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DOI

10.25580/IGP.2021.0032

Frédéric Pousin :

Martien de Vletter a évoqué la révision actuelle du dispositif de description des collections du CCA. Ces fonds sont actuellement organisés en fonction de thématiques comme le changement, la construction civile, etc. Ces motivations qui permettent d’organiser les fonds ne sont pas du même ordre que le travail de description. Ursula Wieser a évoqué la possibilité grâce à des mots-clefs de retrouver peut-être des visions métropolitaines qui nous intéressent ici. Ma question porte sur la nature de ces descriptifs. Comment sont-ils mis au point ? En quoi et comment emploient-ils des vocabulaires de spécialités ? Jusqu’où peut-on aller dans l’usage d’un vocabulaire spécialisé ?

 

Martien de Vletter :

C’est un projet très complexe. Même si nous pensons avoir décrit le matériel de manière neutre, en termes de description physique ou de description de l’image ou de la scène, nous savons maintenant que nous avons mis en avant certaines histoires, ce qui signifie que nous en avons négligé d’autres. Dans notre monde numérique et virtuel, cela devient en fait problématique. Cela signifie que si vous recherchez, par exemple, des œuvres représentant le « travail », vous ne trouverez pas les photographies de la construction du Sacré-Cœur, car nous n’avons jamais utilisé ce mot-clé pour la décrire. Les bibliothèques utilisent un vocabulaire contrôlé, mais pour les collections de musées, comme notre collection de photographies, c’est moins évident.

 

Ursula Wieser :

Nous avons deux niveaux de nomenclature. L’une est relativement normalisée et fixée par rapport aux projets d’architecture et de paysage, avec des mots-clefs comme « esquisse », « avant-projet » par exemple, termes qui correspondent à ceux des lexiques de la pratique architecturale ou paysagère. Cette spécificité du vocabulaire est très importante pour que les chercheurs puissent retrouver ce qui les intéresse. L’autre nomenclature, relative à de grandes catégories, est plus souple. De très nombreuses images sont dans plusieurs catégories en même temps. Cette classification fait l’objet de nombreux débats au sein du CIVA car il n’y a pas une seule option, une seule thématique valable et définitive. On essaie de trouver une logique de classement utile au public extérieur et pas seulement valable pour le service d’archives lui-même.

 

Sonia Keravel :

On s’aperçoit que les photographies ne sont pas toujours répertoriées en tant que telles, sauf lorsqu’il s’agit spécifiquement d’un fonds de photographe. Pourtant les collections en sont riches. Avez-vous, au-delà de la nomenclature, un principe d’organisation de vos collections ? Est-il commun à tous les centres d’archives ?

 

Ursula Wieser Benedetti :

Nous suivons les grands principes de l’archivistique, et en particulier, on ne change pas l’organisation d’origine d’un fonds. Il est archivé avec sa structure d’origine. Dans les fonds sur lesquels on a travaillé plus longuement, on procède à un archivage et une identification à la pièce, avec des notices descriptives qui reprennent, lorsqu’ils existent, les descriptifs établis par les architectes ou les paysagistes eux-mêmes, parfois indiqués au dos des documents par exemple. Par exemple, il y a des fonds où le producteur a suivi une logique chronologique :, on va suivre cette logique pour l’archivage de ce fonds. Les photographies sont en règle générale physiquement rangées ailleurs (pour des raisons de conservation – local climatisé dédié), mais elles sont toujours rattachées dans les inventaires aux dossiers d’origine. On mentionne la place initiale exacte de la photographie dans le fonds d’origine.

 

Antonello Frongia :

Lorsque l’on analyse un fonds, il est parfois pertinent de rassembler les photographies en série pour comprendre le travail du photographe. Certaines séries ont une unité de temps, d’autres d’espace ou relèvent d’une commande spécifique sur un thème, etc. Parfois le photographe lui-même établit une série rétrospectivement, pour éclairer son travail. Elle n’est pas toujours identifiable dès le début. Bien sûr l’unité de base est la photographie, mais seule elle n’est pas toujours compréhensible.

 

Martien de Vletter :

Dans nos descriptions, on essaie de rester au plus près de l’intentionnalité du créateur, mais il nous faut deviner cette intention lorsqu’elle n’est pas documentée clairement par un titre ou un document annexé à la photographie.

 

Ursula Wieser :

On suit toujours l’ordre d’organisation physique initiale du fonds pour l’archiver, mais lorsque l’on prépare une exposition, et suite à la numérisation de très nombreux négatifs et positifs, on travaille sur le fonds et on le réorganise en fonction de temporalités choisies, de thèmes relatifs à l’exposition. On cherche à faire émerger du sens. Mais cela ne change rien à l’organisation et au classement du fonds dans nos archives. Nous n’avons hélas pas toujours la possibilité ni le temps de faire de la recherche sur chaque fonds car nous avons beaucoup de pièces à indexer quotidiennement.

 

Martien de Vletter :

Les archivistes du CCA décrivent les archives en suivant la logique que les autres ont également décrite : aboutir à un instrument de recherche, avec des descriptions de groupes de documents, suivant les activités du créateur de l’archive. Dans notre cas, il s’agit souvent d’architectes, d’historiens ou de critiques. Notre conservateur de la photographie et nos catalogueurs décrivent les photographies de notre collection de photographies. La collection de photographies est décrite au niveau des objets : chaque objet a sa propre description. Cette description, comme je l’ai dit, était autrefois aussi factuelle que possible, sachant que les faits ne sont pas aussi neutres qu’on pourrait le croire.

Les chercheurs ajoutent une autre couche aux différentes œuvres, mais leurs observations ne sont pas toujours incluses dans nos bases de données.

Le travail d’interprétation est traditionnellement le domaine du chercheur, qui incorpore un élément dans le contexte d’un discours spécifique. Il est différent de la pratique technique du catalogage ou de la description, qui est traditionnellement le domaine du catalogueur ou de l’archiviste, qui essaie d’utiliser une terminologie cohérente (métadonnées) pour de multiples enregistrements afin de permettre la découverte de tous les éléments concernant un sujet. Les sujets existent avec des portées différentes et le langage qui informe les métadonnées doit fonctionner de manière cohérente à tous ces niveaux. Notre évolution est que l’interprétation se fait de plus en plus parallèlement au travail de catalogage. L’un soutient l’autre, les rôles se confondent, et le travail d’interprétation révèle des insensibilités, des préjugés et des logiques qui doivent être pris en compte lors du catalogage.

 

Ursula Wieser :

Oui, c’est un travail qui est partiellement réalisé par les chercheurs qui nous aident beaucoup dans cette tâche. C’est pourquoi au CIVA nous les encourageons vivement à venir régulièrement et à « fouiller » dans nos archives ! Le résultat de leurs recherches est aussi utilisé pour indexer nos fonds.

 

Nathalie Roseau :

Ma question porte sur vos différentes missions. On a évoqué la production d’archives, l’acquisition, la préservation, la mise à disposition et l’ouverture de ces archives par le biais d’expositions ou de publications. Pour aller encore davantage vers la recherche, comment stimuler ou susciter la recherche autour de cette question des représentations métropolitaines ?

 

Ursula Wieser :

Le CIVA est en relation permanente avec le réseau universitaire belge. Ce partenariat est très dense. Actuellement un doctorant de l’université d’Anvers travaille sur Paul Duvigneau et s’appuie en grande partie sur nos archives. Le CIVA organise aussi régulièrement des tables rondes afin que les chercheurs présentent leurs travaux.

Certaines thèmes suscitent particulièrement l’utilisation massive de photographies. En 2017 par exemple, le CIVA a fait une exposition sur les luttes urbaines dans les années 60-70 à Bruxelles, et à cette occasion des centaines de photographies issues de nos fonds ont été montrées, photographies souvent prises par les activistes eux-mêmes. Donc certaines expositions sont constituées de très nombreuses photographies, d’autres moins. Cela dépend du thème, de l’époque et des modes de représentations utilisés alors. Cela dépend aussi de la disponibilité du matériel, et donc du hasard de la collecte, de l’histoire des fonds. On travaille aussi avec les manques.

 

Martien de Vletter :

Notre premier point d’accès et de découverte est notre site web. Il permet à de nombreuses personnes de différentes parties du monde d’accéder à notre collection, mais le site web est également une plateforme de publication. Cette plateforme permet de publier différents essais, mais nous l’utilisons également pour montrer les résultats de résidences spécifiques dans la collection, par exemple avec notre programme Find & Tell. En outre, nous avons des programmes de recherche spécifiques, comme notre programme de doctorat, pour lequel nous collaborons avec une vingtaine d’universités dans le monde, ou le programme de recherche interdisciplinaire financé par la Fondation Mellon. Ainsi, d’une part, nous définissons des thèmes et des sujets que nous pensons être importants à traiter. Mais les thèmes et les sujets nous parviennent également grâce à la collaboration et aux visites de chercheurs externes.