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DOI

10.25580/IGP.2019.0049

Frédéric Pousin

J’aimerais savoir si dans votre travail vous avez tenu compte du facteur temps, car vous avez travaillé sur la consultation internationale puis sur l’AIGP, qui ont des temporalités très différentes.

Dans le cadre des relations entre les concepteurs, des cabinets d’architectes, et les autres acteurs notamment les chercheurs, il me semble que ce n’est pas la même situation quand on a 18 mois pour produire quelque chose ou quand la chose est laissée plus ouverte. Est-ce que ce facteur temps a compté pour vous et vous a permis de faire des constats différents ?

 

Guillaume Duranel

Oui. J’ai analysé l’évolution de la commande de 2008 jusqu’en 2012 avec l’arrivée d’une nouvelle direction, et j’ai pu observer des modifications dans les processus de collaborations entre les divers acteurs du Grand Paris. J’ai pris en compte ces éléments, mais avec des matériaux très différents puisque j’ai commencé ma thèse en 2013. J’ai donc dans un premier temps utilisé des archives et des entretiens, alors que sur la période de l’AIGP, que je n’ai pas entièrement couverte, j’étais en observation participante donc dans une approche beaucoup plus immersive. J’ai essayé d’analyser comment certaines pratiques de 2008/2009 avaient été modifiées au moment de l’AIGP, notamment à travers l’analyse de la production des rapports. En 2008 les rapports développent un propos assez lisse, homogène, et qui semble consensuel au sein du groupement, alors que certaines personnes ayant travaillé sur ces rapports témoignent de l’élimination de très nombreux documents produits, cartographies SIG par exemple, ou de leur transformation radicale (en passant sur Illustrator par exemple) qui les rend méconnaissables. Donc on observe à ce moment là un lissage des documents produits et la disparition des productions de certains membres des équipes. À partir de 2012 au contraire on travaille plutôt sur le modèle des revues scientifiques. Un rapport peut alors être constitué d’une quinzaine d’articles émis par des experts. Le rôle du mandataire est de faire des commentaires, des relectures et de rédiger une introduction et une conclusion. C’est donc un changement complet dans lequel on met en avant la diversité des points de vue et on essaie de les faire se confronter dans le document.

 

Soline Nivet

À propos de la gestion du temps, en 2008 les images étaient beaucoup plus attendues que les rapports. Le rendu des rapports était attendu à une date butoir qui laissait le temps aux rédacteurs de faire leur travail, alors que la production des images était soumise à une certaine pression, de la presse notamment et de la part des autres équipes concurrentes. Parfois on constate presque une inversion du rapport habituel, avec des images qui sortaient avant même les idées.

 

Guillaume Duranel

Ce qui est intéressant dans ce processus-là c’est que le rapport à la production des connaissances trouve sa limite dans le dispositif qui est mis en place par le BRAUP, et se trouve confronté aux objectifs du président de la République qui, lui, n’est pas régi par la même temporalité.

 

Jeanne Chauvel

À propos des « récits métropolitains » dans la cadre de l’AIGP : D’où viennent-ils ? Dans quelle mesure cette notion préexistait-elle, notamment au rôle de Pierre Mansat ?

Par ailleurs, quelle place du politique, au sens « vivre ensemble dans la cité », parmi tous ces savoirs spécialisés que sont l’architecture, l’urbanisme, etc ? Il me semble que cette dimension est assez peu présente, même si on peut dire que Roland Castro par exemple a une vision politique de son travail. Dans les verbatim produits, un débat politique sur la ville de demain est-il pris en compte ?

 

Guillaume Duranel

Pendant l’élaboration de ma thèse j’ai parfois été surpris par l’usage de la question des récits métropolitains, même si elle apparaissait très régulièrement à l’AIGP. C’était juste après les attentats de Charlie Hebdo que cette question du récit porté par l’AIGP sur un évènement d’actualité est apparue comme posant des problèmes de distanciation à travers le récit. J’ai essayé de mettre en lien cette question des récits avec l’émergence du terme de métropole qui revient sans cesse et remplace dans le débat politique des termes comme agglomération par exemple. Mais j’ai eu des difficultés à tracer la généalogie du principe de récit métropolitain, notamment parce que ma vision est partielle et bornée dans le temps.

 

Alessandro Panzeri

Toutes les équipes étaient amenées à fournir un schéma de gouvernance de la métropole. Elles proposent donc quelque chose, et certains comme Roland Castro insistent régulièrement sur ce point. Est-ce plutôt un système radio concentrique, linéaire, polycentrique, etc… qui est envisagé ? C’est donc une demande explicite des organisateurs de la consultation ?!

 

David Malaud

Sur la question de la place du politique, je pense que toutes les équipes ont eu le sentiment d’agir pour la polis, avec même parfois un sentiment de frustration par rapport à ce désir d’agir pour le bien commun. En reprenant la question du jeu, selon la façon qu’on a de faire jouer la métropole, on ne s’adresse pas forcément à la même politique. L’histoire du « joujou » est finalement faite pour attraper un élu, même s’il y a concertation avec les habitants, et cela a bien fonctionné puisque ces équipes ont attrapé des commandes. Les projets comme ceux de Finn Geipel, de l’AUC ou du groupe Descartes ont plutôt abouti, grâce à leurs approches en diagrammes ou par situations, à des commandes en co-conception avec les habitants, des associations ou même des mairies. Pour exemple, l’AUC a obtenu un gros contrat de développement territorial, Confluence Seine-Oise, qui concernait plus de 21 communes, car les élus voulaient faire avancer les choses. Ils ont donc utilisé ce principe de « situation » pour le faire évoluer et faire dialoguer des maires d’orientations politiques très diverses. La dimension politique est présente dans le sens où on s’adresse à quelqu’un et on s’adresse aux sociétés quand on produit son rapport, et des questions de société, celle du développement durable, de la métropole post Kyoto, etc, étaient débattues entre experts au sein des équipes.

 

Guillaume Duranel

Quant à la possibilité de verser ces débats dans la sphère publique : le registre utilisé, celui du spectaculaire, mettait par définition une distance entre ce qui était perçu et la possibilité d’une emprise réelle sur ces questions. C’était un bon outil pour extraire un objet du débat public. Cependant tout n’était pas aussi spectaculaire.

 

Soline Nivet

On pourrait peut être se servir de la boussole du jeu utilisé par David Mallaud dans sa thèse, et ses diverses catégories, pour observer comment les politiques ont également joué avec cette consultation. Car différentes parties se jouaient alors, entre le président, le ministère, les élus locaux, etc.

 

Frédéric Pousin

Il faudrait aussi analyser sur quelle scène se jouent ces jeux, car la scène architecturale n’est pas celle, plus théâtrale, du politique…

 

Nathalie Roseau

Avez-vous analysé ces conventions de l’Architecture en dehors de la sphère qui regroupait les maîtres d’œuvre, ces praticiens présents dans les équipes et au sein de l’AIGP, dans ces autres lieux où se rencontraient les élus et les équipes ? Votre analyse donne l’impression que ce sont deux mondes à part.

 

Guillaume Duranel

Il me semble que les débats avaient essentiellement lieu dans ce milieu fermé d’experts et que l’ouverture vers les élus était relativement faible, malgré le désir des équipes mandataires qui écrivaient régulièrement aux élus.

 

Nathalie Roseau

La consultation s’est-elle versée uniquement à l’AIGP ?

 

David Malaud

D’après mon expérience, elle s’est versée à l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) et à l’IAU (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme) qui, eux, ne se sont pas contentés des images mais ont également étudiés les rapports. Un chaînon important selon moi concerne les C.D.T (contrat de Développement Territorial), qui mériteraient d’être étudiés à travers le prisme de la consultation du GP. Ce dispositif était associé au développement du métro dans la loi de 2010. Toutes les équipes, exceptée celle de Jean Nouvel, ont eu un CDT, voire deux, et commençaient toujours leur présentation par les images réalisées lors de la consultation. Ensuite elles allaient sur le territoire pour présenter le projet de développement territorial et faisaient un travail de pédagogie avec des élus, des services techniques, pendant au moins deux ans.

 

Julien Aldhuy

À propos du reversement, on peut constater que les grands projets qui ont émergé après la CIGP n’ont quasiment rien pris de la question du Grand Paris ou de la consultation. On en voit un exemple dans le traitement qui a été réalisé de la zone aéroportuaire de Roissy.

 

Nathalie Roseau

On a le même phénomène autour d’Orly, mais les questions posées par cet aménagement étaient déjà là avant la consultation sur le Grand Paris finalement.

 

Guillaume Duranel

À propos de la transition entre la consultation vers des moments plus opérationnels, on observe une rupture dans le cadre de travail. Les équipes ne sont alors plus exactement les mêmes. Les associés ne sont plus les mêmes chez Portzamparc par exemple, et le contexte de travail est très différent. Du coup on revient aux conventions dans lesquelles on a l’habitude de travailler, sans plus chercher à décaler son regard. Mais cette réflexion menée sur la grande échelle au cours de la CIGP a formé de nombreuses personnes, des étudiants mais aussi des architectes et a eu un effet sur le long terme. Mais lorsqu’on revient à un cadre plus classique d’exercice, on constate le retour aux conventions habituelles.

 

Soline Nivet

En effet, et cela rejoint l’idée d’un voyage – dans l’utopie – et d’un retour comme présentés par David Malaud. Les équipes faisaient ce qu’elles pouvaient dans le cadre très serré des 18 mois de la consultation, et du coup intégraient les projets en cours. Tous les CDT étaient déjà un peu là, on connaissait les grands sites, etc. On pouvait rejouer des projets en cours ou les raconter selon une autre perspective, puis les projets sont revenus à certaines conventions. Cet aller-retour a effectivement bien eu lieu.

 

David Malaud

Cette consultation et la vision des mandataires ont eu pour effet de casser des schémas régulateurs comme le SDRIF par exemple. Le format du SDRIF a notablement évolué et il a intégré des images de la consultation.

 

Nathalie Roseau

Ce serait un autre sujet que d’étudier la relation entre la consultation et le SDRIf, qui a continué son chemin et a aujourd’hui été approuvé…