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DOI

10.25580/IGP.2020.0017

Intervenant non identifié

A Florence Bourillon  : Ce vous avez dit sur la rive gauche était étonnant : est-ce que c’était aussi un moyen d’endiguer les universités ?

Florence Bourillon :

Non je pense pas du tout qu’il y ait eu une logique d’opposition aux universités. C’est plutôt qu’il y a une sorte de dépérissement de la rive gauche, au cours du XIXe mais aussi du XVIIIe siècle. Progressivement les espaces économiques dynamiques se situent sur la rive droite, donc lentement mais sûrement les propriétaires de la rive gauche constatent que les entreprises s’en vont, et souhaitent lutter contre ce dépérissement.

L. Coudroy de Lille :

En connaissant un peu les textes réunis par Pierre Lavedan, cet abandon de la rive gauche est perçu comme une anomalie puisque dans les présentations courantes de Paris, la ville doit être développée sur une rive comme sur l’autre, dans un schéma de symétrie par rapport au fleuve. C’est donc perçu comme quelque chose d’anormal.

Florence Bourillon :

Et d’ailleurs la politique haussmannienne va tenter de rééquilibrer cela avec les très grands travaux qui sont menés sur la rive gauche. Mais je pense que les pesanteurs parisienne étaient si lourdes qu’il n’a pas pu réussir dans ce sens.

Intervenant non identifié

Pour prolonger cette réflexion je voudrais ajouter que pour la période médiévale la rive gauche est une périphérie, et la ville de Paris est réellement installée sur la rive droite. Le fait que la rive gauche ait été un peu dynamique à l’époque moderne est plutôt une exception dans l’histoire de la ville, perçue de manière très violente pour des raisons idéologiques. Car il fallait dans la ville les trois ordres, l’université, le pouvoir politique et le pouvoir religieux, et cette tripartition géographique est aussi d’ordre idéologique.

Intervenant non identifié

Question par rapport aux déplacements des gares du centre-ville vers la périphérie : au-delà de la

libération du foncier, il y a t-il eu des arguments hygiénistes ou des arguments pour que ces espaces-là ne soient pas bâtis, pour y implanter des parcs ou autres, arguments qu’on retrouve aujourd’hui pour les projets autour de la gare du Nord ?

Florence Bourillon :

Non, pas du tout. L’argument de les mettre en périphérie du centre est de développer le peuplement autour des gares, et donc, au contraire, de les considérer comme des éléments d’aménagement pour attirer la population et desserrer le centre, dont la démographie est extrêmement dense. C’est très clair pendant le Second Empire. C’est donc le contraire des arguments avancés par B. Griveaux aujourd’hui…

Gilles Montigny :

Une remarque relative à la citation de Pierre Larousse de1867. Un rapprochement serait aussi à faire avec les Expositions Internationales, dans cette métropolisation qui cherche aussi une dimension internationale. Ces grandes expositions des XIXe et XXe siècle me semblent être des évènements très importants à rappeler.

Florence Bourillon.

Oui, tout à fait.

Emmanuel Bellanger :

Je me pose la question des appropriations populaires de la capitale. En vous entendant j’ai eu l’impression que les peurs urbaines, les peurs de la ville n’apparaissent pas clairement identifiées à la construction politique des capitales. Pourriez-vous nous éclairer sur cette dimension sociale, sur l’histoire sociale de Paris, intimement liée à la construction et au rayonnement politique de ce territoire ? C’est une question qui s’adresse à tous.

Marie-Vic Ozouf-Marignier :

Je suis embarrassée pour vous répondre, mais en ce qui concerne l’épisode révolutionnaire, on peut évoquer le peuple qui va chercher le roi à Versailles et le ramène dans Paris, et toute une série d’événements pendant l’épisode révolutionnaire symboliquement très forts. On peut aussi évoquer le pouvoir municipal que l’on donne à la ville mais qu’on lui retire dès qu’il y a des troubles. Ainsi on supprime la mairie de Paris sous la Convention thermidorienne, on la restitue en 1848 mais on la supprime aussitôt, elle est une fois encore restaurée en 1870… mais supprimée à nouveau après la Commune. Le vote par le pouvoir municipal parisien est lui aussi très symbolique. De très nombreux aspects pourraient être envisagés selon cet angle social.

Diane Roussel :

On pourrait aussi évoquer les premières barricades de Paris par exemple. Ce n’est pas l’expression de la population elle-même qui se donne à voir, se représente… C’est plutôt un regard qui vient de l’extérieur, sur cette population parisienne réputée incontrôlable, rebelle, etc. Et cela pose un problème sur la question de la résidence, des instances de pouvoir, de la place du roi dans la ville qui peut jouer un rôle d’épouvantail…

Florence Bourillon :

Cette question sociale est pour moi un tout autre sujet, que nous n’avons pas choisi d’aborder aujourd’hui…

Ma question porte sur ce réaménagement de la centralité de Paris dans la seconde moitié du 19e siècle. Après 1860, qu’en est-il du changement de seuil de Paris avec ces annexions ? Est-ce qu’on considère qu’il faut les intégrer à une certaine forme de centralité ? Est ce que cela donne une nouvelle centralité, ou bien cela reste très périphérique ?

Florence Bourillon :

C’est une question bien posée, sachant que l’historiographie a beaucoup évolué à ce propos. L’idée initiale était que toute l’administration soit concentrée sur l’Île de la Cité, et que le deuxième et le troisième réseau haussmannien étaient destinés à mettre en relation les quartiers nouveaux avec le centre et entre eux. De très nombreux ouvrages abordent les choses de cette manière. Sauf que dans l’Île de la Cité se trouve, certes, la caserne de la Garde Nationale (mais on trouve des casernes partout dans Paris) mais il y a surtout l’hôtel-dieu et le palais de justice. Cette caserne de l’Île de la Cité a suscité beaucoup de fantasmes sur le rôle de la préfecture de police. Mais il existait des casernes et des corps d’armée partout dans Paris. On ne savait pas du tout où loger les militaires au XIXe siècle, et des hôtels particuliers construits sous le Premier Empire étaient occupés par des soldats et leurs chevaux qui abimaient tout… Le pouvoir de contrôle de la population parisienne n’est donc pas particulièrement installé dans l’Île de la Cité, mais à mon avis se trouve de l’autre côté de la Seine, avec l’idée au départ d’en faire quelque chose d’extrêmement visible et d’extrêmement puissant. Cela n’a pas été réalisé mais il en reste des marques tout à fait évidentes, liées à la puissance de la préfecture de Paris.

Laurent Coudroy de Lille :

Vous avez tous insisté sur cette idée d’un Paris unique, incomparable, dont les acteurs de ces différentes situations historiques semblent peu voire pas du tout inspirés par d’autres expériences internationales, comme Londres ou d’autres villes. Que peut-on dire de ce scénario national très fort d’un point de vue scientifique ? Est-ce qu’on peut aujourd’hui, en fabricant des scénarios parallèles et des comparaisons, apporter quelque chose à la connaissance de ce phénomène parisien assez spécifique ? Et est-ce que les sources de ces différentes époques nous y aident d’une façon ou d’une autre ?

Diane Roussel :

J’ai abordé les questions d’aujourd’hui à partir de sources bien connues qui décrivent la capitale depuis le point de vue de ceux qui en font un centre administratif et politique. Par conséquent ce registre de l’exceptionnalité de Paris est très présent dans leurs discours et on a l’impression d’une certain aveuglement vis-à-vis du reste du monde. La ville de Paris est prise comme exemple et doit rayonner sur l’ensemble du royaume ou de l’empire. Mais des modèles extérieurs à Paris circulent et l’inspirent, notamment en ce qui concerne certaines fonctions politiques très précises de la ville. Certains discours proclament l’exceptionnalité et l’exemplarité de la police parisienne par exemple, et partout dans le monde on chercherait à développer ce modèle, mais en réalité les choses se passent un peu différemment et des modèles issus d’ailleurs circulent. Pour s’en apercevoir il faudrait étudier d’autres types de discours et se positionner hors de Paris.

Marie-Vic Ozouf-Marignier :

On cherche en effet à exporter ce scénario national, notamment lors des conquêtes napoléoniennes. D’une manière plus générale, il existe un système de pensée « newtonien », en terme d’attraction et de rayonnement, qui fonctionne un peu en fractales à l’époque, avec des grands et des petits astres. Ce modèle est pensé comme universel.

Florence Bourillon :

Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Il y a 20 ans, on avait lancé avec un collègue portugais un projet autour de cette question de la circulation des informations entre ce qui se passait à Paris et plus largement ailleurs (et pas uniquement au Portugal). Nous étions pris dans cette idée d’un Paris imposant son point de vue, dans un discours très univoque, universaliste, etc. Mais lui affirmait au contraire que des parisiens étaient venus voir ce qui se passait à Lisbonne. Dans les premiers travaux que nous avions faits, en particulier dans les fonds de la bibliothèque de l’hôtel de ville, nous avons bien vu qu’il y avait sans arrêt ces échanges, on les voyait émerger constamment. Le manque de sources est évidemment toujours le problème mais on en trouve des traces dans la presse, dans des échanges épistolaires, mais il faut tomber dessus… De nombreux voyages sont faits notamment par des administrateurs parisiens qui vont à Londres, et l’empereur lui-même incite ces gens à aller voir ce qu’il se passe en Angleterre. C’est un système en réseau et il serait certainement très intéressant de fouiller plus longuement.

Intervenant non identifié

S’il n’y a pas de comparaison urbaine internationale simultanée, existe-t-il alors une comparaison possible dans le temps ? Une époque de Paris est-elle plus mythifiée qu’une autre ? Une époque urbaine antérieure, comme celle de l’Antiquité, pourrait-elle être invoquée plus systématiquement qu’une comparaison avec une autre ville de l’empire ?

Florence Bpourillon:

Je pense que non, en tout cas pour la période du Second Empire. Le principe même de la modernité est de faire quelque chose de neuf. Je reviens sur cette question des voyages à l’étranger. La commission Merruau, qui a modifiée un tiers des noms de rue de Paris (un travail gigantesque), commence sa réflexion en comparant ce qui est fait dans le monde entier pour la dénomination des rues, à New-York, Londres, Madrid, etc. Donc le référent à certains modèles étrangers est bien là. Mais il y a aussi l’idée qu’il faut moderniser la ville, et je n’ai pas connaissance de moments antérieurs exaltés par les décideurs pour cela. Peut-être qu’un certain passé est présent dans le discours de l’opposition qui évoque le temps des quartiers de Paris où les gens se parlaient entre eux, y vivaient de façon agréable, etc. Tout le discours des Républicains pendant le Second Empire va dans ce sens. Un texte de Jules Favre paru dans la presse dit qu’Haussmann a détruit et complètement transformé Paris, mais dit aussi qu’il en a fait la plus belle ville du monde. Donc même les opposants politiques changent d’avis…

Beatriz Fernandez :

À propos du modèle parisien ou de la recherche de modèles extérieurs, j’ai quelques éléments à apporter pour le XXesiècle. Dans des archives peu exploitées de l’Hôtel de Ville, des archives du CSAORP autour du plan Prost entre 1928 et 1935, montrent que de nombreux membres du CSAORP ont voyagé en s’interrogeant sur la construction métropolitaine du grand Londres et d’autres villes. On voit donc, bien plus tardivement, la recherche de modèles étrangers au moment où on réfléchit à la région capitale et à la construction politique de la métropole parisienne.

Corine Jaquand :

Je voudrais simplement réagir et dire qu’il faut qu’on pense à articuler davantage une approche historique urbaine par les archives avec une approche historique par ce qui est construit, c’est-à-dire la ville comme document elle-même. Si l’on regarde Paris et l’implantation concrète des institutions, petites ou grandes, de la capitale, on remarque une inter-relation entre la rive gauche et la rive droite, avec notamment une articulation par rapport à la Seine, la place de la Concorde, une appropriation de différentes époques, un récit montrant comment on s’est réapproprié une architecture aristocratique du XVIIIe siècle, et des récits de re-récits comme ceux autour de la place de l’Étoile avec aussi des monuments et évènements commémoratifs après la première guerre mondiale, etc. Mais on observe aussi un détournement, presque de l’ordre de l’inconscient collectif, de ces mêmes espaces, dont les manifestations des gilets jaunes sous l’Arc de triomphe, deux semaines après la consécration présidentielle, constituent les derniers exemples en date. L’implantation architecturale du paysage urbain nous dit des choses dont les archives ne rendent pas compte car non perçues par les acteurs contemporains peut être.