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Session 2 : La place de la photographie dans l’histoire de l’aménagement

par Raphaële Bertho

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DOI

10.25580/IGP.2020.0030

Après avoir arpenté des lieux du Grand Paris contemporain ce matin, avec les photographes, leurs commanditaires, nous allons cet après-midi chercher ces représentations photographiques, celles de Paris, au sein des archives. Là encore la question de la figurabilité de cette agglomération se pose, non plus en termes d’espace, et la capacité à embrasser l’intégralité du territoire, mais sur la manière dont la contemporanéité de la question nous oblige à une relecture des archives. En effet les corpus que nous allons parcourir ont été constitués depuis le début du 20e siècle à l’aune d’enjeux urbains et de logiques d’action différents de ceux qui nous occupent aujourd’hui. Constituées par des institutions publiques ou privées, ces archives ne s’inscrivent pas originellement dans le territoire du Grand Paris, entendu comme une entité territoriale constituée, mais dans la dynamique séculaire entre la capitale et sa périphérie immédiate, dans cette dynamique séculaire avec les environs, la Zone, la banlieue, évoqués ce matin. Revenir dans l’archive nous oblige à revenir sur l’historique de ces conceptions territoriales, afin de comprendre la manière dont ces représentations photographiques sont marquées par les évolutions, des conceptions du territoire de l’agglomération. Ces explorations historiques marquent aussi la malléabilité de l’archive, laquelle constituée à d’autres époques et pour d’autres fins offre pourtant la possibilité de tracer la genèse de la représentation d’un Grand Paris contemporain. Chacune de ces interventions de cet après-midi s’inscrit donc dans un double mouvement, celui de la genèse de chaque corpus et celui de son observation au prisme d’enjeux territoriaux actuels. Il s’agit autant là de faire l’histoire visuelle du Grand Paris que de chercher le Grand Paris au sein de cette histoire des représentations. Les images documentent tout à la fois un regard, un point de vue situé historiquement, et les états d’un territoire.

 

Une double exploration que nous allons débuter au début du 20e siècle avec Olga Lemagnen qui nous propose une analyse de la représentation des environs de Paris, dans les archives photographiques de la Commission municipale du Vieux Paris. En effet l’institution, fondée en 1898 pour travailler à l’inventorisation du patrimoine parisien, décide de franchir les murs de la cité, en se fondant sur le lien intrinsèque entre la capitale et sa banlieue. L’observation des modalités de constitution de l’archive permet ici Olga Lemagnen de constater l’existence, dans les motivations de l’institution parisienne, d’une forme d’ambiguïté. La prise en compte du patrimoine bâti des environs de Paris répond tout autant à une volonté de reconnaître l’importance de ce territoire périphérique dans l’histoire de la capitale, sous la forme d’une interdépendance nécessaire, qu’à une conception d’un rapport de sujétion entre ces deux entités.

 

Isabelle Backouche et Victoria Hatem vont poursuivre cette réflexion sur la représentation de ces environs de Paris dans les années trente, à travers celui d’un territoire spécifique, celui de la Zone. Les archives sont alors constituées par la direction de l’urbanisme de la préfecture de la Seine, dans une logique opérationnelle d’aménagement de ce territoire. C’est de nouveau le bâti qui est photographié mais à des fins d’expropriation cette fois et non de patrimonialisation. La fonction du document est presque antinomique à celle du premier corpus étudié. L’échelle d’action de l’institution diffère aussi. Quand la Commission du Vieux Paris interprète de manière extensive son champ d’action, la Zone entre de plein droit dans le territoire aménagé par la préfecture de la Seine. Si la raison d’être et le périmètre de ces corpus sont absolument distincts, ces archives visuelles permettent de la même manière l’étude d’un espace social aujourd’hui disparu, retraçant ainsi l’histoire visuelle du territoire du Grand Paris.

 

Dans les années soixante, l’aménagement de Paris et de sa banlieue s’inscrit plus largement dans le plan d’aménagement du territoire mené depuis l’après-guerre par le MRU. Ce dernier se dote dès 1945 d’un service photographique qui documente l’action de manière systématique sur l’ensemble du territoire national. Toutefois l’agglomération parisienne tient une place particulière dans cet ensemble, du fait de l’importance des chantiers entrepris et de la volonté de les promouvoir comme exemplaires de la politique gouvernementale en matière d’habitat et d’urbanisme. Daniel Coutelier nous propose ainsi de revenir en image sur la photothèque du MRU (et des ministères qui lui ont succédé) et sur l’exposition Demain Paris, qui se déroule au Grand Palais de Paris en 1961. Le corpus de 200 clichés permet ainsi de prendre la mesure du discours qui est alors promu pour le devenir du Grand Paris. Il marque l’origine d’une politique dont nous pouvons, 60 ans plus tard, apprécier les développements.

 

Enfin, Frédéric Pousin et Sonia Keravel nous proposent de sortir des fonds d’archives publiques pour considérer l’abord des fonds d’agences de paysage privées, qui contribuent tout autant à construire une représentation du Grand Paris. L’organisation de l’archive ne répond plus ici à des logiques de périmètre d’action institutionnelle ou au développement d’une politique à long terme. Elle se fait par projet, considérant un territoire et une temporalité plus spécifique. Ce corpus permet de constituer un contre-point nécessaire, considérant la production de représentations photographiques qui répondent à des usages et des finalités propres.

 

De l’archive publique à l’archive privée, des années 1900 à nos jours, nous allons donc avoir le privilège de traverser un siècle d’histoire photographique du Grand Paris. Loin de clore la question, cette journée a pour ambition d’initier une recherche plus large, un chantier. Les corpus présentés aujourd’hui nous permettront, nous l’espérons, de réfléchir tout autant sur les apports de ces documentations visuelles que sur la méthodologie de relecture a posteriori de ces corpus, afin d’aller plus avant dans l’identification des archives photographiques du Grand Paris.