclimatées et produites. Fukuba travaille alors beaucoup avec ses collègues français pour introduire des plantes venues de France dans le jardin tokyoïte.

 

 

Formation d’apprentissage à Shinjuku, Shinjuku Gyoen Minarai seido

Conjointement, Shinjuku Gyoen devient un lieu d’apprentissage de l’horticulture et du paysage, un lieu ouvert à de jeunes élèves, proposant une formation composée de cours théoriques et techniques, et de travaux pratiques. Son programme d’enseignement était fortement inspiré de celui de l’École Nationale d’Horticulture de Versailles, et notamment de son enseignement relatif à l’architecture des jardins qui s’appuyait sur les théries d’Édouard André. À partir de 1890, cette école a formé de très nombreux paysagistes, et notamment Nobumi Hayashi (1894-1895), Yukio Ichikawa (1893-1925), Yoshinobu Orishimo (1908-1911) et Hyôichi Suihara (1902-1920), figures importantes ayant beaucoup contribuées aux projets de parcs publics au Japon. Nobumi Hayashi sera par la suite professeur à l’Université de Chiba, de 1909 à 1923, ouvrant au département d’Horticulture, l’une des premières écoles d’horticulture et de paysage au Japon.

Fukuba a également enseigné à l’Université impériale de Tokyo, dans la faculté d’Horticulture, d’où vient Yoshinobu Orishimo. Ce dernier a notamment contribué aux projets de réhabilitation des villes sinistrées après le grand séisme, et a réalisé six grands parcs et quelques autres plus modestes, évoqués par Monsieur Ono ce matin (parc Hamachô, parc Sumida à Tokyo). De même, Reijo Oya a été formé dans cette faculté, puis a travaillé notamment sur le développement des espaces verts à Osaka. Ainsi, dans les réalisations de ces paysagistes japonais formés par Fukuba, on retrouve les principales caractéristiques du style français alors enseigné à travers le traité d’Édouard André. Le parc Hamachô (1923, 4,7ha) dessiné par Yoshinobu Orishimo présente notamment un style composite, des allées hiérarchisées et la mise en œuvre d’un système de perspectives en coulisses de théatre. De même, les dessins réalisés vers 1930 par Reijô Oya pour ses parcs publics reprennent, explicitement mais sans le mentionner, des descriptions et schémas du traité d’Édouard André.

Autre lieu de formation au paysage au Japon, l’Université impériale de Tokyo et sa faculté de Sylviculture était dirigée par Seiroku Honda (1886-1952) qui a réalisé l’un des premiers parcs publics du Japon, la parc Hibiya de Tokyo, en 1903. Ce parc Hibiya a été très marquant dans l’histoire des parcs publics au Japon pour sa modernité. Longtemps resté à l’état de projet, dessiné par Kodaira et Tanaka, entre autres, lors d’un concours, les projets ont été maintes fois rejetés par la municipalité de Tokyo. Les fonctionnaires étaient en mal de modèles et incapables de réaliser ce grand projet. Finalement le parc Hibiya sera dessiné dans ses grandes ligne par Seiroku Honda qui s’inspire alors du parc de la ville de Konitz, en Allemagne, pour son projet final. Ces grandes lignes, un système de zonage par fonction qui sera par la suite très fréquent au Japon, ont ensuite été complétées par de nombreux détails repris des projets antérieurs de la municipalité.  [ Voir Fig. 8 ]

 

Collaboration étroite entre deux écoles : projet du Sanctuaire Meiji

Honda et Fukuba ne s’entendaient pas très bien, mais ils se verront réunies dans un projet commun, celui du Sanctuaire Meiji et de ses deux jardins, intérieur (Naien – 1920) et extérieur (Gaien -1926), sur lesquels travailleront des émules des deux écoles, Hiroshi Hara, Yoshinobu Orshimo, Reijo Oya d’un côté, et Seiroku Honda, Tsuyoshi Tamura, Keiji Uehara, de l’autre.

Le sanctuaire et le temple ont d’abord changé de titre pour devenir « parc public », titre appliqué  pour des endroits traditionnellement fréquentés ou réputés par la population (Daijôkan fukoku) à partir de 1873. C’est dans ce cadre que les parcs Ueno et Asakuza avaient alors été réalisés. Puis, en 1888, la municipalité de Tokyo avait lancé un plan de réforme (Tôkyô Shikukaisei Keikaku) qui permit la réalisation du parc Hibiya. En 1919 est établi le code d’urbanisme (Tashikeikaku-hô). En 1923, le violent séisme de Kantō ravage une partie du Japon. Il sera suivi d’une grande campagne de réhabilitation des villes sinistrées. C’est dans ce cadre que seront réalisés les grands parcs de Hamachô, Sumida, Yamashita, notamment. Enfin, en 1939 est établi un plan d’espaces verts pour Tokyo, et de très nombreux autres espaces verts sont alors aménagés.

Le projet de commémoration des empereurs, relatif au Sanctuaire Meiji, est initié en 1915 et achevé en 1926, et prend donc place entre ces deux intenses périodes d’aménagement. En effet, l’aménagement du jardin intérieur du sanctuaire Shinto est décidé par le gouvernement en 1915. Le jardin extérieur, gaien, est lui envisagé comme un nouveau parc public moderne, destiné à être intégré dans le tissus urbain.

Le projet du jardin intérieur était extrêmement important, et nécessitait un grand nombre de spécialistes en création de parcs et en paysages. Les deux écoles, école d’Honda et école de Fukuba, ont été obligées de former activement de jeunes paysagistes pour compléter et organiser leurs équipes, chaque école travaillant avec ses concepts, sa propre philosophie et aussi sa propre mission pour le long terme. Ce projet prestigieux représentait donc une grande chance et un enjeu important pour ces deux principales écoles du paysage japonaises qui travaillent alors en collaboration. L’École d’Honda projette d’aménager le jardin intérieur en y créant « une forêt sacrée », et apporte au projet sa science de la sylviculture et l’influence de l’école allemande, tandis que l’école de Fukuba y introduit la culture de l’école française et y déploie sa science de l’horticulture. Ainsi, l’école de Honda travaille dans la zone sud du sanctuaire où elle réalise une grande forêt, tandis qu’au nord l’école de Fukuba réalise d’après les dessins de Orishimo une grande pelouse et une perspective qui ressemble beaucoup à celle de Shinjuku Gyoen. [ Voir Fig. 9 ]

 

 

Naissance d’un système de parc en collaboration entre les deux écoles

Fukuba avait en projet à l’époque de relier le jardin extérieur du Sanctuaire Meiji à Shinjuku Gyoen, mais cette jonction ne sera finalement pas réalisée. Il interviendra néanmoins sur le jardin du palais d’Akasaka, proche du Sanctuaire. L’équipe de Fukuba est très importante dans la dynamique générale, et elle crée, dans le cadre du projet du Sanctuaire, un parc de liaison, soit une sorte de système de parcs. Mais du point de vue de l’urbanisme cet ensemble de liaison n’a pas été compris comme un système de parcs car les jardins étaient avant tout considérés comme des sanctuaires. Ce système de liaison a été avant tout vu comme une « route secondaire (derrière) approchant du sanctuaire », Ura-Sando, tandis qu’au sud du parc est aménagée la « route principale approchant le sanctuaire », Omote-sando. [ Voir Fig. 10 ]

Ces deux projets de jardins liés au sanctuaire ont accéléré le développement de l’enseignement du paysage au Japon, et une troisième formation a été créée, à l’Université d’Agriculture de Tokyo (dont fait parti Monsieur Minomo intervenu ce matin), accueillant un département du Paysage dont sont issus Tsuyoshi Tamura et Keiji Uehara.

Ces quatre lieux, l’Université de Chiba et son département d’Horticulture, l’Université Impériale de Tokyo et sa faculté d’Horticulture et sa faculté de Sylviculture, ainsi que l’Université d’Agriculture de Tokyo et son département du Paysage sont historiquement les quatre premières écoles du paysage au Japon.

Aujourd’hui Shinjuku Goyen est un jardin très ouvert et très fréquenté, et il remplit bien sa fonction de parc public. Par contre, du point de vue de l’urbanisme, il est totalement absent des réflexions actuelles sur les espaces verts, et c’est peut être son statut de jardin impérial, devenu  « parc du peuple », qui explique cette situation de blocage.

Figures et illustrations

Figure 1 :

Photo aérienne des parcs et jardins principaux © Google Earth

Figure 2 :

Photo à gauche: Exposition de chrysanthèmes,organisée tous les ans à Shinjuku Gyoen

Photo à droite: Exposition de deux Ozukuri (大造り) offerts par le Shinjuku Goyen au Grand Trianon à Versailles Novembre, 2014

Figure 3 :

Visite de l’impératrice Teimei et du prince héritier Hirohito à la soirée d’observation des cerisiers en fleurs, accompagnés de dignitaires étrangers  (1928), © Archives de la Maison impériale

Figure 4 :

Hayato FUKUBA  (à gauche) et Henri MARTINET (à droite)

Figure 5 :

Etat du Shinjuku Gyoen en 1886 © FUKUBA, Hatsuzo. « Shinjuku Gyoen enkakuryaku-ki» (新宿御苑沿革略記)[Histoire résumée de Shinjuku Gyoen], Revue Parks and Open Spaces, 1949, vol.1, n°1, pp. 21-23 © Tôkyô: Nihon ryokuchi kyôkai

Figure 6 :

Dessin du projet proposé par Henri Martinet (1901) (à gauche) et

Dessin du projet proposé par Henri Martinet (1901) ( à droite) ©FUKUBA, Hayato. Kaigoroku (回顧録) [Autobiographie]. Tokyo : Kokuritsu kôen kyôkai Shinjuku Gyoen, 2006 (rédigé vers le début du XXe siècle)

Figure 7 :

Photos du parc prises vers 1930 @ Archives de la Maison impériale, 1930

Figure 8 :

Schéma de transmission de la théorie de l’école française du paysage et de celle de l’école allemande

Figure 9 :

photo à gauche: Allée d’accès dans la partie sud

photo en haut à droite: Grande pelouse avec la Perspective dans la partie nord

photo en bas à droite: Allée d’accès dans la partie sud

© Ministère de l’Intérieur. Meijijingû zôei-shi (明治神宮造営誌)

[Histoire du projet du SanctuaireMeiji ]Tôkyô : Ministère de l’intérieur, 1930

Figure 10 :

Yasuhiko Maejima , Liste des réalisations du Dr. Yoshinobu Oryshita (折下吉延先生業績録), 1867