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DOI

10.25580/IGP.2020.0039

DISCUSSION

Cédric Fériel :

La banlieue bleue cherche à enterrer ses infrastructures routières, phénomène que l’on observe beaucoup moins à l’est de la région parisienne… Quelle est la capacité de ces acteurs à influencer le paysage de ces infrastructures routières ?

 

Mathieu Flonneau :

Oui, en effet. Il y a traitement différencié entre l’est et l’ouest du boulevard périphérique qui procède d’un simple fait chronologique décalé entre ce que vous appelez la banlieue « bleue » et donc symétriquement la banlieue « rouge ». La portion ouest est plus récente et a bénéficié du renouvellement de la culture technique. La doctrine des ingénieurs des Ponts et Chaussées a évolué et s’est urbanisée, et davantage d’attention a été portée aux aménités, aux questions d’esthétique, dans la partie ouest que dans la partie sud, qui est historiquement la première du boulevard périphérique. L’enfouissement a effectivement été réalisé sous les réservoirs et les bassins du Bois de Boulogne.

 

Loïc Vadelorge :

Mathieu Flonneau a parfaitement raison de dire que les Trente Glorieuses, qu’on a souvent critiquées comme des années « bagnoles », étaient aussi ouvertes aux transports en commun, et penser la mobilité dans le schéma directeur de 1965 doit être aujourd’hui revisité. Par contre, je suis moins d’accord quand Mathieu Flonneau parle de révisionnisme à propos de l’histoire environnementale. Il y a effectivement des contestations précoces par rapport au développement routier, et il faut analyser en tant que telles dans un travail d’historien. Il faut bien sûr ne pas le faire de manière anachronique en disant que les manifestations écologiques actuelles ont des précédents dans les années 1950 et il faut les recontextualiser, mais elles ont quand même bien existé. Ce terme de révisionniste me paraît beaucoup trop fort par rapport à ce que l’histoire environnementale peut aussi apporter à une histoire des mobilités.

 

Mathieu Flonneau :

Bien entendu, j’entends la réserve de Loïc Vadelorge toutefois depuis mon observatoire je maintiens mon usage raisonné du mot « révisionnisme » et j’y ajoute même potentiellement le mot pas moins engagé de cancel culture relativement inculte dont je ne fais que constater les effets… Hélas.

 

 

Simon Ronai :

Je travaille sur le S.C.O.T avec la ville de Paris et je suis tout à faire d’accord avec les propos de Mathieu Flonneau, tellement en contradiction avec cette stigmatisation, cette diabolisation du périphérique qu’on entend à toutes les réunions aujourd’hui. Cette idée de frontière ou de muraille, est fausse mais elle est totalement inscrite dans les esprits et rejoint la critique à l’encontre de Paris. Aujourd’hui le périphérique apparaît comme un outil de domination et d’isolement de Paris alors que son histoire montre tout le contraire. À sa construction il était perçu positivement, comme un outil de mobilité bienfaisant. Et de fait, on peut sortir tous les 500 mètres du périphérique, entrer dans tous les grands boulevards de banlieue. Il est pourtant perçu comme une frontière alors qu’il y avait auparavant une muraille. Comment cette nouvelle image s’est-elle construite alors qu’il est indispensable dans la vie quotidienne, massivement fréquenté, notamment par des banlieusards qui vont de banlieue à banlieue ? Je ne sais pas si c’est idéologique mais l’image négative l’a définitivement emportée.

 

Souha Salhi :

Comment se dessine actuellement l’équilibre entre le réseau ferré et le réseau routier dans les aménagements urbains ? Durant l’entre-deux-guerres, on assiste à un engouement des urbanistes pour les routes automobiles (« autostrades »). Le mouvement ne s’est-il pas inversé en faveur de la voie ferroviaire (au sens large) actuellement ?

 

Mathieu Flonneau :

Il est très clair que le constat des représentations fait qu’il est très politiquement incorrect de replacer la route dans le débat général, et il y a là, pour la ville centre et même le Grand Paris, un déséquilibre des pratiques et des représentations ce que le débat sur les Zones à Faibles Emissions (ZFE) atteste à tout instant. On est donc bien dans une certaine idéologie. Le sens de l’histoire fait bon marché des cohérences antérieures. Toutes les personnalités qui ont été évoquées, et notamment Paul Delouvrier, étaient préoccupées du bien public. Cette préoccupation ne doit pas être enlevée à la période des « Trente Glorieuses ».

 

Nathalie Roseau :

Il me semble que les retournements de représentation concernant le périphérique peuvent être lus ne serait-ce qu’au travers de la longue durée de réalisation de cette infrastructure, puisque le chantier dure 17 ans et que la jeunesse du périphérique remonte bien avant. Le chantier débute avec les tronçons de la partie sud qui sont très dessinés sur le plan infra-architectural. Évidemment cela a évolué par la suite, mais au début c’est un ouvrage vraiment très intégrée. Son ouverture finale s’achève dans une sorte de d’essoufflement et de critiques très fortes que symbolise notamment le rejet du projet de super périphérique. Donc ces changements d’appréciation sont visibles durant le temps même de la construction du périphérique.

Nous avons d’abord abordé aujourd’hui un Grand Paris de papier, de plans, qui suscite des contestations par rapport à des rapports de pouvoir, de positionnement, des idées, des projets qui n’ont pas été réalisés. Aujourd’hui s’affirme un Grand Paris qu’on ne peut pas gommer, dont le socle est figé, matérialisé à travers un chantier. Il incarne une autre façon de projeter des rapports de force, de pouvoir, mais aussi une matérialité, et les contestations qu’il suscite ne sont pas de même nature, me semble-t-il.

 

Mathieu Flonneau :

Le titre de ma communication qui était justement sur ces calques célèbres de Delouvrier qui a, dès les débuts du district, exécuté des calques à l’ancienne de ces projections d’infrastructures routières. Mais il faut avoir en perspective l’échec de beaucoup de réalisations autoroutières en région parisienne, à commencer par celles qui concernaient le Paris intra-muros où beaucoup de rocades et de tangentielles avaient été prévues, parfois initiés, et puis on a reculé. En banlieue il y a également eu des tentatives parfois avortées, qui laissent des paysages urbains qu’adore Aurélien Bellanger, la ruine de projets calqués. La matérialité n’a pas suivi.

 

Louis Baldasseroni :

Pour reprendre le débat sur cette histoire de contestation environnementaliste / la route, le mot-clé me semble être l’adaptation. Entre les projets métropolitains, routiers ou autres, de papier et la réalité, il y a des échecs et des réussites mais cela me paraît un peu trop binaire. J’ai essayé de montrer dans mon étude de cas et on l’a vu aussi pour le périphérique, on observe des adaptations constantes dans la manière de faire les choses, dans la prise en compte de l’environnement – environnement au sens large et pas seulement les enjeux écologiques – et la question se pose évidemment beaucoup en milieu urbain. Cet aspect vraiment adaptatif qui me paraît intéressant à considérer.

 

Simon Ronai :

Est-ce que vos critiques, Mathieu Flonneau, portent aussi sur la politique de la mobilité intra-muros à Paris (même discours et les mêmes réalisations anti-automobiles) ?

 

Mathieu Flonneau :

Hum !… Je l’ai écrit, le sens du vent actuel est à déconnecter du sens de l’histoire. Le projet urbain actuel n’a pas la cohérence et la force, y compris sociale et socialiste, des années glorieuses de la croissance économique. Tous les paramètres ont changé évidemment mais il y a une forme d’inclusivité auto-revendiquée de la ville qui est très contestable aujourd’hui, notamment dans les dérégulations des mobilités. L’archaïsation forcenée des régulations anciennes est un désastre ! Le paysage parisien est en perpétuel chantier. On a évoqué l’esthétique parisienne mais on peut faire autant d’expositions sur ce thème que l’on veut au pavillon de l’Arsenal, je suggère surtout d’y prêter attention vraiment ! notamment pour ce qui touche à la redécouverte tardive et périodique de l’urbanité haussmannienne. A bon entendeur…

 

Géraldine Texier :

Dans notre réflexion sur les places de Paris,à laquelle a d’ailleurs contribué Mathieu Flonneau, on évoquait la place de l’Étoile et les places de la ceinture en se demandant s’il y avait des espaces publics sur le boulevard périphérique, dessus et dessous. Nous avons essayé de comprendre si ces échangeurs pouvaient être des espaces publics praticables, et s’ils pouvaient même avoir le nom de place. Seule la place de la porte de Saint-Cloud se distinguait là, parce cet élément routier était très architecturé et entrait davantage « dans » la ville.

Par ailleurs, je voulais citer le contre-exemple de l’auto-pont de Nanterre La Boule, sur le périphérique ouest, construit en 1971, très visible et non pas enterré.

 

Souha Salhi :

Comment se dessine l’équilibre entre le réseau entier et le réseau ferré actuellement dans les aménagements urbains ? Il y a toujours eu une tension entre ces deux modes de transport.

 

Mathieu Flonneau :

Certes on continue d’entretenir des routes, et on ne construit plus de voirie primaire, parce qu’on considère que ces infrastructures génèrent du trafic. Et là il y aurait toute une réflexion symétrique à effectuer sur la suppression d’infrastructures qui ferait « évaporer » du trafic – ce qui est très évidemment très contestable – contrairement à l’inverse qui est très vrai, c’est-à-dire que cesser de construire une infrastructure c’est ne plus gêner de trafic, c’est exact. Sur ces équilibres il est très clair que les investissements sont plutôt masqués, ou en tout cas ne sont pas avoués, autour des investissements routiers, tandis que les investissements dans les transports publics et dans les transports en commun sont plutôt survalorisés selon des objectifs communicationnels. Mais la route se réinvente, et la route est une infrastructure qui peut porter des mobilités collectives, et c’est là l’un des enjeux fondamentaux de la « résilience routière ».

Par ailleurs, pour compléter les propos de Géraldine Texier à propos des auto-ponts, une dimension serait à prendre en considération et est jusqu’à présent peu étudiée, celle de la dimension provisoire de ces infrastructures. Mais le provisoire, comme à Orléans par exemple, peut durer trente ans ! La notion chantier urbain est une vraie problématique urbaine également. J’aimerais qu’on réfléchisse sur les chantiers urbains du Grand Paris Express qui transforme la réalité quotidienne de personnes qui, en plus, les financent !