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DOI

10.25580/IGP.2021.0012

Alessandro Panzeri :

Pour lancer le débat je souhaiterais croiser les deux sujets présentés, autour de la question du travail sur l’existant :

Ilia Zalivoukhine, I have a question about the existing infrastructures of transports in Moscow, like the metro line or the highways: how to deal today with these different kinds of infrastructures? Do you have a project of reappropriation of these structures in your project in the competition? And in the future? Do you plan new significations for these territories?

 

Ilïa Zalivoukhine :

A lot of works have already been done on that point by different studios, and not only by mine. The main step was to initiate the Moscow Central Diameters. Presently we have a circle of overhead railway called ‘MCC’ (Moscow Central Circle), opened on September 2016, and two diameters, like in the 60s and 70s in Paris, but not that much integrated (with underground lines). That frame of lines is very good for the city. The territories around the gate points are growing without any master plan, but the developers have understood that if you want to have more cars free city and less parking lots, you have to build very close to these lines. This point is already achieved and that was the main one.

We have also a bus line, but it isn’t a bus rapid transit (BRT) but a hybrid system that goes very slowly in the city center, because this bus line is drowned in the city center traffic. This system is not really going well, and it’s faster to take the metro. So we need three different levels for these transport systems: a conurbation level, a city level, and a neighborhood level. But presently our transport system is mixed and that is the reason of its inefficiency. Only the over (partly) and underground metro lines are effective, even if it takes sometimes one hour and a half to join the city center with some strangely long lines like the red one / n°1 (from Kommunarka)… Nothing comparable with the Jean-Michel Wilmotte & Associés transport’s plan for New Moscow that was supposed to take you in exactly fifty minutes in the city center, plan unfortunately not executed. Now we need to keep going with the conurbation level with the Diameters, to connect cities closed to the Moscow Circle automotive ring (MKAD) with metro lines, to connect others regions with the new Moscow. I think it’s possible but it will involve different budgets (Moscow and regions). Here we face a wall, like between East and West-Berlin…

We also need to build another entire level of highway inside Moscow. I know it’s not very popular but we need to put the cars on that kind of infrastructure instead of having them in our streets. But unfortunately, this is not currently planned.

 

Alessandro Panzeri :

Paola Viganò, de quelle manière la grille, que vous avez conçue et mise en place pour cette transition entre les deux territoires, prend-elle en compte justement la question du travail de l’existant et qu’apporte-t-elle de particulier ?

 

 

Paola Viganò :

Cette grille se déforme quand elle rencontre l’existant et peut même parfois changer de direction. Elle permet de réutiliser toutes les infrastructures déjà présentes, les rues et les tissus dans lesquelles elles prennent place, afin de réaliser des projets de requalification. Il y a beaucoup à faire car ces tissus sont nombreux et cette grille est une sorte de guide à travers la ville existante. Dans certaines parties de la ville, elle trouve sa règle, sa mesure et il n’était pas difficile d’imaginer poursuivre ces règles déjà établies pour construire une nouvelle vision de la centralité à Moscou. On nous a demandé ce qui allait finalement définir ce périmètre. Pour nous, la question n’était pas de définir un périmètre qui pouvait disparaître, ainsi que la grille. On s’est beaucoup interrogé autour de ces notions de ville nouvelle, ville de fondation. Cette grille d’aujourd’hui ne doit pas être imaginée comme un objet autonome. C’est juste un dispositif de construction, une façon de faire la ville et non une forme que l’on voudrait matérialiser. Il me semble que sur ce point notre discours n’était pas bien compris car nous étions toujours sollicités pour définir concrètement ce périmètre. Notre idée est que dans le futur on ne verra même plus cette grille, même si, lorsque l’on regarde la ville à distance de quelques siècles, on reconnaît ces occasions de ville de fondation, tout comme on reconnaît un tissu ancien, régi selon une certaine règle. Ceci n’empêche pas le tissu ancien de se lier à un tissu plus récent. Mais surtout, ce que l’on voulait faire passer comme discours c’était qu’on n’allait pas remplir ou couvrir entièrement ce territoire, mais respecter ce territoire présent, avec sa physionomie particulière, un territoire-sujet. Je voudrais développer cette idée d’un territoire-sujet, car c’est un thème qui m’intéresse beaucoup. À Moscou, dans le passé on a eu besoin de sept gratte-ciels pour représenter la magnificence civile. Nous, nous voulions les remplacer par un espace de forêt de quelques milliers d’hectares dans la ville.

 

 

Nathalie Roseau :

Je voudrais décaler un peu la question en m’interrogeant sur ce qu’ont reflété ces moments de consultations, de concours, pour la planification dans ces différentes villes. D’ailleurs on hésite parfois entre les termes, consultation et concours. À Moscou les équipes étaient associées à des investisseurs ou, en tout cas, à des organismes différents de ceux associés aux équipes de la Consultation du Grand Paris. Ce sont des stratégies d’explicitation de discours, des creusets d’idées, mais finalement en quoi cela rend-il compte d’une transition de la planification de par les pouvoirs politiques ayant commandité ces consultations, différentes à Bruxelles, Moscou, Paris, et de par la transformation des structures d’aménagement ou des instruments qui a parfois eu lieu en parallèle de ces consultations et surtout après (comme on a pu le voir notamment à l’occasion du Grand Paris) ? Comment avez-vous vu, vous, architectes et urbanistes, se transformer la planification, au sens large du terme, à l’occasion de ces concours, consultations, stratégies, qui ont pris un certain temps ? Car clairement il y a un avant et un après, même si évidemment on peut être déçu des résultats qu’ils ont produits sur le plan urbain.

 

 

Paola Viganò :

Dans le cas du Grand Paris, les quinze, puis sept, équipes de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) ont finalement été complètement déconnectées de cette évolution qui était en train de se faire. Car au même moment a été créée la Société du Grand Paris qui a commencé à faire ses propres études, ses projets, et décidait elle-même, au-delà de notre participation intellectuelle. Mais je ne suis pas déçue et je pense que notre travail dans ce cadre est fort et perdure. Présenter nos idées devant de grandes assemblées, à Paris ou à Moscou, n’a pas été simple. Nous avions le devoir d’être le plus rigoureux possible, d’affiner nos mots et nos concepts, ce qui a été un exercice extraordinaire pour moi. Par ailleurs, il faut donner du temps à ces idées qui reviendront, évolueront et resteront une matière d’investigation et de réflexion pour d’autres. Mon regret concerne l’aspect expérimental de notre proposition, qui n’a pas été mis en œuvre.

 

 

Alessandro Panzeri :

Il me semble qu’il existe trois intérêts majeurs pour les principaux acteurs de ces consultations : du côté des professionnels dirigeant ces études, on observe un intérêt et une volonté de travailler sur la ville pour constituer un savoir et intervenir dans ce cadre. Un travail qui ouvre sur des perspectives nouvelles et alimente une réflexion ne s’arrête pas là et se poursuit dans d’autres contextes. Du côté des acteurs politiques, ces consultations ont pour intérêt un retentissement médiatique fort. Ce sont des évènements mis en scène par divers moyens, des expositions notamment, qui attirent les investisseurs, même si ce n’est pas dans les projets exposés eux-mêmes, signifiant leur volonté d’investir sur ce territoire. Enfin, concernant les organismes gérant les schémas directeurs, cela leur a apporté de nouvelles perspectives, soulevé des questionnements pour complexifier la planification.

 

 

Nathalie Roseau :

Bien sûr ces consultations sont très riches et resteront dans le temps ! C’est d’ailleurs ce que nous faisons dans le cadre de l’IGP en reprenant l’histoire de la planification et en évoquant d’autres temps de consultations et leurs effets. J’espère que ces questionnements seront poursuivis, dans un dialogue, ou pas, entre les différents intervenants…

 

 

Paola Viganò :

Il me semble que certains thèmes soulevés n’étaient pas du tout digérables par le politique. Après la CIGP, nous avons travaillé pendant deux ans sur la Seine, en amont, en partant de la question du risque entrainé par la densification envisagée, pour montrer que nous étions en train de construire, consciemment, un niveau de risque plus élevé que par le passé. Mais après deux ans de travail aucun élu n’a eu le courage de porter ces résultats qui, pourtant, ne rejetaient pas la possibilité de transformer la Seine.

 

 

Clément Orillard :

Mon travail d’HDR porte sur l’exportation des pratiques urbanistiques françaises. Je pensais qu’il existait beaucoup plus d’expertises, notamment de la part des opérateurs publics, en Russie, mais à mon grand étonnement je n’ai trouvé que peu d’éléments sur les sites des grandes agences d’architectes-urbanistes. L’IAU, par exemple, n’a pratiquement pas effectué de missions à Moscou. La CIGP était portée par le Ministère de la Culture et il me semble que la difficile réception de ce travail tient beaucoup aux conflits et tensions entre les différents organes portant cette réflexion au sein de l’État. Y a-t-il eu, au-delà de l’ambassade, d’autres organismes qui ont porté l’export de l’architecture française ? Je pense notamment à l’AFEX, Architectes français à l’export, une association assez active en la matière.

Ilïa Zalivoukhine, you have talked about your connection with Philippe Panerai as an opportunity. How famous is the french architecture in Russia today ? Are their expertises in urbanism interesting for Moscow ? Did you know some works of Philippe Panerai before ?

 

Ilïa Zalivoukhine :

My collaboration with Philippe Panerai was very important to me. Instead of considering only the architecture, he has brought me to the idea of global planning, ideas about results produced by engineering and technology. In consortium led by Philippe Panerai we participated in international competition for Sberbank International Financial Center in Moscow in 2013. Of course, in these international consultations on Moscow, some teams were working on images and on how it has to look like, but Philippe Panerai (working with an architect involved in Marseille’s transformations) was thinking this situation differently, like an engineering project. That was a big experience for me and I’ve tried to use it for others cities, and not only in Moscow. But I’d never heard anything about the works of Philippe Panerai or french urbanism before the international consultation Big Moscow at 2012.

 

Alessandro Panzeri :

La question se pose plutôt par rapport à l’effet de nouveauté pour l’ambassade de France en Russie. Au milieu de l’année 2010, alors que la Consultation Internationale du Grand Paris est terminée depuis peu et que l’AIGP vient d’être créé, le nouveau directeur général, Bertrand Lemoine, est chargé de rencontrer de façon informelle d’abord, puis plus officielle au sein de l’ambassade, l’Institut du Genplan, l’Union des Architectes de Moscou, diverses institutions et jusqu’à l’architecte en chef de Moscou, Alexander Kouzmine, qui en théorie était le plus légitime à prendre la main sur le processus. Finalement, c’est le Genplan qui a repris la main sur la consultation, bien que l’architecte en chef et son bureau aient exercé un relatif contrôle. Mais un certain nombre d’agences françaises, comme Jean-Michel Wilmotte, étaient déjà installées sur ce territoire et faisaient déjà des projets sur place, avant même leurs participations au concours. Ceux-ci ont eu le premier prix. Je ne sais pas s’il faut y voir un lien de cause à effet…

 

 

Guy Burgel :

Je voudrais préciser que l’oblast de Moscou et la Ville de Moscou n’ont pas le même statut institutionnel. Ce sont deux entités différentes, dont l’une est assujettie à l’autre. La ville est sujet de la fédération.

Par ailleurs, dans ce travail d’analyse de Paris et de Moscou, il me semble qu’il manque une réflexion sur la démographie. À Paris, la situation démographique est celle d’une basse densité démographique autour, désert humain dans lequel l’agglomération se développe. Ce n’est pas le cas pour Moscou. Par ailleurs, la métropole a un faible dynamisme démographique depuis 50-60 ans, ce qui peut changer les objectifs de l’imagination et de la planification urbaine.

 

 

Jean-Louis Cohen :

 

Toutes les interventions sur les consultations de 2012 sont passionnantes. Mais je voudrais tout d’abord faire une remarque : je ne pense pas qu’on puisse assimiler l’Union des architectes de Moscou avec l’Ordre des architectes français, car ce sont les institutions dont les histoires et les prérogatives sont complètement différentes. L’Union a une légitimité culturelle que l’Ordre des architectes français n’a jamais eu et n’a jamais essayé d’avoir. C’est donc une force civique, notamment par sa présence dans la ville, que d’Ordre des architectes français n’a jamais eu.

Par ailleurs, je m’interroge sur une question qui n’a pas vraiment été abordée : que se passe-t-il du point de vue de la propriété foncière ? Ne s’agit-il pas d’une vaste spéculation de quelques initiés liés au sommet de l’État ? Qui sont les propriétaires des terrains avant que cette extension ne soit décidée, et après ? Indépendamment de la construction de cette capitale mythique, qui va bénéficier de la rente foncière liée à ces premières infrastructures routières et ferroviaires qui se préparent ?

 

 

Ilïa Zalivoukhine :

This was also a very important question for me, because a lot of other exciting cities around Moscow need more budgets for their infrastructures. Of course, the development of the city needs to be done there, where a lot of people are living right now. But the high – quality development could also to be done on empty territories in New Moscow. These lands are mainly the property of private companies, who now want to build housing and sell some parts. Therefore, it needs some infrastructures to make these lands reachable and attractive. In 2012 the Moscow budget has been multiplied by ten from mayor Iouri Loujkov to Sergueï Sobianine and was partly dedicated to these infrastructures. Persons who stands to benefit most from the restructuring is the owner of these agricultural lands transformed into buildable lands but not the Moscow budget. To rule it we need a single comprehensive master plan for Moscow and neighborhood to connect typology and density with infrastructures and the infrastructures have to be set up first. Today, very few infrastructures are built on these territories but many houses, and these lands could become a ghetto in the future and will not generate many taxes.

 

Alessandro Panzeri :

 

J‘ai trouvé une étude assez intéressante, d’un jeune chercheur russe, Konstantin Avksentev ayant travaillé à l’Institut du Genplan, mettant en valeur le fait qu’entre 2011 et 2013 il y a eu une sorte de ruée de grands groupes de Real Estate pour l’achat des terrains. Le groupe AVGUR, par exemple, possède 13 000 hectares dans ce territoire de la Nouvelle Moscou et, en mettant ensemble les surfaces de tous les territoires de propriété des developers (promoteurs immobiliers), nous arrivons à environ un tiers du territoire de l’extension. Mais ces éléments ne sont peut-être pas suffisants pour y voir une stratégie de spéculation foncière. Je pense néanmoins que l’arrivée de Sergueï Sobianine a transformé un certain nombre de procédés et que la Consultation a peut-être créé des perspectives pour l’aménagement du territoire de l’ancienne Moscou qui se concrétisent aujourd’hui par l’aménagement des berges, le réaménagement de Moskva-City, l’aménagement d’espaces verts, avec un réel investissement sur la transition écologique. Peut-être que cette réserve foncière de l’extension, officiellement annexée à la Mairie de Moscou en 2012, avec une valeur des terrains qui est estimée au moment de cette étude (2013) avec 25 % d’augmentation aura sans doute augmenté son prix du foncier depuis et entrainera de gros bénéfices aux propriétaires des terrains consécutifs à son aménagement.

 

 

Olga Vendina :

Ces territoires appartiennent à des propriétaires très divers, à la Ville de Moscou, mais aussi à d’autres municipalités. Il y a également des servitudes militaires. Certaines routes et les zones de production autour de ces voies principales sont des propriétés fédérales. Elles constituent une grande partie de cette zone. Il y a aussi les propriétaires privés d’une multitude de petites parcelles de datchas. Les entreprises de construction sont les grands bénéficiaires de l’extension de Moscou. Mais même avant l’extension les terrains agricoles étaient déjà partagés entre plusieurs grandes agences de construction, appartenant à de grands oligarques russes comme Roman Abramovitch, qui ont tout intérêt au développement du plan d’ensemble. La dynamique démographique est très forte à Moscou (un million d’habitants en plus tous les dix ans). Tous cherchent des logements et finissent par acheter un appartement au milieu des champs, sans infrastructure à portée. Par ailleurs, lorsque ces logements sont proches de Moscou, ils sont attractifs pour les émigrés. Tout ce business génère du profit. Après ce concours a commencé un processus de négociations entre ces divers propriétaires. L’absence d’infrastructures peut engendrer de sévères problèmes sociaux et on a interdit les constructions nouvelles sans infrastructures sociales associées. On commence donc maintenant à voir, à côté de ces grands ensembles entièrement dévolus au logement, la construction d’écoles, de jardins d’enfants, de petits hôpitaux. Il n’y a donc pas seulement un investissement agressif qui consumerait le territoire de Moscou. Mais il faut bien dire qu’en grande partie ce terrain est privé et qu’il n’y a pas vraiment de processus de vente et revente, car il est toujours considéré comme un capital qui peut s’accroitre avec le temps.

 

À propos du travail de Paola Viganò dont j’ai beaucoup apprécié la présentation pendant le concours : toutes ces idées et même celles de ceux qui n’ont pas été lauréats, ont eu une influence certaine, notamment grâce à la solidarité de plusieurs équipes qui ont fait masse face à un pouvoir politique toujours méfiant. Cela a permis de se faire entendre, d’être pris au sérieux. Et ces instituts au service de méthodes autoritaires ont finalement commencé à mettre en œuvre un programme assez démocratique pensé autour de la ville poreuse, de la centralité expansée, etc… C’est là la véritable réussite de ce concours.