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© Inventer le Grand Paris
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Conclusion

par Loïc Vadelorge

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https://www.inventerlegrandparis.fr/link/?id=955

DOI

10.25580/IGP.2019.0038

On a entendu aujourd’hui des choses très variées, issues de disciplines, de terrains complètement différents et rassembler tout ça dans une conclusion n’est pas un exercice facile. La préparation de cette très belle journée reposait au départ sur un pari, celui de constituer l’année 1919 en un moment susceptible de nous aider à mieux comprendre cette période de l’histoire. Ce pari nous amène à courir deux risques dans la manière de faire de l’histoire.

Le premier risque c’est de mettre en tension l’histoire et la commémoration. Comme l’a d’emblée dit Laurent Coudroy de Lille, il fallait éviter le risque de la commémoration. Je pense qu’on l’a effectivement très largement évité mais, d’une certaine manière, la dernière table ronde montre qu’on est obligé de revenir à un moment donné sur les personnalités fétiches et sur les dates. De ce point de vue, il faut bien comprendre que si histoire urbaine et commémoration ne font pas forcément bon ménage, le fait de poser une question en mettant en avant un moment amène quand même à réfléchir en termes de continuités et de ruptures. Il y a des choses assez importantes qui ont été dites ce matin sur le fait que par exemple une journée comme celle-ci nous amène à dire que 1919 n’est pas simplement la continuité de ce qui s’est fait au niveau du Musée social, de ce qui s’est fait avant-guerre en Allemagne ou en France, mais qu’il faut aussi réfléchir au contexte spécifique du début des années 1920 avec la fin de la première guerre mondiale. C’était assez évident quand on a parlé de l’Europe de l’est et de l’Europe centrale où effectivement les contextes de ré-territorialisation amenaient à penser autrement la question de l’aménagement. Et il serait intéressant de mettre davantage l’accent sur l’histoire économique et sociale avec ce problème de la crise de reconversion qui traverse l’Europe de l’après-guerre.

Le deuxième point c’est la tension importante entre approfondissement et renouvellement. Quel était l’objectif d’une journée comme celle-ci ? Est-ce qu’elle servait à faire l’état des lieux de nos connaissances sur 1919 ou est-ce qu’elle servait à aller plus loin et à proposer des pistes pour renouveler la manière dont on peut connaître ou travailler cette histoire ? On avait la chance d’avoir dans la salle certains chercheurs qui sont à l’origine de la mise en histoire de ce moment-là. Viviane Claude, André Lortie, Gilles Montigny sont des historiens, des historiennes qui ont commencé à aborder ces questions-là il y a une trentaine d’années. Et peut-être que l’un des rôles d’un groupe comme Inventer le Grand Paris est de reprendre ces travaux qui ont marqué l’historiographie pour les mettre à nouveau en histoire en essayant d’expliquer leur contexte de production, leur réception, leur diffusion. Ce serait assez intéressant à la fois pour le groupe IGP mais aussi pour le Musée d’histoire sociale de Suresnes. Depuis la fin des années 1980, 1990 on a beaucoup avancé sur l’histoire des années de l’entre-deux-guerres en général et de l’après-guerre en particulier. Ce sont aujourd’hui des terrains relativement classique. Je pense qu’une journée comme celle d’aujourd’hui ne nous a pas simplement amenés à approfondir et à renforcer notre connaissance sur la question. Je pense qu’on est allé au-delà dans le renouvellement avec deux pistes fécondes.

La première piste serait d’élargir la question au-delà des frontières françaises et de la loi Cornudet en produisant une histoire européenne de ce moment de l’année 1919. Les communications d’aujourd’hui sur l’Allemagne, sur Strasbourg, Bucarest, Cologne et sur Madrid montrent que c’est une piste prometteuse. Nous n’en sommes évidemment pas les inventeurs mais il faut creuser cette piste d’une histoire comparée qui n’est pas si évidente que ça à produire. Il faut comparer des échelles urbaines parfois très différentes ; Berlin et Paris, par exemple, sont très difficiles à comparer du point de vue de la simple échelle territoriale. Il faut aussi comprendre les connexions à travers les congrès, les revues…

Il me semble qu’une autre piste de renouvellement, plus propre au groupe Inventer le Grand Paris, est à chercher dans le fait de rassembler des disciplines différentes qui regardent des moments, comme celui de 1919, avec des grilles de lecture complètement différentes. Il y a des disciplines qui essaie de comprendre ce qui s’est joué en 1919 autour de l’histoire des formes urbaines et en quoi les années d’après-guerre vont contribuer à renouveler les formes urbaines. On a parlé des cités-jardins à plusieurs reprises mais il y a d’autres types de formes urbaines. Il me semble nécessaire de s’interroger sur le renouvellement urbain, sur les manière d’étendre la ville et de gérer les infrastructures.

Et je crois qu’un autre point important est celui de l’histoire de la formalisation de l’urbanisme. Certes, ça relève plutôt de l’histoire de l’urbanisme mais c’est aussi quelque chose d’important au sein du groupe IGP. Il y a enfin l’histoire urbaine et de ce côté-là, il faut surtout qu’on essaye de maintenir ces regards croisés, c’est d’ailleurs le sous-titre du groupe IGP.

En ce qui me concerne je considère que l’un des enjeux est d’arriver à mieux comprendre le statut et le rôle des lois importantes dans l’histoire des villes, des formes urbaines et de l’urbanisme. Je pense qu’avec une journée comme celle-ci on est en train de dépasser une opposition de longue date entre l’histoire de l’urbanisme et de la planification et l’histoire de la ville, l’histoire de la fabrique ordinaire de la ville. On comprend qu’on ne peut pas faire l’économie des lois, il faut les affronter pour comprendre comment elles permettent de formaliser un problème et d’établir des rapports de force. Ce qui m’a paru tout à fait intéressant dans les communications que j’ai entendues aujourd’hui c’est que le débat collectif, le débat public autour des lois de 1919 dépasse très largement le cadre parlementaire pour se diffuser au sein des milieux professionnels, parmi les ingénieurs, les urbanistes et les architectes. Et je crois aussi que c’était une très bonne idée de terminer par l’histoire locale et l’histoire municipale parce qu’il ne faut pas oublier que, dans les années 1920, ce qui se joue encore c’est cette échelle municipale.