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DOI

10.25580/IGP.2019.0046

Alessandro Panzeri

Il existe plusieurs versions du mythe fondateur de la consultation selon l’acteur en jeu, dans les documents officiels d’un côté, ou d’autres dans lesquels le président est présenté comme en étant l’instigateur. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Par ailleurs, j’aimerais quelques approfondissements concernant le rôle de Christian Blanc. Quel est son rôle dans ce flottement, voire ce conflit, entre les machines de l’État qui sont déjà en place, qui assurent une continuité entre les différents régimes politiques, et le politique ?

 

Jeanne Chauvel

Concernant le mythe fondateur de la consultation, ce qui s’est passé en 2007 n’est effectivement pas clair, mais je n’ai pas de réponse à cette question car je n’ai pas fait d’entretiens dans les services de l’État, que ce soit au ministère de la Culture, dans les services du premier ministre ou au MEDAD. Mais on observe à l’arrivée de Nicolas Sarkozy une volonté politique très forte d’intervenir dans cette question.

Sur le rôle de Christian Blanc : une rencontre avec Nicolas Sarkozy et une réflexion ont eu lieu dès le début du mandat du président. Christian Blanc était député, grand chef d’entreprise, il avait travaillé sur les pôles de compétitivité et avait déjà une réflexion sur l’amélioration et le développement économique dans les métropoles. Il a vraiment voulu promouvoir un projet d’aménagement pour l’Île-de-France, et c’est lui qui a écrit sa lettre de mission. Mais attention, dans le cadre du Grand Paris, la dimensions symbolique et le désir de légitimation extrêmement forts peuvent induire des reconstructions a posteriori du rôle de chacun dans cette affaire. Tout le monde se dit être le père du Grand Paris. Mais son rôle a été évidemment très important pour penser le projet d’aménagement centré sur le développement économique et pour développer économiquement l’idée que le transport est l’infrastructure essentielle à cette fin. Il a fait ce travail avec une équipe très resserrée de 40 personnes seulement sur le temps très court de quelques mois et dans un contexte extrêmement concurrentiel puisque le Conseil régional est au même moment en train d’élaborer le projet Arc express et son projet d’aménagement par le SDRIF. Ce projet a été bloqué par le ministre qui a refusé de le transmettre au Conseil d’État pour approbation et a été suivi d’une période de latence jusqu’au vote de la loi du Grand Paris en 2010. Donc sa stratégie a été efficace, car il a réussi en peu de temps – entre mars 2008 et juin 2010 – à aboutir à une loi sur ce sujet extrêmement conséquent.

 

Caroline Maniaque

Qui est derrière l’écriture des discours de Nicolas Sarkozy que vous avez évoqués précédemment ?

Les archives permettraient-elles de faire dans une cinquantaine d’années une analyse génétique des discours, des mots supprimées, rayés ou transformés ? Quels sont les mots qui impactent, choisis pour la communication justement ? Qu’en est-il des brouillons des discours ? Cela pourrait faire l’objet de travaux futurs… dans trente ans maintenant !

 

Jeanne Chauvel

Je n’ai pas de certitude sur ce point mais ce qui émerge des entretiens et de mes lectures, c’est le rôle majeur d’Henri Guaino dans l’écriture de ces discours, mais on ne sait pas vraiment la place prise par Nicolas Sarkozy ou d’autres personnes.

 

Nathalie Roseau

Mon premier point concerne l’effacement des banlieues et l’instrumentalisation des questions du Grand Paris par le politique. Avec Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, Claude Guéant, etc, on constate un lien fort avec le Ministère de l’Intérieur (en 2005, lors des émeutes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil, N. Sarkozy était Ministre de l’Intérieur). Quel rôle la CIGP joue-t-elle dans le discours du politique sur la question des banlieues ? Il serait intéressant d’analyser le parcours de ces hommes et de leurs idées, sur la ville et sur ces questions de l’ordre ou de désordre des banlieues.

Par ailleurs, sur la question de la légitimation de l’État, dans votre intervention l’État n’est pas vraiment l’État, ce sont des hommes politiques. L’État est diffus, au Ministère de la Culture, de l’Ecologie, avec Jean-Louis Borloo par exemple. Finalement comment se joue cette relation entre politiques et État ?

Ma dernière question concerne l’économie versus architecture. La CIGP fait se rencontrer des mondes, montre la représentation de l’architecture et de l’urbanisme qu’ont les politiques, dont la culture n’est pas forcément celle que les femmes et les hommes de l’art veulent diffuser. Ces points saillants comme les espaces verts, les places, ces thématiques évoquées par A. Panzeri, sont-ils voulus par les équipes d’architectes pour rendre imageable, palpable, communicable le problème de la métropole, aux dépends d’autres plus complexes à comprendre ? Quelle est leur réception dans ces discours, ces représentations ? Qu’en reste-t-il ? En quoi la CIGP favorise-t-elle un dialogue ? Sans compter que le problème de la planification est totalement occulté. Qu’est ce que cela traduit de la manière dont le politique reçoit ces questions et les interprète ?

 

Jeanne Chauvel

Sur la question État / homme politique, et qu’est-ce que l’État : C’est une question extrêmement profonde. Je crois qu’il n’y a pas seulement des hommes politiques. Avec la création du Secrétariat d’État au développement de la région capitale, on se place dans cette lignée des recompositions de l’État et de cette volonté de sortir de logiques purement sectorielles d’administrations sectorisées, grâce à la création d’administrations de missions éphémères sur des objets transversaux. Ce secrétariat, appareil administratif consacré à une partie du territoire métropolitain, était vraiment inédit même si cela existait déjà pour les territoires d’outre-mer. Cela dit quelque chose du rapport entre l’État et sa capitale.

 

Nathalie Roseau

Ce sous-secrétariat d’État n’existe plus. Avez-vous analysé ce qu’il en est advenu ? Où sont les personnes qui y ont travaillé ?

Si l’idée était d’avoir une plateforme du même type que la DATAR, en quoi l’État, dans sa grande nébuleuse, a-t-il été transformé ?

 

Jeanne Chauvel

La DATAR était généraliste. Alors que ce sous secrétariat était directement relié à Jean-Louis Borloo et ensuite au Premier ministre. Dans les renégociations à l’intérieur de l’exécutif, il est intéressant d’observer la prise en charge de la question au plus haut niveau de l’État. Cette question a notamment été soulevé par Christian Lefèvre qui pensait que toutes les réformes métropolitaines d’envergure devaient nécessairement être portées par l’État au plus haut niveau.

 

Alessandro Panzeri

Sur le rôle de l’économie à l’intérieur de la CIGP : il est à la fois de réflexe et intégrée, c’est-à-dire que les équipes de la consultation s’intéressent spontanément à l’économie et à sa relation avec l’architecture, mais dans certaines équipes des économistes sont spécifiquement chargés de cette question. Dans l’équipe de Richard Rogers, nous trouvons même une école d’économie – High School of Economics de Londres – qui est le partenaire scientifique de cette équipe et tous les différents niveaux sont travaillés en même temps.

A propos de l’émergence dans la CIGP des trois éléments que j’ai décrit dans mon intervention – les points de repère, les infrastructures et le végétal –, la partie politique des organisateurs de la consultation souhaitait mettre l’accent sur le végétal, plutôt que sur le développement durable en lui-même. C’est évidemment une stratégie de communication consolidée pour transmettre le sentiment du développement durable, qui est lui l’un des enjeux majeurs de la consultation. D’ailleurs, dans les analyses faites par les équipes, nous pouvons remarquer que nombreuses sont celles qui prennent en compte le développement durable de manière structurante dans leurs propositions. Souvent, ils ne rentrent pas dans le détail technique mais, comme par exemple pour Studio 09, en prenant en compte les zones inondables comme thème porteur de leur argumentaire.

Concernant les deux autres points, ils émergent aussi dans le cadre des séminaires de coordination. Deux séminaires de coordination ont en effet eu lieu entre les différentes phases de rendu, le premier avant la fin l’année 2008 et le second fin janvier début février 2009. Lors de ces échanges, le comité scientifique présidé par Michel Lussault et Paul Chemetov donnait des consignes. Nous n’avons pas encore la retranscription de ces échanges, auxquels on aura peut-être accès dans une vingtaine d’années, mais ils participaient beaucoup à ce qui allait être présenté dans le rendu final. De gros changements ont été opérés, notamment pour créer des images communicables, resserrer et synthétiser des thèmes pour les rendre le plus efficaces possible, surtout en vue de l’exposition qui devait être la synthèse de la CIGP.

 

Jacques Deval

Pour quelles raisons y-a-t-il un manque de visibilité de la question du paysage et du rôle des paysagistes au sein de la CIGP ? Pourquoi cette intervention ne retranscrit pas ce manque?

 

Alessandro Panzeri

La mise en avant des architectes comme « mandataires » et coordinateurs de chaque équipe pluridisciplinaire est une volonté des organisateurs de la consultation et du politique. Ces équipes étaient notamment composées de structures de recherche, urbanistes, géographes, paysagistes, sociologues, ethnologues, économistes, artistes, etc… Dans l’occurrence, mes recherches doctorales, dont cette intervention est issue, portent sur la notion de monumentalité appliquée à l’échelle du territoire et non sur la notion du paysage elle-même : comment on peut voir à travers la lecture de la monumentalité émerger les questions du développement durable et la manière dont ces questions ont été restituées dans les visuels des équipes. Mais en effet, dans le cadre d’un autre travail de recherche, il serait intéressant de parler de l’impact du paysage, du rôle des paysagistes et comment le paysage a été présenté au sein de la consultation.