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Fonds de paysagistes : quel apport pour l’histoire métropolitaine?

par Anthony Rigault

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DOI

10.25580/IGP.2021.0035

Archiviste aux Archives départementales des Yvelines. Après 5 ans passés au service des archives de l’Assemblée nationale, il rejoint en 2008  les Archives départementales des Yvelines en 2008 pour assurer le suivi des administrations et de la collecte, notamment autour des questions de l’environnement et de l’aménagement du territoire. En parallèle, il dispense des cours d’archivistique à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines et à l’Ecole du Louvre.


Mon intervention porte sur l’apport des fonds de paysagistes pour l’histoire métropolitaine, fonds d’archives assez méconnus, souvent peu collectés et peu valorisés jusqu’à une période récente.

Autour des années 2000 une grande campagne de collecte d’archives d’architectes a été effectuée en France. Beaucoup de ces fonds sont aujourd’hui conservés à la Cité de l’architecture mais aussi dans les services d’archives publiques, certains aux archives départementales des Yvelines. Cette passion de l’architecture s’est un peu essoufflée et depuis une dizaine d’années une nouvelle orientation s’ouvre vers les archives des paysagistes et les archives départementales des Yvelines se sont beaucoup investies dans cette collecte particulière.

À l’origine de cette collecte atypique, la signature en 2010 d’une convention tripartite entre l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles (ENSP), le Conseil des Yvelines, dont dépendent les archives départementales, et les Archives de France. Cette convention régit la conservation des archives de l’école d’une part, et d’autre part celle de fonds privés de paysagistes qu’elle détenait. Elle comporte un deuxième volet dédié à la prospection et la collecte de fonds privés de paysagistes. Depuis quelques décennies l’ENSP avait en effet identifié et récupéré des fonds de paysagistes qu’elle stockait dans ses locaux, mais sans service spécifique dédié à la gestion de ces archives. Ainsi Stéphanie de Courtois[1] a notamment sauvé le fonds de l’agence Edouard André et Bernadette Blanchon[2] les fonds des architectes paysagistes Jean Challet et Jean Camand. L’ENSP et les Archives départementales souhaitaient conserver au niveau local ces archives qui avaient normalement vocation à rejoindre les Archives nationales du fait du statut de l’école (établissement public national). Le lien fort entre ce territoire, l’horticulture et le paysage est très ancien. Depuis les premières acclimations et pépinières au jardin de Trianon sous Louis XV, Versailles et sa région sont la capitale de l’horticulture en France. L’horticulture est présente dans l’ouest parisien depuis le XVIIIe siècle et a eu un impact très significatif en matière de paysage. Une première école Nationale d’Horticulture s’est installée dès 1874 sur le site du Potager du Roi. Dès la fin du XIXe siècle, des cours d’architecture des jardins y sont enseignés, et en 1946 une section « paysage et architecture des jardins » est créé au sein de l’ENH. Cette section s’est développée pour devenir l’ENSP en 1976. Désormais l’ENSP est totalement autonome et seule sur le site du Potager du Roi.

La signature de la convention que je viens d’évoquer s’est aussi inscrite dans le contexte de l’exposition « J’ai descendu dans mon jardin, parcs et jardins au XIXe dans les Yvelines », exposition réalisée par les Archives départementales des Yvelines qui a révélé toute la richesse de ces sources inédites, et notamment du fort impact sur l’aménagement du territoire dans l’ouest parisien, avec la création des lotissements du Vésinet puis de Maisons-Laffitte notamment. L’intérêt de poursuivre la collecte et la conservation de ces sources était indéniable, intérêt renouvelé par la journée d’étude « Archives de paysagistes et projet de paysage : des archives vivantes pour penser la ville durable d’aujourd’hui » en 2017, organisée conjointement par les Archives nationales et l’ENSP. Ces journées d’étude portaient cette fois sur une période beaucoup plus récente, la seconde moitié du XXe siècle.

Dans le cadre de cette convention, le fonds de l’école nationale d’horticulture puis des fonds d’anciens élèves, d’enseignants et d’agences de paysagistes de la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours sont entrés aux Archives départementales des Yvelines.

 

Parmi ces fonds de paysagistes que nous avons collectés depuis 2010, je vous présente aujourd’hui trois fonds dans lesquels on trouve parfois des photographies, et vais revenir sur l’usage spécifique que chaque architecte paysagiste faisait, ou non, de ce médium.

 

Fonds Jean Camand (1924-1991)[3]

Jean Camand est ingénieur horticole et obtient le titre de paysagiste DPLG en 1955. Il a travaillé au sortir de la guerre dans les ministères de la Reconstruction à la ville de Paris et répond aux nombreuses commandes publiques liées aux aménagements d’espaces verts, de logements et de grands ensembles en Île-de-France (ZAC de la Porte de Champerret, Sarcelles, etc). Son fonds d’archives est constitué de nombreux documents techniques, plans, coupes, suivis administratifs, mais curieusement il ne contient aucune photographie. On peut donc émettre deux hypothèses : soit il existait un petit fonds photographique, souvent rangé à part, qui n’a pas été collecté (qui reste peut-être conservé par la famille), soit l’auteur ne faisait pas usage de la photographie. Cette dernière hypothèse me semble la plus probable, mais le sujet reste à creuser.

 

Fonds Jean Challet (1924-2006)[4]

Ce fonds a été repéré, comme le précédent, par Bernadette Blanchon. Jean Challet est issu de la première promotion de la section Paysage et art des jardins, et devient paysagiste DPLG dans les années 50. Il travaille quelques temps au Maroc pour les ministères de l’urbanisme et de la construction. Il réalise alors des études d’aménagement, d’urbanisme et de paysage et conçoit des programmes de plantations et des espaces verts pour les villes d’Agadir, Rabat et Fès (parcs urbains, abords d’équipements et bâtiments publics, aménagements touristiques, stations estivales et thermales). Dès les années 50 il recourt à la photographie et documente ainsi tous ses projets, notamment les destructions du séisme d’Agadir en 1960.

Revenu en France, Il poursuit sa carrière au sein de l’OREAM Nord-Pas-de-Calais (organisme régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine) entre 1967 et 1978 et documente systématiquement ses études par la photographie des sites. Il crée même un service de documentation photographique pour l’OREAM intégré ensuite à la photothèque du CETE Nord-Picardie (centre technique d’études de l’Equipement). Dans la région parisienne, il réalise un projet de jardin privé et un dossier pour la protection du site de l’étang de Saint-Quentin en Yvelines. D’une manière générale, il utilise la photographie lors des phases d’étude et de conception.

 

Fonds Jacques Sgard [5]

Ce fonds est le plus volumineux (45 mètres linéaires) et le plus intéressant de notre collection. Cette grande figure du paysagisme en France est précurseur dans l’étude et l’aménagement de paysage à grande échelle. Paysagiste DPLG issu de l’école d’horticulture de Versailles, il est également diplômé de l’institut d’urbanisme en 1958 et crée l’agence d’urbanisme et de paysage. Il réalise notamment les espaces verts de la cité des 4000 à la Courneuve (1963-1965), les espaces extérieurs de la cité de la Maurelette à Marseille (1966-67), ainsi que le parc André Malraux à Nanterre, dans les années 70. Son travail prend ensuite un véritable tournant avec la réalisation d’études de paysages à grande échelle, pour le ministère de l’environnement par exemple ou des organismes régionaux comme les OREAM, le SDAU ou encore des études d’impact pour EDF. Il produira ainsi une étude en 1996 sur la région Île-de-France, et en 1999 sur le département de la Seine-Saint-Denis. Il dirige également la rénovation de parcs et jardins en Île-de-France, de domaines nationaux comme Marly, Rambouillet, du musée Rodin, etc. Pour l’Ile-de-France, il travaille aussi à la restauration de parcs (Désert de Retz à Chambourcy (78), de Breteuil (78), du domaine de Chamarande (91), du jardin des Tuileries et du musée Rodin. Dans le domaine de l’aménagement du territoire, il collabore avec les établissements publics d’aménagement (EPASQY) pour l’aménagement de la base de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines, avec l’EPAFRANCE (création de Val d’Europe), l’EPA MARNE (projet de Marne la Vallée et l’implantation d’Eurodisney), et l’EPEVRY (parc des Loges), notamment.

Ce fonds est donc assez riche pour la région parisienne et contient une photothèque particulièrement intéressante. Généralement, le fonds est constitué de dossiers papier, plans roulés en tube ou pliés dans les dossiers, cartes, cartes IGN, et des photographies (diapositives, de nombreux négatifs, des tirages) réunis dans une petite photothèque ou insérés dans les dossiers. Utilisées en phase préparatoire, les photographies sont accolées à ses croquis et dessins dans une mise en page d’ensemble soignée. Ainsi, son carnet réalisé en 2012 et dédié à la réhabilitation de l’abbaye de Moyenmoutier (Vosges) est composé de croquis, d’anciennes gravures et de photographies assemblés de telle manière qu’ils permettent de comprendre le cheminement de son projet.

 

Ainsi, comme l’étude de ces trois fonds en témoigne, ces trois paysagistes, pourtant issus des mêmes formations et d’une même génération, utilisaient très diversement la photographie, le plus généralement pour son aspect documentaire. Certains comme Jean Camand semblent en avoir eu très peu l’usage, d’autres comme Jacques Sgard l’utilisent au contraire comme élément constitutif de recherche et d’élaboration de projet. Cela illustre aussi l’évolution du métier de paysagiste qui ne travaille plus, comme au XIXe siècle et dans la première moitié du XXème, à l’échelle du jardin ou du parc privé mais désormais à l’échelle d’un quartier, voire dans le cas de Jacques Sgard à l’échelle beaucoup plus large des sites naturels, de grandes entités géographiques concernées par la préservation, l’intégration paysagère de grandes infrastructures routières, lignes électriques, etc.

Des photographies utilisées pour les phases d’étude et de conception, photographies de chantier, pour la remise de livrables au commanditaire et photographies promotionnelles témoignent de l’usage grandissant de ce médium dans la pratique des paysagistes.

Les structures publiques évoquées précédemment ont obligation d’archiver leurs fonds dans nos services mais ces fonds sont souvent très arides, essentiellement administratifs. La collecte complémentaire, par nos soins et avec l’aide des chercheurs, de fonds privés s’avère très pertinente pour une approche plus fine du travail de ces paysagistes. Le matériau photographique y joue un rôle majeur dans l’élaboration des projets de paysages et plus globalement dans l’aménagement du territoire.