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DOI

10.25580/IGP.2020.0034

Nathalie Roseau :

Je m’intéresse aux usages qui ont été faits de ces images évoquées par Daniel Coutelier, et un numéro de Pour mémoire a déjà évoqué cet aspect. Mais comment les ministères se saisissent-ils de ces images ? Elles semblent faire office de documentation mais aussi de discours de promotion sur 75 ans de grands travaux réalisés par les différents ministères…

 

Isabelle Backouche :

Ces fonds sont difficiles à organiser et longs à indexer. Vous avez évoqué la présence d’apprentis à Terra qui font ce travail très long d’indexation des images pour une optimisation et un usage facilité du fonds. Par ailleurs ce genre de fonds, comme celui des parcelles cadastrales, a été archivé au fur et à mesure des usages que l’on a fait de ces images. Certaines sont revenues au service de la communication, d’autres pas, restaient dans les services qui en avaient encore besoin…

 

Daniel Coutelier :

Oui, le travail réalisé par les apprentis, qui indexent tout le fonds numérisé, est très important. Nous avons aussi eu la grande chance de rencontrer l’historien de la photographie Didier Mouchel (aujourd’hui décédé) qui s’est intéressé aux photographes ayant produit ces photographies, photographes anonymes au départ. Avec lui nous avons commencé à valoriser notre fonds, à mettre en avant  tout d’abord les reportages très particuliers, d’une très grande qualité esthétique, que sont les enquêtes sociologiques, dans les galeries, les musées, puis nous avons élargi au fur et à mesure l’étude du fonds à d’autres reportages, d’autres sujets traités dans le temps, exposé au Jeu de Paume (Photographies à l’oeuvre), aux Photaumnales, au musée de Royan, à Lorient, au Muma du Havre, à la Maison Henri Doisneau (monographie Henri Salesse, Nouveau monde), etc. Cela a permis à ce fonds de se faire connaître, auprès du public, mais aussi et c’est important de le noter, aux yeux des 60 000 agents du ministère ! Quand il a été décidé de se séparer de cette banque d’images qui « baignait dans son jus » depuis toujours, proche de la production, ce fut un peu un traumatisme pour le service audiovisuel. Par contre, nous avons profité de cette décision charnière pour obtenir le financement de la numérisation en haute définition du fonds photo argentique dans son intégralité, (1945–2002, soit plus de 100 000 numérisations)  avant versement aux Archives Nationales . Les 10 années d’expositions passées nous avaient c’est certain donné une crédibilité pour obtenir ce financement.

 

Frédéric Pousin :

Ces fonds posent la question de la gestion de ces images, des métadonnées. On ne peut pas tout garder, tout indexer. Le classement qui a été fait avant inventaire, avant que les documents n’arrivent aux archives, aide ou pas à s’y retrouver… Cette question est particulièrement présente lorsqu’on accède à des fonds privés, des fonds très fragiles, menacés de disparaître car ils ne trouvent pas toujours des lieux pour les accueillir. Les archives de la Cité de l’architecture à Paris sont pleines… Aujourd’hui les archives départementales se sont organisées pour accueillir beaucoup de fonds de concepteurs, architectes, paysagistes, etc. Il y a donc une sorte de réseau qui se met en place, qui se constitue au sein du ministère de la Culture qui a une politique de collecte et de conservation et de ces archives.

Par ailleurs j’ai été assez attentif aux réflexions de Daniel Coutelier concernant la technique photographique, et cet aspect me paraît important par rapport au projet de Michel Poivert de conservatoire de techniques photographiques, notamment d’avant le numérique, pour conserver des savoir-faire. Ces photos de la Reconstruction prises au 6×6 puis à la chambre en 9×12 pour redresser les perspectives montrent bien l’importance de faire aussi l’histoire des techniques parallèlement à l’histoire des documents photographiques. Les photos qui sont produites sont aussi la résultante de ces interactions avec les dispositifs techniques. Quand, avec un collègue, nous avions interrogé Ito Josué, un photographe des grands ensembles, sur les photographies qu’il prenait dans les années 60, il évoquait de nouveaux objectifs qui permettaient de redresser les perspectives. C’est essentiel pour comprendre les photographies des grands ensembles parce que ces bâtiments imposent des points de vues, avec leurs longueurs extrêmes, leurs grandes hauteurs, des caractéristiques qui, grâce à ces nouvelles possibilités techniques, font naitre une autre photographie.

 

Daniel Coutelier :

Avec Didier Mouchel nous avons mis assez longtemps à comprendre que les photographes de la Reconstruction, les premières années, réalisaient avec leurs appareils 6×6 des panoramas, en multipliant les vues côte à côte. Car le format des appareils de type Rolleiflex ne permettait pas de rendre compte de ces grands chantiers. On a mis du temps à le voir et à reconstituer ces panoramas car les négatifs portaient des numéros différents et n’étaient pas forcément mis en relation entre eux dans le fonds. Puis dans les années 50 on est nécessairement passé aussi à d’autres formats permettant des vues larges ; mais la pratique a persisté puisque les photographes ont longtemps gardé leur appareil type Rolleiflex en appareil principal, un appareil plus léger et plus adapté pour arpenter les rues.

À mon arrivée à la photothèque, en 2002, il n’y avait aucun nom de photographe, toutes les photographies étaient anonymes. On a fait un gros travail de recherche, très long et parfois très frustrant, en passant par les dossiers administratifs, de véritables enquêtes sur l’identité des photographes, et en tirant pleins de fils nous avons pu heureusement quasiment tous les découvrir, écrire leurs biographies, etc. Ainsi nous avons rencontré la fille d’Henri Salesse, Jeanine Salesse, qui a conservé tous les appareils photographiques de son père et nous a parlé de sa pratique. Elle nous a montré des photos personnelles où on le voit perché en équilibre sur une bétonnière. On peut ainsi, petit à petit, reconstruire l’histoire de ces pratiques.

 

Frédéric Pousin :

Qu’en est-il de l’impact de l’apparition de la diapositive et de la place prise par la couleur dans les années 80 ? Dans l’histoire de la photographie la couleur accède à une véritable dimension artistique dans les années 80. Mais l’usage des diapositives (en couleurs) correspond aussi, à partir des années 70, à des usages très communs, à une massification et une démocratisation de la production photographique. Dans les agences son usage est très important et la diapositive documente tout le travail grâce à sa facilité d’usage. Il me semble intéressant de mettre en relation l’apparition de techniques, dont certaines catégories d’usagers vont s’emparer, et leur potentialité d’usage.

 

Daniel Coutelier :

En 1981 la couleur devient au ministère le fonds maîtrisé et bien indexé. Par ailleurs cet usage massif de la diapositive est aussi lié à l’histoire de l’impression couleur, qui était beaucoup plus chère à réaliser dans les années 50 et 60.

 

Nathalie Roseau :

Elles ont aussi beaucoup été utilisées pour les cours et même transformé la manière d’enseigner…

Dans un autre registre, vous avez évoqué le fonds de la DRIEA Île-de-France. J’ai pour ma part travaillé sur les archives photographiques d’Aéroports de Paris qui dispose d’une importante photothèque aussi. On a également évoqué ces tirages photographiques conservés au Pavillon de l’Arsenal, ou à la direction de la voirie et des déplacements. Existe-t-il une sorte de réseau, de collectif des photothèques qui se serait constitué de manière embryonnaire, comme pour les archives ? Comment avez-vous échangé avec vos collègues ? Car il existe de nombreux fonds photographiques disséminés, fragiles, certains sont versés aux Archives Nationales… N’y a-t-il pas un besoin de constituer une sorte d’archive photographique du Grand Paris à travers différents fonds déjà repérés ? C’était déjà un peu l’objectif de Terra…

 

Daniel Coutelier :

Oui c’était mon ambition. Par ailleurs c’est aussi venu d’une question technique. Comme nous voulions mettre en ligne notre fonds vidéo en plus de notre fonds photo, nous avons dû constituer une nouvelle base de données, et notre prestataire nous a informé qu’à partir de là nous pouvions intégrer de nombreuses autres bases séparées, pour le même prix. Du coup j’ai eu envie de faire une multi-médiathèques, d’ouvrir le site à d’autres banques d’images, au moins au niveau du ministère. Concrètement ce n’est pas aussi facile. Nous sommes 5 ou 6 médiathèques sous la bannière Terra et cela avance doucement, mais les fonds sont inégaux, les moyens aussi (il n’y pas toujours de photothécaire derrière). Il n’y a pas toujours de classement, d’indexation, ni même une sensibilité par rapport à l’archive et à la documentation comme dans le milieu de la recherche. Les services de communication qui suivent les ministres n’ont pas nécessairement mené une réflexion par rapport à ce sujet. Mais nous avons déjà 6 bases de données dans Terra, le principe étant que chaque médiathèque reste indépendante et gère son fonds, cela pour éviter des thesaurus gigantesques et par peur des projets trop lourds qui n’aboutissent jamais. Sur un même serveur partagé se trouvent toutes les banques d’images sous une bannière commune, avec une même identité graphique, mais chaque entité, chaque organisme, est autonome.