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Introduction

by Beatriz Fernández

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DOI

10.25580/IGP.2020.0009

Maîtresse de conférences, EHESS / Géographie-cités


Cette séance à pour objectif d’examiner un certain nombre d’appellations génériques appliquées au Grand Paris : métropole, capitale; région parisienne ou région-capitale… Comment nomme-t-on et finalement conceptualise-t-on, parfois de manière très ordinaire ou implicite cette entité ? L’approche sera très ouverte, chronologiquement : nous allons balayer plus d’un demi-millénaire « géo-historique », depuis le Moyen-âge, jusqu’aux temps contemporains. Si ces derniers constituent habituellement le champ privilégiés de nos .travaux, les notions ne sont pas pour autant mieux fixées que par le passé, comme l’a rappelé la réémergence de lanotion même de Grand Paris au détriment de « région parisienne » il y a un peu plus de dix ans; la longue durée va nous permettre assurément d’élargir la réflexion, tant il est vrai qu’elle se manifeste aussi par les termes que nous utilisons.

D’autre part on a souhaité, comme souvent dans nos séminaires, nous porterons notre regard vers d’autres villes, grâce aux interventions de Denis Menjot et Antoine Laporte. Le cas parisien sera plus spécifiquement traité en contre-point, dans la seconde partie de ce séminaire, avec les interventions de Diane Roussel, Marie-Vic Ozouf-Marignier et Florence Bourillon.

Introduction

Au départ de cette séance de séminaire, il y a le constat que le terme et la notion de capitale sont aujourd’hui assez peu mobilisés tant dans la recherche urbaine que dans l’action publique territoriale et l’aménagement. Aussi bien en France que dans le monde anglophone ou hispanophone, d’autres termes sont privilégiés. Dans la littérature francophone, c’est le terme de métropole qui est aujourd’hui omniprésent. Il nous semble donc intéressant d’étudier les mots qui ont été utilisés pour désigner la capitale française, et ce à différentes périodes de son histoire.

En espagnol, dans la littérature en études urbaines, le terme capitale (capital) est assez rarement utilisé et on lui préfère ceux d’aire métropolitaine (área metropolitana) ou de région urbaine (región urbana). Dans la littérature anglophone, c’est le terme city region ou urban region qui est mobilisé, plutôt que celui de metropolis, qui renvoie à la croissance, voire au déclin, des grandes métropoles industrielles américaines. Il s’agit de ces great metropolis qui, comme Détroit, Chicago ou Buffalo, émergent dès la deuxième moitié du XIXe siècle et qui connaissent des processus de décroissance urbaine plus ou moins accusés dès les années 1950[1].

Dans les théories actuelles, c’est pourtant la capacité de ces city-regions à développer le rôle de ville globale, définie comme « un centre de commandement de l’économie mondiale »[2], qui est souvent mise en avant . D’où l’expression plus récente de global city-region, suggérée par le chercheur américain Allen J. Scott[3], qui souligne qu’aujourd’hui ce n’est plus seulement la ville centre qui concentre les fonctions dites globales, comme dans les années 1980 quand les villes globales ont été théorisées,  mais que ces fonctions (finance, services aux entreprises…) s’étendent à toute la région urbaine. Il existe donc un jeu de concentration / dispersion à l’intérieur des grandes métropoles, un double processus qui est d’ailleurs souligné dans les définitions de tropole et de métropolisation dans la littérature francophone[4]

Sur la base de cette réflexion lexicale, on peut d’ores et déjà se poser plusieurs questions : la généralisation des termes city-region, global city-region, métropole, etc, a-t-elle éclipsé les réflexions antérieures sur la capitale ? Parle-t-on toujours du même objet ou du même processus en utilisant des mots différents ?

D’un point de vue disciplinaire, on constate que le terme capitale est davantage utilisé par les historiens que par les géographes ou les urbanistes. Ici encore, est-ce le même sujet d’étude sous un vocable différent, selon les disciplines ?

Par ailleurs, l’actuelle montée en puissance de métropoles non capitales dans un contexte de concurrence interurbaine accrue à l’échelle globale, a-t-elle conduit à un certain désintérêt des chercheurs en études urbaines pour les capitales politiques ? ou bien à éclipser une partie des réflexions sur les particularités de ces capitales ? Quelles seraint ces particularités ? Autrement dit, qu’est-ce qui fait capitale ?

Cette montée en puissance de villes non capitales n’est pas pourtant nouvelle. Elle fait écho aux hypothèses de l’urbaniste sociologue Patrick Geddes, qui en observant la croissance de villes industrielles comme Birmingham ou Manchester au début du xxͤ siècle, remarquait dans Cities in evolution (1915) que « l’époque de prééminence incontestée des capitales politiques est terminée »[5].

Enfin, dans une histoire longue, la superposition du statut de capitale et des fonctions métropolitaines dans de nombreuses grandes villes européennes comme Paris, Madrid ou Londres, aurait peut-être contribué à confondre ces deux identités, capitale politique et métropole économique. Dans beaucoup d’autres pays les deux rôles sont géographiquement distincts, comme en Amérique du Nord ou en Amérique latine[6].

Cette confusion des identités de capitale et de métropole pose un certain nombre de problèmes, et on constate que définir une capitale politique est loin d’être simple[7]. Si l’on s’éloigne d’une définition par son statut, soit « une ville où siègent les pouvoirs de l’État » (Larousse), la notion de capitale se révèle assez difficile à appréhender. Elle peut être la ville principale d’un pays, celle qui concentre le plus d’habitants, ou pas. Quels critères retenir pour la définir ? Celui de centre des pouvoirs politiques ? De primauté socio-économique ? Culturelle ?

Selon les géographes Jean Brunhes et Camille Vallaux, dans La Géographie de l’Histoire,(1921) « la capitale peut être, selon la nation ou l’État, un assemblage de paillotes ou de cabanes en bois, un camp permanent, une ville mesquine ou un centre urbain tel que Londres ou Paris ;elle peut être fixe ou mobile, permanente ou temporaire ; mais sous ces aspects divers, on retrouve toujours l’indispensable organe de la vie de l’État, point de concentration des ressources et siège de la pensée de la volonté directrices[8]» On constate donc la grande diversité des capitales dans le monde, une pluralité des façons de « faire capitale », des formes variées de « capitalité » (pour reprendre le  terme capitalidad espagnol)

Je voudrais enfin évoquer un ensemble d’articles du géographe Jean Gottmann écrits à partir de 1977, et un numéro spécial sur les villes capitales de la revue Ekistics. Gottmann signale les nombreux transferts ou créations de capitales dans le monde depuis le début du XXe siècle (Ottawa, Ankara, Canberra, Pretoria, Brasilia, Islamabad…), et souligne qu’elles ont été relocalisées ou planifiées à une certaine distance des « principales conurbations croissantes ». (major growing conurbations). Gottmann revient sur deux éléments ayant contribué à ces relocalisations : d’une part, l’ingérence des pouvoirs urbains sur les décisions nationales, d’autre part une certaine ambivalence de la part des acteurs nationaux au sujet des plus grandes villes, dans certains pays et certaines cultures[9].

En 1983, Gottmann définit la capitale comme une charnière ou un espace-pivot, entre le pays et le monde mais aussi entre les différentes parties, réseaux et groupes d’intérêt présents sur le territoire national. Il souligne ainsi un enchevêtrement d’échelles assez caractéristique des capitales politiques[10].

Par ailleurs, alors que la ville globale n’a pas encore été théorisée par la géographie urbaine (l’article de John Friedman et Goezt Wolff définissant la ville mondiale date de 1982), Gottmann suggère que les capitales politiques constitueraient la base du réseau de ce qu’on va appeler par la suite des villes globales. Il me semble intéressant d’interroger, pour mieux comprendre la capitale au ses des Etats nations, leur constitution en réseau. Enfin, Gottmann souligne à quel point la centralité de la capitale renvoie aux relations centre / périphérie, qui peuvent être conflictuelles, aussi bien à l’échelle nationale (entre la capitale et le reste du pays) qu’à l’échelle locale