Présentation générale du CIVA
Je suis curatrice « jardins et paysage » au CIVA et je vais vous présenter de manière globale le CIVA, sa mission et ses activités. La fondation CIVA, créée en 2016, est un centre d’archives et d’exposition, mais aussi une bibliothèque publique de plus de 50 000 volumes portant sur l’architecture, l’urbanisme et le paysage. De manière récurrente des expositions, essentiellement basées sur les archives, sont organisées. L’une des missions du CIVA est de valoriser ces fonds d’archives et de mettre en lumière l’œuvre de protagonistes de l’architecture et du paysage en Belgique, dont certains sont peu ou moins bien connus. En termes de chiffres, nous conservons plus ou moins 600 fonds d’architectes et de paysagistes au sens large, soit environ 550 en architecture et 60 en paysage. C’est en Belgique le plus important centre d’archives d’architecture et de paysage. Nous accueillons des chercheurs, des étudiants, des professionnels et le grand public sur demande. La fondation CIVA créée en 2016 résulte de la fusion d’une série d’associations à but non lucratif (Loi 1901) qui ont été en partie créées à la fin des années 1960, parmi lesquelles les renommées Archives d’Architecture Moderne, le Sint-Lukasarchief (son pendant néerlandophone), la Bibliothèque René Pechère (l’une des premières institutions à collecter des archives de paysage et à les valoriser), le centre Paul Duvigneaud, ce dernier étant l’un des pionniers de l’écologie dans les années 1960. Le CIVA est une fondation d’utilité publique, au statut semi-public grâce à une dotation de Bruxelles Capitale.
Depuis 2019 nous sommes membres du réseau européen d’archives de paysage, fondé en vue de favoriser la collecte, la préservation et la recherche sur les archives de paysage, domaine qui accuse encore un retard important comparé à celui de l’architecture, en termes de visibilité et de sensibilité de la part du grand public, des chercheurs et des professionnels du paysage eux-mêmes.
L’aire de collecte du CIVA se limite à la Belgique ainsi qu’à la pratique d’architectes et de paysagistes belges ayant exercé à l’étranger. Les archives couvrent un arc temporel qui va grosso modo du 19e siècle jusqu’à l’époque contemporaine, puisque nous poursuivons activement une politique d’acquisition auprès des architectes et des paysagistes.
Parmi ces fonds, certains sont sans doute plus célèbres que d’autres, comme celui de Renaat Braem, Jean-Jules Eggericx (auteur de cités-jardins à Bruxelles), le fonds Victor Horta ou celui d’Henry van de Velde. Parmi les paysagistes, nous conservons le fonds René Pechère, grande figure en Belgique et l’un des fondateurs de la fédération internationale des architectes paysagistes, le fonds de l’agence JNC ou encore des fonds institutionnels nationaux ou internationaux comme ceux de l’IFLA (Fédération Internationale des Architectes Paysagistes) ou d’ICOMOS-IFLA (Comité international des jardins et des Sites Historiques), entre autres.
Les supports sont très variés : archives graphiques (plans, dessins, croquis, etc.), archives écrites (correspondance, notes personnelles, devis, documents de suivi de chantier, etc.), documents photographiques, maquettes, archives audio et audio-visuelles, meubles, papiers peints et tissus. Les archives se déploient sur trois niveaux, soit environ 2 000 m². [ Voir Fig. 1 ]
La photographie
Pour revenir à la thématique d’aujourd’hui, relative à une vision et une collecte ciblée sur la métropole, notre collection étant très hétéroclite,nous ne nous focalisons pas, en premier lieu, sur la photographie. La majorité des collections photographiques est rattachée aux fonds d’architectes et de paysagistes. Nous conservons aussi quelques fonds de photographes professionnels (photos d’architecture ou autres), et des fonds d’origines diverses, provenant d’associations de préservation du patrimoine par exemple. Les supports sont de plusieurs types : plaques de verre, noir et blanc et couleur, négatifs et positifs, autochromes, négatifs souples, tirages, diapositives, CDs, l’ensemble étant conservé dans un local climatisé spécifique.
Nous n’avons donc pas à proprement parler de fonds spécifiquement ciblés sur la métropole mais nous conservons de très nombreuses photographies sur ce thème dispersées dans les fonds d’architectes, de paysagistes et de photographes : photos d’architectes et de paysagistes réalisées dans le cadre de la documentation d’un chantier, avant et après, destructions et constructions ; des photographies faites par des photographes professionnels, souvent travaux de commande, présentant moins une vision métropolitaine d’ensemble mais davantage des vues de façades, et nous renseignant sur un cadre plus large de façon aléatoire ; des photographies promotionnelles, commerciales. Nous avons également une collection importante de cartes postales qui témoignent d’une certaine vision de la métropole portée par la question du tourisme, de l’artialisation, influant sur les politiques d’aménagement dans un effet d’aller-retour entre ce qui est désirable et ce que l’on envisage pour le futur. [ Voir Fig. 2 ]
Présentation de quelques fonds contenant des photographies :
Fonds Willy Kessels (1898-1974) [ Voir Fig. 3 ]
Consultable partiellement sur le site https://kessels.ideesculture.fr/
Photographe et figure majeure de l’avant-garde belge en photographie, Willy Kessels est l’un des premiers photographes moderniste en Belgique. Il a rencontré notamment Le Corbusier et a fait des expositions avec Man Ray, Moholy-Nagy, Kertész…
Nous avons récemment acquis 8 000 prises de vue relatives à l’architecture, l’industrie et l’aménagement paysager en Belgique, entre 1920 et 1960.
En 2019, 4 400 négatifs ont été numérisés et mis en ligne (à basse résolution).
La majeure partie de ces photos a fait l’objet d’une commande de la part d’architectes, d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise, et leurs teneurs témoignent toujours d’une intention ciblée, d’une finalité particulière. La majeure partie des supports est constituée de négatifs monochromes sur verre et plastique, et de quelques négatifs couleur sur plastique.
Les photos sont classées par catégories (architecture domestique, artisanat et industrie, architectures des transports, moyens de transports et ouvrages d’art, parcs et jardins et espaces verts, urbanisme et aménagement, vues urbaines, etc).
Certaines catégories peuvent donc nous renseigner sur certaines visions métropolitaines et illustrent l’évolution de la ville.
Importants fonds d’entrepreneurs, notamment dans le domaine du béton et de la construction : Fonds de l’Entreprise Blaton ; fonds de l’Entreprise François (1950-1970)
Ces entreprises ont réalisé des projets architecturaux majeurs dans les années 1960, 1970 et 1980 à Bruxelles et contribué à transformer très largement la ville, le tissu urbain. Elles témoignent des constructions / démolitions entreprises alors et reflètent bien l’esprit d’une époque.
Fonds Lucien De Roeck (1915-2002) [ Voir Fig. 4 ]
Lucien De Roeck est un graphiste. Il a notamment travaillé dans le cadre de l’Exposition Universelle de 1958, à Bruxelles, exposition pour laquelle sera édifié l’Atomium. Le fonds de ce graphiste est particulièrement intéressant parce qu’il comporte une multitude d’images, dont on ne connait pas toujours la finalité, d’une grande qualité artistique. Certaines documentent les parcs bruxellois et les pratiques diverses des usagers. D’autres montrent l’incendie et la destruction d’un grand magasin du centre-ville. D’autres encore illustrent des folklores disparus.
Fonds de Jules Buyssens [ Voir Fig. 5 ]
Jules Buyssens, architecte paysagiste (1872-1958), est une figure majeure de l’architecture du paysage pendant la première moitié du 20e siècle en Belgique, et a notamment été l’architecte paysagiste en chef de l’Exposition Universelle de 1935 à Bruxelles.
Dans ce fonds se trouve une série importante de plaques de verre autochromes : vues de la roseraie créée en 1935 à l’Exposition universelle, des pavillons d’exposition, etc. Des photographies personnelles, comme ces vues de Bruges réalisées lors d’un voyage et sans lien direct avec sa pratique, font émerger de manière inattendue une certaine vision de la ville. Cela souligne la nécessité d’effectuer une recherche très large dans les fonds pour ne passer à côté de ces informations précieuses, pas nécessairement apportées par des photographes professionnels et apportant par conséquent des informations très différentes, moins circonscrites par un regard artistique.
Fonds Jean-Jules Eggericx
Architecte (1884-1963) ayant notamment réalisé la cité-jardin Le Logis-Floréal à Bruxelles, il se rend à l’Exposition Universelle de Paris et photographie la ville en 1937.
Fonds Le Logis-Floréal
Des dizaines de milliers de photos documentent toutes les phases d’élaboration – construction, évolution de la cité-jardin, depuis le site initial vierge à l’ouverture jusqu’aux années 1960 environ. Cette cité-jardin étant très célèbre, elle est particulièrement bien documentée.
Fonds Anny Haut – Paul Nemerlin [ Voir Fig. 6 ]
Photographes professionnels, ils ont documenté de manière systématique dans les années 1980 l’évolution du quartier européen à Bruxelles – le Parlement, la Commission, etc. Le fonds est clairement organisé, les lieux sont nommés sur chaque photographie précisément datée, et cela permet de lire en filigrane l’évolution très précise de cette partie de la ville, avant et après les chantiers. On trouve également des panoramas de Bruxelles dans ce fonds.
Fonds de l’Association Le Vieux Liège [ Voir Fig. 7 ]
Ce fonds provient d’une association de protection du patrimoine de Liège et date de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Ces photographies ont, semble-t-il, été prises dans un but très précis que l’on ne connait pas exactement, à ce stade. La recherche est ouverte. Elles sont collées sur des cartons identiques et numérotées de manière systématique. Cela documente probablement des bâtiments disparus, transformés, et forme des vues très pittoresques.
Le CIVA a également pour mission de valoriser ses collections par le biais de publications et d’expositions. Les Archives d’Architecture Moderne (AAM) publient depuis la fin des années 1960 de manière très régulière et abondante, et de très nombreuses publications utilisent évidemment des archives photographiques.
À Bruxelles, certaines associations, telles les AAM ont été créées en réaction à la « Bruxellisation ». En effet, dans le sillage de l’Exposition universelle de 1958, une vague de modernisation de la ville, suivant un urbanisme moderniste radical, a occasionné la destruction de quartiers populaires et d’une partie du tissu ancien du centre-ville, pour installer notamment de véritables autoroutes urbaines. De véritables luttes urbaines ont alors émergé et les AAM, par exemple, ont milité pour la préservation du patrimoine architectural de la ville. Elles ont fédéré et forgé un nouveau regard sur la ville, et se sont mobilisées pour sensibiliser les habitants et les pouvoirs publics à la préservation du patrimoine. Dans les années 1970 sont parus les premiers ouvrages valorisant l’Art nouveau, à travers des campagnes photographiques ciblées sur les bâtiments Art nouveau de Bruxelles. Cet Art nouveau méprisé par certains, et trop largement détruit dans les années 1960, sans que le pouvoir public ne s’en émeuve, a été valorisé à travers ces photographies, et plus tard par l’organisation, entre autres, d’expositions et de circuits Art nouveau en ville. La notion de « Bruxelles Capitale de l’Art nouveau » a été forgée à cette époque, un leitmotiv devenu aujourd’hui un outil de marketing urbain international… Cette grille de lecture photographique a donc remodelé la géographie de la ville de Bruxelles, alors perçue différemment, lui permettant au passage d’acquérir une renommée internationale.