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© Inventer le Grand Paris

Des motifs paysagers pour interpréter le renouvellement urbain: lecture de projets portant sur le patrimoine du XXe siècle dans le Grand-Paris

par Alexandre Callens

Résumé

Cette communication développe l’outillage conceptuel des motifs paysagers afin d’interpréter des processus de renouvellement urbain. L’enjeu est de nourrir les réflexions sur les projets contemporains ayant pour objet le patrimoine architectural, urbain et paysager du XXème siècle, dans le contexte du Grand-Paris.

Plus précisément, cette communication se base sur la rénovation de la cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry, faisant l’objet d’une controverse médiatisée. Bien que les impacts environnementaux et sociaux soient évoqués, la critique concerne avant tout la dimension patrimoniale de cet ensemble urbain construit entre 1931 et 1965. En effet, le projet porté par la municipalité prévoit de nombreuses démolitions tandis que le ministère de la culture appelle à préserver. Certains professionnels et chercheurs de l’histoire de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage interviennent dans ce débat pour défendre le patrimoine de la Butte-Rouge. Leur argumentation s’appuie sur l’analyse de rénovations urbaines portant sur d’autres opérations emblématiques des années 1920 à 1970. Ainsi, ce cas de Châtenay-Malabry interroge plus largement la place de la connaissance scientifique de l’urbanisme du XXème siècle et des projets de rénovation déjà réalisés, dans le but de penser les processus de renouvellement urbain contemporain.

Cette intervention contribue à ce questionnement en proposant un outillage d’étude des ensembles urbains significatifs de l’urbanisme des années 1920 à 1970, dans le temps long de leur mise en œuvre et de leur transformation récente et à venir. L’objectif est de s’inscrire à la fois dans une perspective de recherche scientifique et de diagnostic opérationnel. Pour cela, un outil d’interprétation issu des démarches paysagères est revisité : le « motif ». Il est utilisé dans le cadre d’une lecture comparative pour identifier et questionner quelques positionnements significatifs de l’aménagement contemporain du Grand-Paris par rapport aux héritages des années 1920 à 1970. L’analyse de la conception spatiale des rénovations est associée aux dimensions socio-économiques, culturelles et politiques qui les accompagnent. Cette démarche vise à prendre du recul et à nourrir des débats susceptibles d’alimenter les processus opérationnels.

L’exposé se basera sur des travaux du master « Diagnostic historique et aménagement urbain » (Université Gustave Eiffel), avec un essai de comparaison entre le projet en cours sur la cité-jardin de Châtenay-Malabry et le renouvellement urbain de la cité-jardin du Plessis-Robinson et de la cité de la Plaine à Clamart.

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Alexandre Callens est architecte DE-HMONP et docteur en urbanisme et aménagement de l’espace (Université Paris-Est). Il est praticien en agence d’architecture et d’urbanisme, enseignant vacataire (école d’architecture, Université Gustave-Eiffel), et chercheur associé à l’Institut Parisien de Recherche Architecture Urbanistique Société (IPRAUS). Ses recherches portent sur l’expertise paysagère, l’inter-professionnalité (histoire de l’urbanisme, écologie,…), et les processus de planification territoriale de la transition socio-écologique.


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Cette communication développe l’outillage conceptuel des motifs paysagers afin d’interpréter des processus de renouvellement urbain. L’enjeu est de nourrir les réflexions sur les projets contemporains ayant pour objet le patrimoine architectural, urbain et paysager du XXème siècle, dans le contexte du Grand-Paris.

Plus précisément, cette communication se base sur la rénovation de la cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry, faisant l’objet d’une controverse médiatisée. Bien que les impacts environnementaux et sociaux soient évoqués, la critique concerne avant tout la dimension patrimoniale de cet ensemble urbain construit entre 1931 et 1965. En effet, le projet porté par la municipalité prévoit de nombreuses démolitions tandis que le ministère de la culture appelle à préserver. Certains professionnels et chercheurs de l’histoire de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage interviennent dans ce débat pour défendre le patrimoine de la Butte-Rouge. Leur argumentation s’appuie sur l’analyse de rénovations urbaines portant sur d’autres opérations emblématiques des années 1920 à 1970. Ainsi, ce cas de Châtenay-Malabry interroge plus largement la place de la connaissance scientifique de l’urbanisme du XXème siècle et des projets de rénovation déjà réalisés, dans le but de penser les processus de renouvellement urbain contemporain.

Cette intervention contribue à ce questionnement en proposant un outillage d’étude des ensembles urbains significatifs de l’urbanisme des années 1920 à 1970, dans le temps long de leur mise en œuvre et de leur transformation récente et à venir. L’objectif est de s’inscrire à la fois dans une perspective de recherche scientifique et de diagnostic opérationnel. Pour cela, un outil d’interprétation issu des démarches paysagères est revisité : le « motif ». Il est utilisé dans le cadre d’une lecture comparative pour identifier et questionner quelques positionnements significatifs de l’aménagement contemporain du Grand-Paris par rapport aux héritages des années 1920 à 1970. L’analyse de la conception spatiale des rénovations est associée aux dimensions socio-économiques, culturelles et politiques qui les accompagnent. Cette démarche vise à prendre du recul et à nourrir des débats susceptibles d’alimenter les processus opérationnels.

L’exposé se basera sur des travaux du master « Diagnostic historique et aménagement urbain » (Université Gustave Eiffel), avec un essai de comparaison entre le projet en cours sur la cité-jardin de Châtenay-Malabry et le renouvellement urbain de la cité-jardin du Plessis-Robinson et de la cité de la Plaine à Clamart.


Comme nous l’avons vu en introduction de ce séminaire, le renouvellement urbain est inscrit dans la planification d’Ile-de-France avec un objectif de mixité sociale et de développement durable. Dans la première couronne du Grand-Paris, il s’applique en partie sur des opérations caractéristiques de l’histoire urbaine des années 1920 à 1970.

Au sein de la commune de Châtenay-Malabry, plusieurs ensembles urbains significatifs du XXème siècle sont l’objet d’un renouvellement urbain, et celui de la Butte-Rouge fait débat. Des démolitions et transformations importantes sont envisagées par la municipalité tandis que l’État appelle à préserver[1]. Les impacts environnementaux et sociaux sont évoqués, mais la critique porte avant tout sur les altérations du patrimoine architectural et paysager reconnu de cette cité-jardin.

Dans ce débat, certains professionnels et chercheurs de l’histoire de l’urbanisme défendent le patrimoine de la Butte-Rouge, tels que Benoît Pouvreau et Jean-Louis Cohen[2]. Leur argumentation s’appuie sur l’analyse de cités-jardins ayant fait l’objet de préservations ou de démolitions/reconstructions, avec les exemples de Stains et du Plessis-Robinson.

Le débat sur le projet de rénovation de la Butte-Rouge me parait intéressant car il mobilise des connaissances scientifiques concernant l’urbanisme du XXème siècle. Cela interroge plus largement leur place dans les processus de renouvellement urbain.

 

Un outil de recherche historique avec des applications opérationnelles

 

Cette communication souhaite contribuer à ce questionnement par un outillage d’analyses:

  • permettant d’une part une recherche scientifique interdisciplinaire pour comparer et comprendre ces opérations de renouvellement urbain.
  • et permettant d’autre part une ouverture vers les processus opérationnels, faisant intervenir les enjeux du diagnostic et de la concertation.

L’outil exploré est le « motif paysager », dont je propose d’expliquer le cadrage théorique, et d’esquisser un premier essai d’analyse.

 

Le motif paysager comme outil d’interprétation interdisciplinaire

Contexte de la proposition méthodologique

Cette proposition se nourrit d’un atelier du master « Diagnostic historique et aménagement urbain ». Dans ce contexte pédagogique, les étudiants ont comparé des opérations de renouvellement urbain situées dans le territoire des Hauts-de-Seine, incluant des opérations de Châtenay-Malabry. L’intérêt porte sur l’histoire longue d’ensembles urbains du XXème siècle, allant de leur conception et mise en œuvre jusqu’aux transformations actuelles. Cet atelier est encadré par un historien académique, Loïc Vadelorge, et un architecte-urbaniste, moi-même. La démarche interdisciplinaire que nous proposons repose sur:

  1. L’utilisation de différents matériaux: représentations graphiques associées à l’arpentage du terrain, documents d’archives, entretiens, références bibliographiques, etc…
  2. L’articulation entre une lecture des formes urbaines et une histoire sociale et politique.
  3. La déclinaison d’une recherche d’ordre académique vers des applications opérationnelles, à travers la diffusion de questionnements auprès d’un public large (avec une promenade urbaine, des publications sur internet, etc…) et l’élaboration de préconisations.
  4. La définition d’un cadre de travail pour réaliser une lecture comparative.

Pour mener cette démarche interdisciplinaire complexe, l’outillage des motifs paysagers me semble ouvrir des pistes méthodologiques intéressantes.

 

Le socle théorique

Afin de détailler le socle théorique des « motifs paysagers », j’interprète un extrait de l’ouvrage « Les raisons du paysage » d’Augustin Berque[3].

Tout d’abord, dans une approche du milieu géographique, il précise que les « motifs […] tendent à se reproduire, à se représenter dans chaque nouveau paysage ». Par conséquent, les motifs renvoient à des caractéristiques pouvant se répéter dans des contextes différents, ce qui est intéressant pour mener une comparaison.

Ensuite, Berque indique que les motifs ont une double composante:

  • avec d’une part « les traits caractéristiques des aménagements qu’une certaine société fait de son milieu [… s’étudiant] en termes d’objets, dans une morphologie positiviste ».
  • et d’autre part une « dimension symbolique ».

Les motifs permettent ainsi d’articuler une lecture morphologique avec une approche historique s’intéressant aux valeurs et significations socio-économiques, culturelles et politiques.

Enfin, Berque précise qu’il résulte de cette conjonction « la motivation qui fait qu’une certaine société aménage son milieu dans un certain sens ». Cela suggère qu’une analyse des motifs est utile aux projets d’aménagement, à travers l’identification et la mise en discussion des « motivations » qui président aux actions. Cela répond à l’objectif d’articuler la recherche fondamentale et appliquée.

 

Un ancrage dans les pratiques des paysagistes

Les idées mises en avant par Berque circulent dans la sphère professionnelle des paysagistes qui développent l’outil des motifs.

Il est introduit en 1993 dans le manuel Plans de paysage, auquel a notamment contribué Alain Mazas, et en 2001 dans le Guide des plans de paysage, des chartes et des contrats de Bertrand Folléa. En cohérence avec le propos de Berque, l’analyse des motifs porte sur des éléments du paysage – comme le bâti, les arbres, un plan d’eau, etc… – associés à des valeurs culturelles, socio-économiques et symboliques. Il est précisé que c’est à partir de « ces valeurs que l’on pourra s’appuyer pour proposer des actions de valorisation du paysage »[4], et travailler avec les acteurs du territoire.

Avec l’exemple du travail de Mazas à Decize, on remarque que l’analyse des motifs fait intervenir des photographies, des cartes et du texte. Des cartes postales, ouvrages, affiches, tableaux, etc… peuvent également être employés[5]. Cette utilisation d’une diversité de matériaux est intéressante car elle renvoie aux multiples sources de l’historien académique et de l’architecte.

L’outil des motifs répond ainsi à la démarche interdisciplinaire énoncée précédemment.

 

Revisiter l’outil des motifs paysagers dans le contexte du Grand-Paris

Etant donné que l’on s’intéresse au territoire du Grand-Paris, il est important de souligner que la première couronne a fait l’objet d’une lecture par motifs paysagers lors d’une recherche appliquée menée à la fin des années 1990. Elle est présentée dans un des cahiers de l’IAURIF sur le paysage[6]. Les fondements théoriques font écho à ce qui vient d’être vu, l’analyse des motifs aidant à l’action urbanistique.

Toutefois, plusieurs aspects distinguent ce travail de la démarche présentée dans cette communication. En effet, je propose une lecture de morphologies urbaines en les associant à des considérations sociales, économiques et politiques. Il ne s’agit pas d’une approche de la forme urbaine suivant les valeurs culturelles véhiculées par l’art, ces dernières étant issues de  la philosophie esthétique d’Alain Roger[7]. De plus, l’analyse ne porte pas sur la banlieue dans son ensemble, mais sur des opérations des années 1920 à 1970 faisant l’objet d’un renouvellement urbain (cités-jardins, grands ensembles, équipements des Trente Glorieuses,…).

L’essai d’analyse comparative de cette communication sélectionne des opérations étudiées dans le cadre de l’atelier « diagnostic historique et aménagement urbain » [ Voir Fig. 1 ] . Le projet de la Butte-Rouge est choisi du fait des débats actuels dont il est l’objet. En complément, des projets comparables ayant une valeur patrimoniale reconnue sont sélectionnés. Ils ont fait l’objet ces dernières décennies de démolitions, avec le cas de la cité-jardin haute du Plessis-Robinson, ou de préservations, dans le cas de la cité de la Plaine à Clamart. Ces trois cas d’étude sont regroupés autour d’un même plateau et ils s’inscrivent dans le périmètre du projet « La cité-jardin du Grand Paris » du concours de 1919[8]. Les grands ensembles mis en œuvre dès le milieu des années 1950 et les grands équipements des Trente Glorieuses ne sont pas traités dans cet essai, étant entendu qu’il s’agit d’une étape de travail à développer. L’objectif est de présenter l’outillage des motifs paysagers, d’esquisser une méthodologie, et de la mettre en discussion.

 

Un essai d’analyse comparative de projets portant sur le patrimoine du XXe siècle

La conception initiale des opérations réalisées entre les années 1920 et 1970

Cet essai d’analyse comparative s’intéresse dans un premier temps aux projets initiaux réalisés entre 1920 et 1970.

Pour l’étude morphologique, je mobilise différentes sources. Les archives de plans des projets et des vues aériennes des années 1970 permettent de comprendre la conception et la mise en œuvre de ces opérations. Une collecte de cartes postales et un travail de terrain complètent ces documents [ Voir Fig. 2 ] . Ces sources permettent une lecture des projets, en se focalisant sur la structuration générale des espaces ouverts et du bâti, en lien avec les caractéristiques du site.

La cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry des architectes Joseph Bassompierre-Sewrin, Paul de Rutté, André Arfvidson, Paul Sirvin et du paysagiste André Riousse est structurée par un axe Est-Ouest. Il traverse un parc et deux places reliées par un escalier, avec un plan d’eau en contrebas. Les bâtiments de logements collectifs, quelques maisons, des commerces et des équipements s’organisent autour de cet axe, en suivant le relief. Entre les bâtiments unis par un enduit rose prennent place des espaces plantés (jardins potagers, etc.). Après la 2ème guerre mondiale se développe une typologie de grands ensembles. Elle prolonge des principes structurants du projet construit dans l’entre deux guerres: axes de composition, inscription dans la topographie, soin apporté au rez-de-chaussée des immeubles notamment.

La cité-jardin du Plessis-Robinson des architectes Maurice Payret-Dortail, Georges Demay et Jean Festoc est structurée autour d’une voie linéaire sur le plateau empruntant ensuite un des vallons du coteau où s’organise le parc. La partie basse de la cité-jardin est constituée de maisons individuelles et de petits collectifs suivant les courbes de niveau, et disposant de jardins. Sur la partie haute, le bâti suit une géométrie rigoureuse, avec des logements collectifs en redans le long de l’axe principal et des jardins en cœurs d’îlots. Des équipements et commerces sont repartis dans l’opération. Après la deuxième guerre mondiale, la vue aérienne de 1976 montre le développement d’une typologie de grands ensembles sur le plateau.

La cité de la plaine à Clamart conçue par Robert Auzelle est construite après la deuxième guerre mondiale (1954-1969). Ce projet a une part importante de petits collectifs. Il revendique l’héritage des cités-jardins à une époque où s’imposent les grands ensembles. Sa structure repose sur une « coulée verte » regroupant des équipements: bibliothèque ronde pour enfants (conçue par l’atelier de Montrouge), halle marchande, aires de jeux s’apparentant à des sculptures, etc… Des jardins permettent de relier cet espace central aux habitats individuels et aux logements collectifs ayant des façades en brique.

Concernant les valeurs et significations sociales, politiques et culturelles de ces opérations, on notera succinctement la volonté de développer un habitat sain pour tous, s’inscrivant dans des espaces verts[9]. Henri Sellier porte ces idées dans le cas des cités-jardins à Châtenay-Malabry et au Plessis-Robinson, en tant que président de l’office public (OPHBM) ayant mis en œuvre ces projets. La mairie de Clamart soutient des ambitions comparables pour la cité de la plaine, étant donné que l’office public communal d’HLM est la maitrise d’ouvrage de cette opération.

Des motifs traduisent spatialement ces valeurs. Ils peuvent être pré-identifiés à partir des principales structures d’espaces publics (la coulée verte à Clamart, la voie linéaire et le parc du Plessis-Robinson, l’axe est-ouest de la Butte-Rouge) et des autres espaces plantés organisant le bâti de ces opérations. Toutefois, ces motifs concernent le projet initial, et ils n’intègrent pas encore les processus de renouvellement urbain postérieurs.

 

L’identification des motifs de renouvellement urbain

Pour avancer sur ce point, je poursuis l’analyse spatiale. Un travail de terrain et des prises de photographies permettent de déceler des transformations par rapport à la période de construction de l’opération urbaine. Elles sont identifiées plus précisément en comparant les vues aériennes anciennes et actuelles. Dans le cas de la Butte-Rouge dont le renouvellement urbain est principalement à venir, les plans du projet sont utilisés[10].

Cette analyse formelle est complétée d’articles, d’ouvrages et de documents de projets,… pour appréhender certaines significations politiques et sociales de ces transformations.

Avec ces matériaux, j’effectue un repérage de motifs en considérant les renouvellements urbains au sein des ensembles urbains et à leurs abords. Des prélèvements planimétriques carrés de 200, 250 et 300 mètres de côté permettent de les identifier [ Voir Fig. 3 ] . Ils sont associés à des vues photographiques. Cela permet de constituer des « fiches » de motifs. Mon regard porte sur les évolutions de la structure urbaine de l’opération initiale (espaces ouverts et bâti), en lien avec certaines significations qui se rapportent à ces transformations. Des évolutions possibles sont imaginées dans le cas de la Butte-Rouge, à partir des plans disponibles.

Les premières observations faites sur les motifs sont confrontées jusqu’à permettre l’esquisse de familles de motifs portant sur le processus de renouvellement urbain. Il s’agit d’interpréter différents positionnements dans les manières de considérer les héritages, y compris au sein d’un même ensemble urbain. J’identifie ainsi: (1) la famille de maintien relatif des héritages, (2) la famille de substitution des héritages, et (3) la famille de réinterprétation des héritages. Ces dénominations donnent un premier aperçu de la démarche interprétative, et elles ont vocation à être amandées, complétées et/ou remplacées. De plus, ces familles n’ont pas l’objectif de définir des catégories fixes, mais plutôt des polarités guidant la lecture comparative de contextes et situations contrastés, parfois hybrides. J’ai procédé à une sélection de six motifs pour esquisser ces familles avec les éléments d’analyse et questionnements qui en ressortent.

 

Le maintien relatif des héritages

La première famille de motifs met en évidence le maintien relatif des héritages. La structure spatiale et l’organisation de tout ou partie de l’opération initiale sont globalement préservées, y compris s’il y a des transformations en réponse aux attentes sociales actuelles. Toutefois, certaines caractéristiques notables ne sont plus présentes. Une certaine reconnaissance patrimoniale est portée politiquement, mais des questions se posent sur les aspects considérés lors des projets de réhabilitation et de requalification.

L’évolution d’un motif de la coulée verte de la cité de la plaine à Clamart est significative de cette posture [ Voir Fig. 4 ] . Les logements qui l’encadrent sont conservés et réhabilités entre 1995 et 2003, mais les façades initiales en brique sont remplacées par différents matériaux et teintes, modifiant leur unité. Ensuite, après la mise en place d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en 2006 et le classement de la bibliothèque ronde en 2009, la halle marchande est détruite début 2010. Elle fait place à un projet de logements et à un parc agrémenté d’un plan d’eau et de jeux. On remarque que la coulée verte est préservée et que les briques du nouveau bâtiment évoquent le projet d’Auzelle. Toutefois, la suppression d’un équipement de la coulée verte n’est pas relayée par un rez-de-chaussée interagissant avec l’espace public; la géométrie du parc et sa végétalisation se distinguent du projet des années 1950; et l’originalité des jeux-sculptures initiaux fait place à des jeux standardisés. Il y a ici un portage du patrimoine de cette cité par la municipalité considérant la structure globale du projet, mais certaines caractéristiques plus fines ne sont pas travaillées. Celles-ci pourraient-elles être reconsidérées dans les futures interventions?

Cette famille de motifs permet d’interroger les préconisations connues actuellement sur un des espaces préservés de la Butte-Rouge. Il s’agit d’un des motifs de l’axe Est-Ouest incluant une place et un escalier [ Voir Fig. 5 ] . La « préservation stricte » de certains bâtiments permettrait de maintenir des éléments structurants de cet espace. Toutefois, d’autres bâtiments ont une protection ambigüe permettant « des surélévations et extensions ». Ainsi, on peut se demander ce que deviendront leurs façades et épannelages, ainsi que les passages publics et les alcôves en rez-de-chaussée caractérisant la place. Par ailleurs, comment évolueront l’aménagement et la gestion des espaces publics et du plan d’eau? Quelles sont les caractéristiques considérées et omises? Plus largement, quels seront la vision et le portage politique concernant le patrimoine de cette cité-jardin dont certains bâtiments sont actuellement voués à la destruction?

 

La substitution des héritages

Cela amène à une deuxième famille de motifs relative à la substitution des héritages urbains. Une forme urbaine est remplacée par une autre afin de répondre à certains besoins actuels, à travers des démolitions et de rares préservations. Les arguments avancés par les acteurs politiques portent sur l’insalubrité qui ne pourrait être traitée avec une viabilité économique sans démolitions. S’y ajoute la nécessité de réaliser des constructions neuves avec un nouveau cadre de vie pour permettre la mixité sociale, et pour respecter des normes constructives, des ambitions environnementales et des objectifs de densité, etc…

Ces aspects sont énoncés dans la polémique actuelle entourant le projet de renouvellement de la Butte-Rouge dont les démolitions envisagées sont argumentées par la « situation catastrophique » du bâti et la nécessité de densifier[11]. Ils se traduisent dans un motif du coteau [ Voir Fig. 6 ] par la prévision de démolitions / reconstructions d’une rangée de bâtiments typiques des rues de la cité-jardin, et par le projet de réorganisation des barres et tours implantées sur le coteau, au sein d’espaces verts. Cela pose certaines questions. D’un point de vue environnemental, le bilan carbone d’un projet comportant de nombreuses destructions permet-il de répondre aux enjeux actuels? De plus, les végétaux et leurs rôles pour la biodiversité et la lutte contre les îlots de chaleur seront-t-ils impactés? Et d’un point de vue patrimonial, que deviendront ces espaces caractéristiques de l’histoire de la cité jardin?  La construction récente de logements collectifs – sur l’emprise de démolitions partielles du groupe scolaire Léonard de Vinci – donne à voir une architecture ne dialoguant pas avec celle de la Butte-Rouge, avec des limites parcellaires clôturées. Serait-ce un aperçu des formes urbaines se substituant aux précédentes?

Le Plessis-Robinson présente un exemple significatif de substitution que l’on peut détailler à partir d’un motif de logements collectifs du plateau [ Voir Fig. 7 ] . Suite à la démolition d’une partie de la cité haute dans les années 2000, la reconstruction des architectes François Spoerry et Xavier Bohl a une forme urbaine nouvelle, que l’on peut qualifier de néo-traditionnelle avec des références haussmanniennes[12]. Initialement, il y avait une avenue principale bâtie en redans, avec des jardins en cœur d’ilot insérés dans une géométrie architecturale rigoureuse. On observe aujourd’hui une avenue avec l’alignement de bâtiments classicisants (ornementation avec des frontons, mansardes, etc…) et à l’arrière une ambiance de ruelles anciennes sinueuses s’articulant avec une rivière artificielle végétalisée. Une nouvelle tranche de cette opération est en cours, avec des démolitions/reconstructions de barres construites après la seconde guerre mondiale. Bien que la municipalité reconnaisse le patrimoine de la cité-jardin basse constitué de maisons individuelles et de petits collectifs, elle parle de la laideur de l’urbanisme fonctionnaliste de l’entre deux guerres et des grands ensembles, remplacée par une « nouvelle cité-jardin »[13]. Il y a une substitution de la signification historique et des valeurs sociales de ce terme pour qualifier une architecture néo-traditionnelle considérée comme « douce et classique ». Ce nouveau modèle est sensé répondre aux attentes actuelles de la population du point de vue du cadre de vie, du développement durable, de la biodiversité, et de la mixité sociale. Sur ce dernier point, Giulio Lupo et Barbara Badiani parlent dans leur article d’un marketing de la ville et de la promotion immobilière pour attirer une classe sociale supérieure. N’y aurait-il toutefois pas d’autres modalités d’actions à développer à l’avenir? Une reconstruction radicalement différente des lieux antérieurs est-elle l’unique solution pour renouveler, à la suite de démolitions, le cadre de vie et la représentation collective d’un espace ?

 

La réinterprétation des héritages

Pour nuancer ce processus de substitution, j’identifie une famille de réinterprétation des héritages. Les démolitions / reconstructions reprennent des principes de compositions et d’usages structurant le projet initial, et il y a quelques préservations. Les valeurs politiques associées restent à préciser.

Un exemple de continuité avec la composition spatiale initiale est donné par une opération de renouvellement urbain au Plessis-Robinson réalisée dans les années 1990 par les architectes Philippe Alluin et Jean-Paul Mauduit, avec la collaboration du paysagiste Jacques Simon. Un motif de logements collectifs sur le plateau [ Voir Fig. 8 ] montre une démolition/reconstruction reprenant deux principes du projet initial: des redans sur l’avenue et des jardins en cœur d’ilot, avec une géométrie rigoureuse. On note par ailleurs que des maisons individuelles de la cité-jardin ont été préservées.

Pour une partie de la Butte-Rouge construite dans les années 1950, les modalités de rénovation précisées par la mairie en 2021 sur un site test[14] laissent présager une réinterprétation de l’héritage urbain. En effet, dans le cas d’un motif du plateau autour de l’allée Jean Mermoz  [ Voir Fig. 9 ] , les démolitions/reconstructions sur les emprises des bâtiments actuels dominent. La géométrie du projet, avec des interruptions de linéaires bâtis le long du parc et de l’avenue de la division Leclerc, devrait persister. Toutefois, quelle sera l’écriture architecturale des nouvelles constructions? Quel sens aura-t-elle par rapport à l’ensemble du projet de la Butte-Rouge? Comment seront travaillés les espaces verts existants? On notera que les principes de ce site test sont proposés par la municipalité dans un contexte de débats sur la prise en compte du patrimoine de cette cité-jardin.

 

Développer la lecture des motifs et faire des liens avec les processus opérationnels

Les premières analyses et questionnements menés avec l’outil des motifs paysagers donnent un aperçu de la complexité et diversité des processus de renouvellement urbain. Par exemple, on peut constater certaines limites dans les projets de préservation, on remarque différentes approches dans les projets de démolitions/reconstructions, et on note plus généralement des réponses contrastées aux demandes sociales actuelles,…

Pour approfondir ces analyses comparatives, plusieurs pistes peuvent être citées dès à présent:

  • multiplier les cas d’étude dans la première couronne parisienne,
  • renforcer les corpus (archives, enquêtes auprès d’acteurs et d’habitants,…),
  • développer l’analyse graphique (cartographies diachroniques, photographies,…),
  • ou encore approfondir certaines thématiques (mixité sociale, gestion des espaces non-bâtis dans le temps long, environnement du point de vue de l’objectif bas-carbone et de la lutte contre les îlots de chaleur, trames vertes et bleues, densification,…).

Des précisions pourraient ainsi être apportées sur les multiples positionnements face aux héritages du XXème siècle dans les processus de renouvellements urbains du Grand-Paris. La constitution d’une telle connaissance permettrait de prendre du recul sur les projets actuels afin d’enrichir ou infléchir les débats en cours, et d’aider les acteurs du territoire à clarifier les choix d’actions en considérant certaines qualités de l’existant.

Ce dernier point amène à une perspective de développement essentielle de l’outillage des motifs paysagers, consistant à créer des passerelles entre les mondes académiques et opérationnels. Dans ce but, je suggère la mise en œuvre de concertations formelles ou informelles apparentées à la médiation paysagère (parcours in-situ, expositions, ateliers publics,…). Pour cela, l’iconographie servant à l’analyse des motifs est à mobiliser. Une telle démarche peut s’ajuster à différentes situations de dialogues multi-acteurs, et elle se prête bien à une co-construction en partenariat avec diverses institutions (CAUE, inventaire du patrimoine,…), avec des collectivités, ou encore avec des professionnels de l’aménagement,…

 

Conclusion

En présentant un essai d’analyse comparative et ses perspectives de développement, cette communication esquisse une méthodologie de recherche appliquée interdisciplinaire pour interpréter des opérations de renouvellement urbain. Les ensembles urbains du XXème siècle dans la première couronne parisienne sont les objets d’étude. L’outil proposé est le motif paysager, visant à associer les lectures spatiales, socio-économiques, politiques et culturelles.

Quelques éléments de méthodes peuvent être soulignés: la mobilisation de divers matériaux (documents d’archives, entretiens, représentations graphiques…) associés à l’arpentage du terrain, l’identification de motifs par prélèvements cartographiques, le regroupement des motifs par famille pour mener l’approche comparative, l’analyse conjointe du projet initial et de ses transformations dans le temps long, ou encore le développement d’une médiation paysagère basée sur la production iconographique relative aux motifs.

Cette démarche vise à mieux comprendre les positionnements des projets de renouvellement urbain par rapport aux héritages des années 1920 à 1970, et à mettre en discussion cette connaissance. Elle permet d’interpréter les traductions locales des objectifs de renouvellement urbain figurant dans la planification régionale. L’enjeu est de prendre du recul sur les processus d’actions en cours, de contribuer à des modalités d’actions plus attentives au déjà-là, et de valoriser cette posture comme un des objectifs du développement durable.

Figures et illustrations

Figure 1 :

Repérage des opérations étudiées et comparées (Source : auteur)

Figure 2 :

Les ensembles urbains dans les années 1970 – plans, vues aériennes et photos anciennes

 

Figure 3 :

Documents planimétriques montrant l’évolution des ensembles urbains jusqu’à aujourd’hui, et le repérage de motifs paysagers

 

Figure 4 :

Premier extrait des fiches de motif: la cité de la plaine à Clamart

 

Figure 5 :

Second extrait des fiches de motif: la cité-jardin de la Butte-Rouge

 

Figure 6 :

Troisième extrait des fiches de motif: la cité-jardin de la Butte-Rouge

 

Figure 7 :

Quatrième extrait des fiches de motif: la cité-jardin du Plessis-Robinson

 

Figure 8 :

Cinquième extrait des fiches de motif: la cité-jardin du Plessis-Robinson

 

Figure 9 :

Sixième extrait des fiches de motif: la cité-jardin de la Butte-Rouge