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Outils de projet ou de patrimonialisation ? Gestion nationale et appropriations locales des Atlas de paysage en Ile-de-France

by Sandra Parvu

Résumé

Divers ministères se sont partagés au fil des années la mission de protéger le paysage pour le mettre en valeur ou en projet. Bernard Barraqué décrit son rapport Le paysage et l’administration (1980) comme une façon de retracer l’histoire du paysage entre les ministères de l’Equipement, des Affaires culturelles, de l’Agriculture et de l’Environnement (entretien, 2018). Ces déplacements appartiennent non seulement à l’histoire de l’administration française, mais ils reflètent également l’évolution de l’étude du paysage au sein des sciences sociales, et plus spécifiquement de la géographie. Ma contribution propose d’asseoir la compréhension de l’outil « atlas de paysages » dans le contexte de ces trajectoires interdisciplinaires et interministérielles. Quels problèmes surgissent de la formule d’une apparente simplicité – l’atlas de paysages comme outil de connaissance – utilisée dès sa création en 1993 par le ministère de l’Equipement ? Quelles connaissances les atlas produisent-ils ? Quelles frontières l’histoire de cette géographie administrative dessine-t-elle à l’intérieur du paysage ? A travers la production visuelle et les postures adoptées par les paysagistes responsables de la conception des premiers atlas de paysages en Ile-de-France, je tenterai d’exposer quelques tensions et ambiguïtés que les atlas ont rendues tangibles, mais également les solutions et points de vue qu’ils ont apportés au projet urbain.

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DOI

10.25580/IGP.2018.0027

Sandra Parvu, architecte DPLG, maitre de conférences à l’ENSA Paris-Val-de Seine et chercheure au LAVUE


Français

Divers ministères se sont partagés au fil des années la mission de protéger le paysage pour le mettre en valeur ou en projet. Bernard Barraqué décrit son rapport Le paysage et l’administration (1980) comme une façon de retracer l’histoire du paysage entre les ministères de l’Equipement, des Affaires culturelles, de l’Agriculture et de l’Environnement (entretien, 2018). Ces déplacements appartiennent non seulement à l’histoire de l’administration française, mais ils reflètent également l’évolution de l’étude du paysage au sein des sciences sociales, et plus spécifiquement de la géographie. Ma contribution propose d’asseoir la compréhension de l’outil « atlas de paysages » dans le contexte de ces trajectoires interdisciplinaires et interministérielles. Quels problèmes surgissent de la formule d’une apparente simplicité – l’atlas de paysages comme outil de connaissance – utilisée dès sa création en 1993 par le ministère de l’Equipement ? Quelles connaissances les atlas produisent-ils ? Quelles frontières l’histoire de cette géographie administrative dessine-t-elle à l’intérieur du paysage ? A travers la production visuelle et les postures adoptées par les paysagistes responsables de la conception des premiers atlas de paysages en Ile-de-France, je tenterai d’exposer quelques tensions et ambiguïtés que les atlas ont rendues tangibles, mais également les solutions et points de vue qu’ils ont apportés au projet urbain.


Introduction

Cette séance du séminaire IGP a été l’occasion pour moi de développer une recherche initiée en 2011 par une série d’entretiens avec tous les paysagistes ayant réalisé un atlas de paysages pour un département en Ile-de-France.[1] Il s’agissait alors de comprendre la généalogie de cet outil, la façon dont il avait pris forme et les problèmes posés par sa formalisation. J’aimerais maintenant inscrire la mise en place de cet outil — l’atlas de paysage — dans le contexte un peu plus large de l’histoire des politiques publiques en France. J’ai repris la recherche de Bernard Barraqué, publiée en 1985, intitulée Le paysage et l’administration[2] et j’ai décidé de la croiser avec les écrits de quelques géographes qui revisitent l’histoire de la géographie par le prisme du paysage. Je ferai référence principalement à Georges Bertrand et Clément Vincent, qui a écrit un article assez synthétique très utile du point de vue de la contribution épistémologique à l’étude de paysage. Sur la question des Atlas, je m’appuierai sur les travaux de deux géographes, Yves Luginbühl et le laboratoire LADYSS d’une part sur la mise en place d’une méthode pour la construction des atlas de paysages — Méthode pour des atlas de paysage en 1994 — et Hervé Davodeau d’autre part avec deux articles sur les problèmes posés par les atlas de paysage de son point de vue.[3] J’y ajouterai deux travaux à mettre en lien avec la compréhension de ce contexte administratif et géographiques, deux travaux apparus en même temps que la mise en place méthodique et théorique des atlas de paysages : L’atlas des pays et paysages des Yvelines réalisé en 1992 par deux paysagistes Alain Freytet et Alain Mazas[4] et le document d’appui aux démarches d’aménagement de Jacques Sgard et Bertrand Folléa sur Les grands paysages d’Ile-de-France, paru en 1995.[5] C’est très important de comprendre que l’apparition des atlas de paysage ce n’est pas d’abord une théorie et ensuite une pratique ou vice versa ; c’est vraiment à un moment donné une coïncidence des temps.

En ce qui concerne le contexte administratif, Bernard Barraqué explique sa recherche a été pour lui une façon de démêler les fils entre les différents ministères qui ont eu la charge du paysage et d’envisager ce déplacement de la question du paysage d’un ministère à l’autre ainsi que la superposition des responsabilités. Au moment de la création du ministère de l’environnement en 1971, quatre ministères se partagent la responsabilité du paysage : le ministère de l’équipement, de l’agriculture, des affaires culturelles et le ministère de l’environnement.

 

Faille administrative (1930)

Première étape jusqu’en 1930, le paysage est considéré d’abord comme une affaire d’art. Il est intéressant que dans la Méthode pour les atlas de paysages Yves Luginbühl y revient et inscrit les atlas dans cette continuité, c’est à dire dans le paysage comme un monument ou un ouvrage d’art qu’il s’agirait de conserver ou de protéger. En même temps ce qui est intéressant c’est que cette protection génère aussi la première ambiguïté inscrite dans l’élaboration des atlas. À propos de la loi de 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments historiques et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, Bernard Barraqué écrit :

« [elle] créeait, après enquête publique, une zone de protection autour d’un site classé dans laquelle des prescriptions relatives à l’urbanisation et à l’affichage pourrait être fixées. Ceci permettait de ne pas classer des espaces trop étendus, mais en revanche faisait le lien entre protection des sites et urbanisme. […] La zone de protection créait potentiellement un conflit de compétence avec l’administration de l’urbanisme. […] La gestion des abords impliquait d’emblée une coordination avec les urbanistes et plus tard avec les administrations chargées de la planification urbaine et rurale. La loi de 1930 introduisait donc potentiellement le ballottement de la notion de paysage entre plusieurs administrations. »[6]

En fait, cette faille de 1930 c’est celle que Bernard Barraqué va exploiter dans sa recherche. En conclusion du rapport, il écrit qu’il a mis « l’accent sur l’opposition entre les conservateurs du paysage “pittoresque” tel quel, et les aménageurs soucieux d’intégrer la préoccupation paysagère à la démarche de transformation de l’espace. Dans ce second cas le paysage se rapproche de l’idée de milieu, d’environnement, d’écologie, dans une approche technico-scientifique qui emprunte à l’analyse des systèmes et s’éloigne de l’art des peintres paysagistes ». Donc, pour lui, l’histoire de la relation entre paysage et administration pourrait être résumée à une négociation entre une approche qu’il nommera intégrative et une approche de conservation, donc ce qui a trait au patrimoine et à la protection et ce qui a trait à l’aménagement et au projet. Trente ans plus tard, en 1960, la Directive relative aux zones sensibles de Pierre Sudreau, alors ministre de la construction, marque une autre date importante. C’est aussi un moment où le paysage est progressivement déplacé des affaires culturelles vers l’équipement. Et cette translation implique une articulation beaucoup plus convaincante qu’en 1930 entre cette approche de conservation et cette approche d’intégration. En voici quelques extraits :

« Sur l’ensemble du territoire des “zones sensibles” à protéger et dans lesquelles la construction doit être particulièrement surveillée, des lignes seront délimités sur proposition du directeur de l’aménagement du territoire en liaison, le cas échéant, avec les autres ministères intéressés. […] Il ne s’agit pas, enfin, de réaliser des ensembles intéressants en eux-mêmes qui font de belles maquettes et de remarquables projet de concours. Il faut que ces ensembles s’intègrent dans le paysage, se confondent avec lui ou créent eux-mêmes leur propre paysage original et significatif. […] Ce n’est pas faire preuve de conservantisme [sic] que d’empêcher les constructeurs de pénétrer par effraction dans le paysage français et d’en bousculer l’harmonie plus souvent par sans-gêne et défaut d’éducation que par nécessité. Ce n’est non plus vouloir créer une architecture d’un style officiel que d’inciter les architectes à rechercher des solutions originales qui s’adapte au mode de vie et aux caractéristiques propres à chaque région en s’inspirant d’un esprit général défini par le ministère de la construction ».[7]

On voit donc très clairement, à ce moment-là, la position d’un ministre de la construction, Pierre Sudreau, qui est en train d’articuler, d’une façon qui semble assez claire dans le texte de la directive, une protection d’un patrimoine paysager mis en relation avec une vision d’aménagement qui, dans les années 1960, était à l’apogée de la construction de logements de type grands ensembles. On a ainsi d’un côté cette préoccupation qui semblait être mise en avant par Bernard Barraqué mais qui semble aussi de toute évidence être pertinente dans cette histoire de la relation de l’administration française avec la question du paysage. Et d’autre part, on voit, à partir des années 1940 jusqu’aux années 1960, apparaître un tournant dans la place que le paysage aura pour la géographie.

 

Faille de la discipline géographique (1960)

Tout d’abord la géographie s’empare de la notion de paysage. Ce n’est plus seulement une question artistique et ça devient un objet de science. Et au même moment, il y a une scission qui s’opère à l’intérieur de la géographie entre géographie physique et géographie humaine. Bernard Barraqué cite le géographe Max Sorre :

« L’appréhension globale du paysage est un premier pas. Nous en franchissons un second en passant à l’analyse. Nous le trouvons formé d’éléments de plusieurs ordres : architectures du sol, climat, formations végétales, œuvre de l’homme… Derrière es traits concrets du paysage, notre analyse révèle tout un réseau de casualités… Le complexe physionomique doit toujours rester présent dans son intégralité. C’est pourquoi ensuite il n’est pas de vrai géographe sans des parties d’artiste. Dira-t-on qu’en demandant au géographe d’avoir des yeux pour voir, un nez pour sentir, des oreilles pour entendre, de traduire ces représentations d’une manière précise colorée et vivante. Nous réintroduisons ce qu’il y a de plus individuel de plus subjectif, de moins scientifique, le talent ? et après ? »[8]

Et puis, de manière encore plus clairement déterminée, Georges Bertrand écrit :

« Il existe plusieurs façons de concevoir le paysage et d’aborder son examen. On peut distinguer provisoirement deux grands courants de recherche dont les méthodes, et surtout les finalités, sont différentes. Le premier définit le paysage comme un espace subjectif senti et vécu, c’est la voie choisie par des architectes, des psychologues, des sociologues et quelques géographes. Le deuxième considère le paysage en lui-même et pour lui-même dans une perspective essentiellement écologique. Cette voie de recherche se situe à la confluence de la géographie et de l’écologie. »[9]

On peut dire qu’on voit à ce moment-là le paysage incarner la scission de la géographie entre une dimension dite « objective » liée au physique, et une dimension « subjective » liée au sensible, à l’humain, à la représentation et qui, d’une certaine manière, est héritée de son passé artistique.

 

Rencontres et résonances entre administration et discipline géographique

Ce qui me semble intéressant c’est que cette dichotomie est présente dans la méthode mise en place par Yves Luginbühl pour donner un cadre à l’élaboration des atlas dans le cadre d’une commande du ministère de l’aménagement et de l’équipement de l’époque. Dans la première partie du sommaire, on voit que le deuxième chapitre : « Élargir les connaissances produites par un atlas » comporte des sous-chapitres où toutes les questions sont liées à cette problématique, qui semble être spécifiquement géographique, de la séparation entre sensible et physique. Il y pose les questions suivantes : « tout d’abord quel est cet objet qu’on cherche à identifier ? qu’est-ce que le paysage ? qu’entend-on par dimension sensible ? comment mettre en œuvre cette dimension sensible ? peut-on se passer des apports des analyses scientifiques fondées sur des faits et des données mesurables ? ». On retrouve là le débat, on est en 1994, des cinquante dernières années de la géographie. Ces questions vont être reprises dans l’étude qu’Hervé Davodeau a poursuivi dans le cadre d’une commande plus récente sur les politiques publiques et le paysage. Il montre une résurgence de ce problème dès l’intitulé de son article : « Les atlas des paysages français ou les difficultés de concilier l’approche sensible et l’approche scientifique » dans lequel il écrit :

« Aux paysagistes la sensibilité, aux géographes l’objectivité. C’est cette conception de l’évaluation paysagère qui a orienté les choix de la maîtrise d’ouvrage en Maine-et-Loire : le diagnostic est confié aux paysagistes sur un mode sensible et l’évaluation des données dynamiques est confiée aux géographes “par l’exploitation d’un certain nombre de données statistiques officielles qui seront sélectionnées parce que susceptibles de mieux faire comprendre les processus d’évolution et de transformation récentes et à venir.” La complémentarité entre les deux approches permet de confronter les signes visibles d’évolution perceptibles sur le terrain par les paysagistes aux données statistiques traités par les géographes. Confirment-elles les ressentis des paysagistes ou non ? […] Cette méthode est utilisée pour l’atlas des paysages du Vaucluse : “cette première approche est alors confrontée aux sciences et à la connaissance. L’histoire, la géographie, la géologie, les données chiffrées permettent de mieux comprendre, d’objectiver et de corriger le cas échéant les données perçues sur le terrain”. »[10]

C’est donc une des continuités qu’on voit avec le débat géographique. Une autre continuité apparaît dans la deuxième partie du cadre donné par Yves Luginbühl : l’identification et la caractérisation des paysages à travers l’identification des unités de paysages. Dans le texte de Georges Bertrand un sous-chapitre s’intitule : la typologie des paysages. La façon dont il identifie ce qu’il va appeler « géofaciès géographique » me semble être en relation directe avec l’identification des unités de paysages. Cette identification s’inscrit donc dans un débat et dans une problématique géographique. Dans le texte qui accompagne cette typologie, Georges Bertrand parle d’unité quand il écrit : « le géosystème se situe entre la quatrième et la cinquième grandeur temporo-spatiale. Il s’agit donc d’une unité dimensionnelle comprise entre quelques kilomètres… ». Dans le document préparé et construit par Pierre-Marie Tricaud, [11] on a une méthode pour la construction des unités paysagères de la région Île-de-France où les découpages obtenus font écho à Georges Bertrand avec la question des grandes unités et des petites unités qui dans le langage de Bertrand sont les géofaciès et les géosystèmes. On peut mettre cela en relation avec l’entretien que j’avais fait, à l’époque, avec Alain Mazas qui, lui, construit l’atlas des paysages avant même que la méthode des atlas n’apparaisse. Il dit rétrospectivement, en 2012 :

« Dans la convention de Florence on dit qu’il y a trois éléments qui sont fondamentaux dans les atlas : éléments, structures paysagères, unités. Je crois que c’est lui [Luginbühl], son vocabulaire, qui a été adapté dans la convention de Florence plus ou moins. Je crois que par exemple la notion d’unité paysagère est de lui, alors qu’un type comme Bernard Lassus trouvait que c’était tout à fait inintéressant. Moi je trouvais que c’était trop abstrait, [Bernard Lassus est paysagiste], le mot unité me fait penser à un ensemble, à une division blindée par exemple. C’est vrai. Parler d’un motif de paysage, c’est autre chose que de parler d’un élément, alors il y a des éléments dans un paysage, mais c’est pas des motifs de paysage. Parler de motifs de paysage à mon avis c’est mettre le doigt sur ce qui est fondamental. Au lieu de parler d’unité paysagère j’aurais tendance à parler de type de paysage actualisé… »

On voit dans ces propos ce que je voulais mettre en avant ici : il y a, dans la mise en œuvre d’un cadre méthodologique par les géographes, l’importation d’un débat lié à la discipline géographique au sein d’un outil mis en place par le ministère. L’atlas des pays et des paysages des Yvelines réalisé par Alain Mazas et Alain Freytet a été commandé en 1990 par le CAUE des Yvelines qui souhaitait avoir une vision générale des paysages du département. Alain Freytet raconte que pour parler de ses paysages, ils se sont inspirés de la notion de « petits pays » utilisée par Fernand Braudel. La deuxième partie de l’atlas est vraiment consacrée à l’examen des paysages effectué pays par pays avec une description de ce que les auteurs appellent la charpente. On a d’une part la topographie, la géologie, l’hydrographie… sur lesquelles vient se poser le paysage et puis il y a des croquis et des représentations picturales qui représentent ces lieux. Dans la première partie, dans un chapitre intitulé propositions, ils disent que « compartimenter l’espace en zones ne fait en aucun cas l’affaire du paysage qu’il organise en horizons, en domaines, en sites, en lieux ». Alain Freytet rappelle que leur proximité avec Bernard Lassus les a amenés à l’époque à plutôt s’appuyer sur les notions que celui-ci avait mises en avant, les notions de support, de substrat, d’approche qui voit la connaissance apportée par ailleurs dans les atlas à des fins de projet. Pour eux la protection patrimoniale n’est pas opposée au projet, c’est le socle à partir duquel on fait du projet. Et donc, en ce sens, le départ réactualisé par la production du premier atlas en 1992 est dans une continuité avec l’ambiguïté mais aussi dans la négociation mise en avant par Sudreau, et d’autres avant lui, entre approche intégrative et approche de conservation. Simplement, là, ces deux approches ne sont plus en tension ou en opposition, ce n’est plus un bras de fer comme ça a pu l’être à certains moments, c’est vraiment quelque chose qui vient créer une synergie. On le voit par exemple à travers cette carte puisque c’est une carte des structures de continuité à maîtriser, c’est à dire que c’est une carte qui relève un état des paysages à un moment donné mais qui, à travers les continuités qu’elle met en avant, permet également de dire ce que va être le projet ou ce sur quoi devront s’appuyer les projets à venir dans ce territoire. Cet atlas est donc aussi bien un outil de connaissance qu’un outil d’action. On peut rapprocher ça d’une autre tradition géographique incarnée par exemple par Jean-Marc Besse qui parle de l’opération cartographique déjà comme une mise en œuvre projectuelle.

« Les diverses opérations de recueil d’informations, de sélection, de schématisation, de synthèse mais aussi de transcription de ces informations et de dessin qui définissent intellectuellement et pratiquement l’activité cartographique font déjà de la carte quelque chose comme “un opérateur de construction du paysage” ».[11]

Donc là on se positionne dans un débat un petit peu différent et selon des cloisonnements différents en ce qui concerne la production de la connaissance. Je trouve qu’il y a un lien entre la carte de Alain Mazas et Alain Freytet avec les continuités à maîtriser et celle de Jacques Sgard dans son document d’appui aux démarches d’aménagement. On voit ici comment il a dessiné cette carte en suivant effectivement des corridors, des continuités, des horizons qui à son sens devaient continuer à avoir une visibilité dans le paysage.

Je concluerai avec deux extraits d’entretiens que j’ai réalisés l’un en 2011 avec Jacques Sgard et l’autre en 2012 avec Bertrand Folléa et Claire Gautier. Jacques Sgard dit : « Les atlas sont toujours une nourriture intéressante pour connaître un peu une région mais toutes ces monographies n’ont pas pour but de déboucher sur un quelconque projet et pour moi ces atlas ont un peu cette même tonalité : une masse d’informations intéressantes mais que je considère personnellement un peu statique me servant sans doute mais ne me servant pas à élaborer une vision de l’aménagement ». Donc pour lui la question cartographique, la question de l’élaboration d’une vision à l’échelle régionale passe par une question patrimoniale mais aussi par une question de projet. Et Bertrand Folléa : « Jusqu’à présent l’état au niveau central est resté plutôt en retrait par rapport à ça mais il se fait déborder par ses propres services car les paysagistes sont déjà dans des constructions de projets avec les atlas ».

Donc, ce que j’ai finalement découvert c’est qu’il y avait d’une part un débat, une filiation intellectuelle autour de ces problématiques patrimoniales et projectuelles mais que la rupture provoquée par les géographes qui désengage le cadre théorique des pratiques paysagiste, est héritée de l’histoire de la discipline géographique, et plus spécifiquement de la frontière entre géographie physique et géographie humaine. Ce décalage entre une pratique — l’élaboration des atlas se fait toujours sous la direction d’une équipe de paysagistes — et un cadre donné par des géographes a créé plusieurs nœuds. Les identifier aujourd’hui a été pour moi une façon de commencer à les dénouer.

 

* Ce travail mené dans le cadre d’une Habilitation à Diriger des Recherches, s’inscrit dans la réalisation d’une recherche inédite qui reflète et interroge mes recherches antérieures en construisant un parallèle entre l’histoire de la mise en place par l’Etat d’une politique du paysage et celle plus récente liée à la patrimonialisation du logement.