La photographie peut documenter un résultat final, ou une situation telle qu’elle est, mais elle peut aussi documenter un processus de construction ou de démolition, et c’est ce à quoi le CCA s’est intéressé dès le début. C’est pourquoi nous avons beaucoup de photographies documentant des chantiers de construction, des bâtiments en construction, des villes en mutation et des ruines. Ces processus ne montrent pas seulement quelque chose qui était, mais aussi ce qu’il pourrait devenir, même si cela signifie qu’il devient une ruine ou un site déconstruit.
Photographies pour le futur du Grand Paris, le thème du symposium, présente un paradoxe. Les photographies sont toujours prises pendant ou après le fait. Alors que les visions sont censées explorer de nouvelles voies. Comment la photographie en tant que médium peut-elle être significative pour une vision de l’avenir ?
Les photos servent également de documentation pour la restauration. Parfois, elles ne sont pas faites avec cette intention, mais c’est ce qu’elles finissent par offrir au spectateur. Bien que vous ne puissiez probablement jamais revenir à la situation telle qu’elle apparaît sur une photo, la photographie historique devient plus pertinente pour le présent.
La collection de photographies sur Paris au CCA couvre certains moments spécifiques dans le temps et l’histoire et je vais d’abord vous donner un bref aperçu de ce qu’est cette collection et comment cela a commencé, puis je vous ferai part de mes réflexions sur des parties plus spécifiques de la collection, pertinentes pour la thématique de la conférence.
Le CCA a été fondé par Phyllis Lambert en 1979. Le bâtiment qu’elle a conçu avec Peter Rose a ouvert ses portes dix ans plus tard. La collection porte clairement sa signature. Elle a commencé à collectionner bien avant que le CCA n’existe. Au début des années 70, Phyllis Lambert a commencé à collectionner des photographies, avec Richard Pare. L’une des premières exposition et publications importantes, en 1982, a porté sur la collection de photographies, Photographie et architecture : 1839–1939. Le projet a révélé l’importance de la photographie à la fois comme mode de représentation et comme source de connaissances sur l’architecture.
La collection du CCA est unique en ce sens qu’elle n’est pas limitée dans le temps ni dans la géographie. Dans la collection du CCA, les idées et le processus de l’architecture sont au cœur des préoccupations, ou plus précisément, pour la collection de photographies, le processus du changement. Pour ce texte je veux écrire sur des œuvres liés à Paris qui montrent le changement dans la région métropolitaine.
La photographie est présente en fait dans toutes les parties de la collection du CCA : dans la collection de la bibliothèque, les archives, les estampes et dessins et la collection de photographies (voir : https://www.cca.qc.ca/fr/apropos-collection).
Dès les premiers moments de la photographie, Paris est bien représenté, ce qui n’est pas surprenant pour vous.
Édouard Baldus (1813-1889), qui a participé à de nombreuses enquêtes photographiques commandées par des organismes publics et privés, est très bien représenté au CCA, avec un corpus de quelque 800 images appartenant à tous les genres significatifs de son œuvre : architecture, grands travaux, paysage. [ Voir Fig. 1 ]
D’autres maîtres de sa génération, qui ont été choisis par la Commission des Monuments historiques de France pour participer à la première enquête en 1851, sont également représentés. Parmi eux : Gustave Le Gray (1820-1884) [ Voir Fig. 2 ] , avec un groupe de dix-huit photographies, et Henri Le Secq (1818-1882), avec deux albums de photolithographies couvrant les cathédrales de Chartres et de Reims. Les frères Bisson [ Voir Fig. 3 ] , réputés pour leurs vues d’architecture de grand format, sont représentés par cent-cinq photographies et trois albums ; Charles Nègre (1820-1880) par 46 photographies, 2 portfolios et un album, principalement sur l’architecture du Sud de la France et de Paris et ses environs ; et Charles Marville (1813-1879), photographe de plusieurs architectes et dont le travail est lié aux grandes transformations. [ Voir Fig. 4 ]
Un autre sujet d’importance de cette période, est la documentation des projets de génie civil qui ont introduit de nouvelles méthodes structurelles et techniques de construction. Le potentiel de la photographie est également exploité avec le développement des chemins de fer. Parmi les tout premiers et les plus beaux des inventaires photographiques consacrés aux nouvelles lignes de chemin de fer figurent deux grands albums de Baldus : Chemins de fer du Nord : Ligne de Paris à Boulogne et Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (1855). D’autres photographes ont adopté une approche créative du sujet, notamment Auguste-Hippolyte Collard (1812-1893) [ Voir Fig. 5 ] , Alphonse Terpereau (1839-1897), et J. Duclos (1824-1879). La collection comprend également un important ensemble de cinq volumes intitulé Travaux publics de la France (1883), consacré à l’histoire des grands projets de travaux publics en France.
Les chantiers de construction, qui ont suscité l’intérêt du CCA et qui sont bien représentés dans la collection, sont un sujet d’actualité. Avec par exemple la documentation photographique de Delmaet et Durandelle, représentée dans un grand groupe de travaux sur l’Opéra de Paris de Charles Garnier (114 photographies couvrant les sculptures et l’ornementation du bâtiment), la Tour Eiffel en 1888, et le Sacré-Cœur [ Voir Fig. 6 ] . Sur ce projet montmartrois, plus de cent photographies ont été regroupées dans un remarquable et unique album de travail (probablement constitué par Hubert Rohault de Fleury). Le CCA possède également une abondante collection d’œuvres photographiques qui ont été reproduites sous forme de gravures ou par des procédés photomécaniques dans diverses publications de toutes les époques.
La fin du XIXe siècle est également marquée par la production massive d’albums souvenirs et d’ouvrages illustrés destinés aux touristes. De nombreux studios commerciaux tels que Francis Frith and Co. et Valentine and Sons en Grande-Bretagne, A. Braun en France, et les firmes de C. Naya, G. Sommer, et Alinari en Italie. Elle présente des vues topographiques à grande échelle des principaux monuments et bâtiments publics, des églises, des ponts, des boulevards, des espaces publics et des scènes de rue. Je m’éloigne du sujet ici, en me concentrant non seulement sur Paris, mais ce qui rend la collection de photographies du CCA intéressante, c’est que vous pouvez réellement comparer les développements dans différentes parties du monde.
La collection de daguerréotypes du CCA est unique par le nombre et la qualité des œuvres consacrées à des sujets architecturaux. Parmi ces exemples exceptionnels, on trouve une remarquable série de vues de Paris datant des années 1840, réalisées par Victor Chevalier, Breton Frères, Alphonse Poitevin et Charles Nègre, entre autres. Mais bien sûr, pour les questions de ce séminaire, le support a une importance relative.
La photographie est entrée dans le XXe siècle avec les essais photographiques réalisés par les pictorialistes du début du siècle, qui ont opéré une rupture historique majeure en bouleversant de manière concluante les conceptions passées de la photographie.
Deux figures importantes de cette période sont Frederick Evans (1853-1943) et Eugène Atget (1857-1927). Atget s’est imposé comme l’une des figures les plus significatives du modernisme français grâce à son travail de documentation sur Paris et ses environs. Il est représenté dans la collection par 80 photographies représentant l’architecture, les parcs et les jardins.
La photographie expérimentale et les mouvements d’avant-garde constituent une large part de la collection. Quelques-unes des photos de Moholy Nagy (1895-1946) a été prise seulement trois ans après celle d’Atget, mais elle montre un bâtiment important de Paris d’une manière très différente.
Une toute autre partie de la collection du CCA présente des œuvres non construites de Paris. Ce sont des visions de ce que Paris aurait pu être. Ces photographies sont souvent cachées dans nos fonds d’archives, mais apparaissent également dans la collection de photographies. D’une certaine manière, ils semblent plus pertinents pour les questions d’aujourd’hui. Par exemple les photographies des modèles par Mallet-Stevens (1886-1945) et Robert Baugé [ Voir Fig. 7 ] ou les études futuristes d’Henri Sauvage (1873-1932). En 1927, il élabore une série de projets utopiques pour le bord de la Seine. Un projet pour un « immeuble à habitations et garage » qui pouvait être édifié sur un terrain vaste comprenait six cents appartements, un garage pour quatre mille voitures, quatre salles de tennis, un restaurant et une piscine. Ces projets représentent de vastes organismes urbains où la typologie pyramidale est envisagée à très grande échelle. Ces formes englobantes abritent des équipements qui transforment la ville en cité futuriste.
Avec cette note sur le futurisme, je veux aborder plus spécifiquement les questions posées dans le séminaire. Comment la photographie peut-elle contribuer à une conversation sur le Grand Paris et son avenir ?
En 1974, lors de la conférence Vers une qualité de vie, qui s’est tenue à Persépolis, l’architecte égyptien Hassan Fathy a déclaré : « Une ville n’est pas la pierre et les briques dont sont faits ses bâtiments. C’est un million d’actes qui entrent dans sa composition et les millions d’actes qui s’y déroulent à chaque instant. »
Cela m’amène à parler d’autres parties de la collection de photographies du CCA qui soulignent notre intérêt pour le processus d’architecture et d’urbanisme et les idées, plutôt que le résultat construit. Par exemple, notre grande collection de photographies qui montrent la construction du métro, par le photographe L. Petitot. [ Voir Fig. 8 ]
Des innovations en matière d’infrastructures à Paris, qui ont sans doute rendu la cité beaucoup plus grande, en parlant du Grand Paris, il n’y a qu’un pas vers l’architecture moderne. La photographie des projets de Mallet-Stevens montre ici comment le Paris moderne et celui du XIXe siècle se rejoignent [ Voir Fig. 9 ] . Suivie bien sûr par la photographie moderne, comme les œuvres d’Ilse Bing (1899-1998) [ Voir Fig. 10 ] . Une des seules femmes photographes de notre collection en passant.
Et de nombreuses photographies de la collection du CCA sur le Paris de l’après-guerre se trouvent également dans nos fonds d’archives, et pas seulement dans la collection de photographies. Comme cette photographie prise par James Stirling en 1954, de l’appartement de Corbu.
Et ceci m’amène à la fin de ma présentation. En plus de montrer ce que le CCA a dans sa collection, j’essaie de montrer que la ville est en constante évolution. La construction et la déconstruction sont de bons amis. La construction de la Tour Eifel ou du Sacré-Cœur ont autant d’impact que la déconstruction nécessaire à la construction de Beaubourg. Et cela me ramène à la citation de Hassan Fathy. La photographie montre un moment distillé dans le temps et peut en même temps offrir une fenêtre sur l’avenir.