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Une nouvelle métropole pour un état rhénan ? Fritz Schumacher et son plan général de Cologne

par Hartmut Frank

Résumé

Konrad Adenauer, alors jeune et dynamique maire de Cologne, avait de grands projets pour faire de sa ville la capitale d’une Rhénanie aussi indépendante que possible de Berlin. L’occupation par les Alliés et la destruction des fortifications exigée par le traité de Versailles lui ont donné une grande liberté pour le faire. Adenauer ne veut pas d’un développement semblable à celui d’une ville-jardin comme l’avait proposé Carl Rehorst avant la guerre, mais plutôt d’une extension du centre-ville pour les nouvelles tâches d’une métropole. Il a organisé un concours et choisi la proposition de Fritz Schumacher, l’architecte de la ville de Hambourg. Celui prend un congé à Hambourg et vient à Cologne en tant que conseiller municipal d’urbanisme. Dans trois ans, il travaillera à un plan général d’aménagement pour la construction d’une métropole d’un million d’habitants. Ce plan reçoit la plus grande attention nationale et internationale en tant que planification unique d’une métropole moderne qui unit ville et nature dans une même structure urbaine.

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DOI

10.25580/IGP.2019.0028

Diplômé en 1969 comme architecte à la Technische Hochschule de Berlin, il a enseigné de 1975 à 2005  l’histoire et la théorie de l’architecture à la Hochschule für bildende Künste de Hamburg, puis à la  HafenCity Universität de la même ville où il est professeur émérite depuis 2011. Depuis 2014 il enseigne au politecnico di Milano comme professeur invité.

Il a publié des livres et des essais sur l’architecture et l’urbanisme européenne des 19 et 20 siècles. Commissaire de plusieurs expositions d’architecture, il a été professeur et chercheur invité en France, en Espagne, au Canada et en Italie.


Français

Konrad Adenauer, alors jeune et dynamique maire de Cologne, avait de grands projets pour faire de sa ville la capitale d’une Rhénanie aussi indépendante que possible de Berlin. L’occupation par les Alliés et la destruction des fortifications exigée par le traité de Versailles lui ont donné une grande liberté pour le faire. Adenauer ne veut pas d’un développement semblable à celui d’une ville-jardin comme l’avait proposé Carl Rehorst avant la guerre, mais plutôt d’une extension du centre-ville pour les nouvelles tâches d’une métropole. Il a organisé un concours et choisi la proposition de Fritz Schumacher, l’architecte de la ville de Hambourg. Celui prend un congé à Hambourg et vient à Cologne en tant que conseiller municipal d’urbanisme. Dans trois ans, il travaillera à un plan général d’aménagement pour la construction d’une métropole d’un million d’habitants. Ce plan reçoit la plus grande attention nationale et internationale en tant que planification unique d’une métropole moderne qui unit ville et nature dans une même structure urbaine.


Introduction

Le cas de Cologne est très spécifique et intéressant pour étudier les changements qui ont lieu après la guerre notamment dans le domaine de l’urbanisme. Ce changement dans la conception de la planification urbaine qui d’art de l’embellissement des villes devient une discipline de planification est aussi un changement d’échelle entre la ville elle-même et la région. La discipline entre alors dans une période que l’on qualifie de régionalisme.

La carrière de l’architecte, Fritz Schumacher, est divisée en deux, de part et d’autre du projet de Cologne qu’il a eu l’occasion de faire par hasard. Certes, il avait déjà travaillé pendant trois ans dans cette ville comme adjoint à l’urbanisme, mais il devient ensuite l’architecte de la ville de Hambourg. C’est à l’invitation de Konrad Adenauer alors maire de Cologne, qu’il y revient. Au-delà du projet qu’il réalise, il y publiera un ouvrage qui est plus que le rapport d’une planification puisqu’il y présente une nouvelle doctrine pour la planification des grandes villes.

 

Cologne dans l’après-guerre

La situation à Cologne après la guerre est assez compliquée politiquement parce que cette ville n’est pas outre-Rhin, et qu’au lendemain de la Guerre, le grand rêve des français de créer un état tampon entre l’Allemagne et la France. La France réussi à établir cette zone d’occupation prenant le Rhin comme frontière naturelle mais les anglais et les américains reçoivent une partie de cette région, ce qui détruit d’une certaine manière le projet de reconstituer une Allemagne beaucoup plus faible. Cologne est dans la zone anglaise. Conrad Adenauer, le plus jeune maire d’une grande ville en Allemagne, a reçu ce poste en 1917 et joue avec cette situation spécifique de la ville qui pour la première fois est plus indépendante de Berlin. Adenauer est le représentant du parti centriste et catholique et souhaite créer un contrepoids face à Berlin en créant une nouvelle métropole. Il est aussi sympathisant de l’idée d’un état rhénan indépendant, et dans cette perspective a l’idée de planifier Cologne comme la nouvelle métropole de cet état rhénan. Ces éléments sont le rappel de la situation d’une ville située sur la rive gauche du Rhin depuis sa création par les romains, cette ville étant ensuite une forteresse, qui a eu la chance d’être démantelée très tôt, en 1880, par Joseph Stübben. On a reconstruit sur les anciennes fortifications une nouvelle partie de la ville, la Neuestadt, en laissant en dehors la zone non aedificandi du « rayon (ring) intérieur ».

 

Adenauer et une consultation d’architectes illustres

Au moment où Schmacher revient à Cologne, l’architecte Karl Rehhorst avait fait auparavant une proposition de type ville-jardin, une urbanisation très verte avec beaucoup de jardins mais sans jardin public et sans monument représentatif de la ville. Pour cette raison Adenauer a annulé ce plan, qui est pourtant accepté et déjà en vigueur, et il invite plusieurs architectes à faire une nouvelle proposition. Il invite trois architectes : Rehhorst mais il meurt entre-temps, son successeur, Herman Jansen qui a gagné le concours du Grand Berlin en 1909, et Fritz Schumacher qui est alors architecte de la ville de Hambourg. On ne sait pas trop pourquoi il invite Schumacher qui n’est pas connu comme urbaniste à ce moment-là bien qu’il tente d’occuper le bureau de l’urbanisme à Hambourg qui est dominé par les ingénieurs. Traditionnellement l’urbanisme des villes allemandes était fait par les ingénieurs des ponts et chaussée, les architectes étant cantonnés à la réalisation des bâtiments publics de la ville. Schumacher a déjà commencé à travailler sur une nouvelle organisation des plans d’aménagement de la ville avant la guerre et il présente un projet pour la zone non-aedificandi de Cologne qui plaît beaucoup à Adenauer parce qu’il utilise ce terrain comme une bande verte avec des équipements publiques au centre, et un système de logement sur les deux côtés. Cette réponse contraste avec les autres propositions, notamment celle de Jansen qui propose presque uniquement des logements.

Schumacher est donc invité à créer un plan pour toute la ville pour la création de la nouvelle métropole. Cologne est une ville où l’Église est très présente, il ne propose donc pas seulement des logements mais aussi de nouvelles églises. Cette dimension du projet de Schumacher est assez étrange : protestant, né à brème, il vient d’Hambourg et est invité par un gouvernement centriste catholique pour faire un plan d’extension.

Entre les trois concurrents, alors que Jansen ne propose que des logements, et Bonatz que des jardins, c’est la proposition de Schumacher qui mixe des deux dimensions. À ce moment-là, Schumacher innove, en produisant une grande maquette de la totalité de la la zone avec tous les édifices. L’effet est spectaculaire pour rassurer les propriétaires des terrains expropriés que les petits terrains qu’ils récupèrent ont en réalité une valeur équivalente. Cette image tridimensionnelle de la nouvelle ville permet également de convaincre plus facilement les responsables politiques de la ville. Schumacher développe plus tard cette méthode d’argumentation par les maquettes et l’appelle Modelle Entwerfe ce qui veut dire littéralement faire des projets avec des maquettes. Ce sera la base de la collaboration qu’il organisera plus tard à Hambourg pour la création de nouveaux quartiers où il forme des équipes d’architectes et d’entrepreneurs et sous sa direction en tant que directeur de l’urbanisme.

 

Le projet de Schumacher pour Cologne

Dans le projet de Cologne, il distingue trois approches différentes dans trois zones de la ville. Dans le centre-ville, il fait seulement quelques interventions sur des lieux historiques. Dans le deuxième cercle où les nouvelles fortifications ont été détruites à la suite du traité de Versailles, il installe une grande zone des parcs parsemée d’installations sportives et de loisirs et entre ces deux zones il fait des connexions avec des systèmes de parcs d’après l’exemple américain. Il crée ainsi un système des parcs qui est utilisé comme lien entre les éléments hétérogènes de la ville.

J’ouvre une parenthèse pour préciser que Schumacher, né en 1869, a vécu enfant aux États-Unis, à New York où son père était consul général du Reich. Il a assisté à la création de Central Park, et a gardé par la suite de bonnes relations avec les américains. Il était membre du American institut of Architects; Lewis Mumford sera un grand admirateur de Schumacher.

Dans le plan de Cologne, il travaille surtout sur une typologie de logement à plusieurs étages, cinq étages dans le premier cercle, trois étages dans les anciens faubourgs et des logements de deux étages près du deuxième cercle. Il travaille aussi avec son équipe sur le transport et sur la position des usines. S’il propose une nouvelle station centrale, il s’occupe aussi de l’aménagement de la ville. Il convainc Adenauer d’annexer de larges terrains au nord la ville pour la création de nouveaux centres industriels c’est à dire pour une zonification où l’industrie est plutôt à l’ouest dans la direction des mines. Ça change totalement le plan de la ville. On voit aussi dans le plan de la ville qu’il veut limiter la croissance avec une zone verte et créer ce système de parcs mais c’est aussi une extension de la planification dans le territoire. Ces éléments constitueront le centre de son travail à Hambourg quand il y reviendra en 1923, avec la création du Grand Hambourg qui n’aboutira qu’en 1937.