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DOI

10.25580/IGP.2020.0012

Intervenant non identifié :

Vous dites que la ville de Bonn a un complexe lié à sa petitesse. Pouvez-vous préciser de qui émane ce discours ?

Antoine Laporte :

En présentant le logo de Bonn, c’est en vue d’en faire une lecture a posteriori du marketing territorial qui a conduit à créer ce logo. Il est une émanation de la municipalité, ce quipeut traduire ce complexe. En 1949, quand elle devient capitale, c’est une toute petite ville qui compte 100 000 habitants, surnommée par les visiteurs internationaux et le personnel politiques qui y vivaient «  le village ». Elle avait deux surnoms : le « village fédéral » ou « la serre », soit un endroit petit, fermé, clos, où tout est tenu au chaud…

Intervenant non identifié :

Est-ce que le fait que la capitale ait été installée à Bonn pendant un demi-siècle a changé la ville ?

 

Antoine Laporte :

Oui, profondément. Cela a été un coup d’accélérateur très important pour le bâti. Des quartiers entiers ont été créés, parfois à la va vite, à la périphérie du bâti existant, pour accueillir les bureaux de ces institutions. Les quelques milliers d’emplois qui ont bougé de Berlin à Bonn ont eu un impact important pour cette petite ville. Cette population active était complètement tournée vers le tertiaire, dans une sorte de mono-activité pour le gouvernement à l’intérieur de cette ville.

Corinne Jaquand

Je suis étonnée, M. Menjot,  que vous n’ayez pas parlé du rôle du pouvoir religieux au Moyen Âge… Et aussi de ces cas de dissociation entre l’espace physique où les personnes de pouvoir résident et l’espace de la sacralisation de ce pouvoir, qui peut être situé dans une autre ville (comme Reims en France ou Köningsberg qui était mentalement la capitale symbolique pour la Prusse).

Sur la question du symbole, je suis entièrement d’accord avec vous. La réunification, grâce notamment à de grosses réserves foncières au centre de la ville et la disparition du mur, offre un panel de possibles. Il n’était pas question de reprendre les bureaux existants de l’administration est-allemande, ou très peu. On voulait créer quelque chose de neuf, et puis surtout des espaces publics travaillés. Cette dimension est en effet assez passionnante à Berlin et en Allemagne en général.

Denis Menjot

J’ai volontairement omis la question du religieux pour des questions de temps, tout comme les aspects culturels. Mais bien sûr ces aspects sont aussi très importants.

Intervenant non identifié

Lorsqu’on parle de la réunification à Berlin, je me demandais quelle était l’influence de la première unification ? Car Berlin a été unifiée une première fois en tant que capitale, puis réunifiée…

Antoine Laporte

La question n’est pas anodine. Berlin est une ville capitale qui a dû très régulièrement se construire comme une ville capitale, avec des défis très importants. En 1870, le premier défi de Berlin est d’accueillir toutes les institutions d’une capitale moderne, celle d’un futur empire colonial. Mais elle n’a pas la taille pour cela, et a en son sein toutes les institutions relatives à la Prusse. On parle à l’époque de doppelt Hauptstadt, capitale de l’Allemagne et capitale de la Prusse. C’est la première tentative de création d’un quartier gouvernemental moderne.

Puis, avec l’expérience nationale-socialiste, on n’observe pas véritablement de changement territorial dans la ville, pas de changement de statut véritable mais une volonté de faire table rase pour recommencer un projet urbain nouveau. Ensuite la ville est divisée, et la question de ce qui est centre et ce qui est périphérie se pose à nouveau. Puis avec la dernière étape aujourd’hui, cette capitale cherche à se montrer la plus transparente, la plus normale et la plus pérenne possible. Les précédentes étaient trop chargées d’histoire et d’idéologie, alors qu’aujourd’hui il s’agit moins d’un projet politique que d’un projet fédéral, pour le pays.

Si on s’intéresse à l’inscription territoriale actuyelle des institutions à Berlin. Dans la nouvelle capitale Berlin, ce qui semble important c’est d’avoir réussi, après des décennies de discutions, à illustrer la Constitution dans le sol lui-même, montrer les rapports inter-institutionnels entre l’exécutif, le législatif, etc. Parce que Berlin a été détruite. Cela se voit. On peut faire l’histoire de Berlin capitale depuis le côté occidental, mais aussi depuis l’Allemagne de l’Est, socialiste, où les projets d’urbanisme n’ont jamais vraiment réussi à se faire. De ce point de vue Berlin me fait davantage penser à des capitales nouvelles comme Washington ou Brasilia, où spatialement on a la juste distance et la juste proximité entre les différentes institutions. Lorsqu’on arrive à Berlin par la gare centrale, lieu populaire, banal, sans symbolisme particulier, la Chancellerie et le Parlement s’offrent aux yeux des voyageurs, comme si on donnait à voir (presque dans un sens de gratification) la Démocratie, à travers toute une rhétorique de la transparence. On peut regarder les députés travailler, et c’est très émouvant. Cela donne confiance, dans un pays très malmené par son histoire politique.

 

Cédric Fériel :

En Allemagne, il y a t-il une ville qui fait concurrence à Berlin dans l’imaginaire des Allemands ?

Antoine Laporte :

Oui, Francfort et Munich. Munich car elle a un système urbain proche de celui de Paris, dans son propre état fédéré, la Bavière. Elle se conçoit parfois un peu comme une ville capitale. Ce qui est symptomatique c’est qu’on peut traduire le terme de capitale mais qu’il n’y a pas de traduction correct du terme de « province » en allemand. Donc tous ces espaces homogènes et un peu semblables n’ont pas de désignation claire.

Intervenant non identifié

Le rapt originel du chariot d’archives pendant l’embuscade de Fréteval, qui déçoit le rêve d’une mini capitale qui ne serait pas une ville, est peut-être une légende mais cela avait son charme. Aujourd’hui, à l’ère numérique et avec la dématérialisation des archives, on pourrait accéder à ce rêve et lorsqu’on voit une carte de l’Allemagne, on voit que cela pourrait fonctionner, mais finalement on en arrive à une situation à la Parisienne… La carte de densité, du solde migratoire, montre que Berlin est relativement isolée par rapport au reste du territoire. Quel impact cette situation géographique a-t-il sur son développement, bien qu’elle soit ville capitale ?

Antoine Laporte :

Un article très intéressant d’un collègue américain, qui a travaillé sur la ville globale fin des années 90, évoque la question des déplacements de capitale aujourd’hui, alors que dans un contexte de la mondialisation cela n’a jamais été aussi inutile. Pourtant nous sommes dans une période où l’on observe plus que jamais de nombreux déplacements de capitales, comme en Allemagne : au Kazakhstan, en Birmanie, en Océanie. Il existe aussi des projets en Égypte, en Indonésie… Faut-il les lire comme un besoin de réforme de l’État sur le long terme ou un besoin symbolique ? C’est une question ouverte.

Par ailleurs, pour le second point, je pense que les différences est / ouest en Allemagne commencent à s’estomper, et ce qu’on observe de plus en plus c’est plutôt la division entre métropoles et espaces ruraux, comme en France. Il se trouve que l’ex-Allemagne de l’Est a beaucoup d’espaces ruraux. Mais on ne peut pas toujours lire le pays selon cette partition est / ouest. Aujourd’hui il vaut mieux vivre à Berlin, entourée des espaces ruraux de l’ex-RDA, plutôt que dans les espaces ruraux de l’ouest.

Florence Bourillon :

Vous comparez Paris et Londres, mais pourquoi ne pas évoquer Lisbonne, qui est pourtant exactement dans le même cas que Paris ?

Denis Menjot :

Oui, en effet, le cas de Lisbonne est comparable à ceux de Paris et Londres mais peu de chercheurs médiévistes s’intéressent au Portugal. C’est une ville de moindre importance, à la périphérie de l’Europe. Au Moyen-Âge c’est pratiquement terre inconnue…

Intervenant non identifié

À propos des arguments utilisés dans les stratégies de localisation des capitales, je suis surpris que pour Berlin il n’y ait pas eu cette volonté de rééquilibrer le territoire justement, de doter les nouveaux landers, de participer à l’intégration de l’ex-Allemagne de l’Est dans le système national en les dotant de la capitale, comme outil d’aménagement du territoire. Est-ce que cela a fait l’objet de discussions ?

 

Antoine Laporte :

Oui, on a pensé la capitale comme outil d’aménagement du territoire, comme levier économique.

On a même évoqué Braunschweig, située presque sur l’ancienne frontière entre les deux Allemagne…

Laurent Coudroy

Pour revenir sur les multiples exemples pris par Denis Menjot, j’ai en tête l’ouvrage de Bartolomé Bennassar qui évoque la situation de Madrid. Il dit qu’on peut en effet constater que Madrid est au centre géométrique de la Péninsule, mais aucun texte de l’époque ne confirme ce choix géographique pour cette raison. On peut aussi imaginer que c’est une position moyenne entre Tolède et Valladolid par exemple. Il existe d’autres façons de raisonner qui, de toute façon, ne sont pas explicitées dans les archives. Donc on ne peut comprendre la place de la capitale qu’après coup, de façon géo-historique comme tu l’as fait, et en comparant. Mais quand commence-t-on à avoir des argumentaires sur ces stratégies de localisation ? En avez-vous trouvés, même par fragments ? On peut imaginer que cela devient une sorte de politique urbaine un peu consciente. En a-t-on des traces dans les archives pour le Moyen Âge ?

Denis Menjot :

Concernant Madrid, c’est assez complexe. Il faut remonter aux capitales successives des royaumes chrétiens. Des textes importants de cette époque évoquent notamment le conflit entre Burgos capitale du León, et Tolède, capitale de la Castille, deux territoires qui seront définitivement rattachés en 1230. Certains textes évoquent la prééminence de l’une ou de l’autre capitale et développent un argumentaire précis pour déterminer ce choix. Saint-Jacques de Compostelle, la capitale religieuse, pose aussi question. Il y a aussi conflit entre des villes qui se revendiquent capitale d’un État, comme Séville, un temps capitale de l’empire almohade, ou Cordoue qui revendique l’héritage des Omeyyades. De nombreux textes montrent qu’un grand nombre de villes se revendiquent ou voudraient être capitales. Mais nous n’avons pas toutes les archives pour chacune et des argumentaires manquent. Et Madrid capitale apparaît au XVIe siècle…

Celle-ci ne sera-t-elle pas beaucoup plus tard confortée par une décision politique des Castillans, face au pouvoir catalan, avec la construction du plus gros aéroport de la Péninsule ?

Intervenant non identifié

À Berlin, après d’interminables débats, il fut décidé au début des années 2000 de reconstruire le château baroque de Hohenzellern, haut lieu symbolique, résidence des souverains prussiens puis des empereurs allemands, rasé en 1950 pour construire le Palais de la République. Quelle place cette reconstruction a-t-elle prise pour Berlin capitale ?

 

Antoine Laporte :

Oui, cela a eu une importance. Mais tout est imbriqué. Était-ce pour le statut de Berlin capitale de l’Allemagne, ou pour son affirmation sur le plan international en se dotant d’un musée d’art contemporain ? Le site est selon moi en grande partie illisible. Le Palais de la République a été déconstruit en grande partie parce qu’il était rempli d’amiante, et parce les Chrétiens Démocrates alors au pouvoir voulaient absolument effacer ce signe de la dictature est-allemande. Le projet urbain qui lui succède est curieux car il s’agit de reconstruire ce qu’il y avait là avant la guerre, le château de Berlin, reconstruit à l’identique avec une structure en béton armé pour en faire un musée d’art contemporain. Mais qu’est-ce que ce bâtiment veut dire aujourd’hui ? On remplace le symbole d’une dictature par le symbole de la Prusse d’avant 1918… qui n’était pas spécialement une démocratie…

Mais cela participe de l’idée qu’on replace ainsi Berlin dans une tradition de long terme. Berlin avait beaucoup souffert dans les années 90 car elle représentait l’Allemagne qui avait tout raté. Elle avait été la capitale du Reich, puis de la RDA, les deux régimes honnis après la réunification, et pour ces raisons elle ne devait pas être capitale. Finalement, elle essaie d’effacer ce passé-là en détruisant le Palais de la République et en se rattachant à des racines plus anciennes.

Chloé , question à Denis Menjot :

Vous évoquiez votre rapport introductif à l’ouvrage sur les villes capitales au Moyen Âge, écrit en 2005 avec Patrick Boucheron et Pierre Monnet. Soutenez-vous toujours les mêmes conclusions aujourd’hui? Il y a-t-il eu des déplacements historiographiques en 15 ans ? Par ailleurs, le terme de métropole est fréquemment utilisé dans votre article, par exemple pour parler de Florence comme métropole industrielle et marchande. Ce terme fait-il débat parmi les historiens médiévistes ?

Denis Menjot :

Oui, nous avons continué à travailler sur ce thème et intégré les apports de la thèse de Laurence Buchholzer-Rémy sur Nuremberg par exemple (Une ville en ses réseaux, Nuremberg à la fin du Moyen Âge, 2006). Nous avons aussi  travaillé avec des historiens allemands sur le rapport entre la cour et la ville, etc. Le terme de métropole est bien sûr beaucoup moins utilisé pour le Moyen Âge que pour l’époque contemporaine. On a voulu évoquer la pluralité de ces capitales qui ne sont forcément des capitales de pays (mono-capitale, centre d’un État) mais des villes ayant des indices de « capitalité », la fonctionnalité et la spatialité d’une capitale dans un État, une province, une principauté ou dans une monarchie. Nous avons beaucoup développé l’exemple de Frédéric II et des trois centres de son État qu’il voulait centraliser, chacun ayant des fonctions capitales, d’administration du gouvernement. Les choses se sont révélées assez complexes à partir des bases que l’on avait posées il y a une quinzaine d’années, et bien souvent plurielles. Notre étude sur la relation cour / ville montre que parfois la ville est dynamisée parce qu’elle sert de résidence au pouvoir, mais parfois la résidence est hors de la ville capitale. Je pense à Petrópolis au Brésil par exemple. On pourrait aussi développer sur l’aspect économique, et les travaux des géographes, notamment ceux du géographe Paul Claval.