Inventer le Grand Paris / LabEx Futurs Urbains
Un demi-siècle de boulevard périphérique
1973-2023
Mardi 17 octobre 2023, 9h–18h30
École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Belleville
Salle du Conseil
60 Boulevard de la Villette
75019 Paris
Cette journée d’études prend prétexte du cinquantenaire de l’achèvement du boulevard périphérique parisien pour questionner le passé et le présent de cette infrastructure en tant qu’objet de recherche. De quel projet politique technique et technocratique est-elle l’incarnation ? Demeure-t-elle l’archétype d’un urbanisme tout-automobile ? La frontière d’un petit Paris empêché de devenir grand ? La spatialisation d’une défiance de la ville centre pour « sa » banlieue ? Le Boulevard périphérique n’est-il qu’un obstacle, voire un furoncle émetteur de pollution atmosphérique et sonore, au béton craquelé et fatigué ? Vieux d’un demi-siècle, donc, il demeure l’une des sections de voirie urbaine les plus fréquentées d’Europe. Plusieurs fois annoncé comme mort, enterré, aboli, le Boulevard périphérique continue d’opérer la boucle « sans feux rouges » promise en 1973 et d’être une infrastructure routière essentielle pour la région parisienne. Il est l’objet de nombreuses propositions architecturales, urbanistiques, paysagères : les plus récentes étant des projets de couvertures, de construction d’immeuble-ponts, de réduction du nombre de voies pour les automobiles, de construction de pistes cyclables ou de renaissance du projet d’une « ceinture verte » promise dès le tournant du siècle dernier. Ce séminaire fera le point des recherches récentes.
ORGANISATION SCIENTIFIQUE
Emmanuel Bellanger (CNRS, CHS), André Lortie (ENSAPB, Ipraus-Ausser), Frédéric Pousin (ENSAPB, Ipraus- Ausser), Nathalie Roseau (ENPC, LATTS), Justinien Tribillon (The Bartlett School of Planning, University College London)
PROGRAMME DE LA JOURNÉE
9h00-9h15
Introduction scientifique
9h30-12h00
Session 1
Le boulevard périphérique, objet technique et technocratique
Paul Lesieur
Des boulevards haussmanniens au Boulevard périphérique. Évolution de l’infrastructure urbaine de transport (1850’s-1950’s)
La construction du boulevard périphérique est souvent associée aux politiques urbaines du tout-automobile, visant à donner la priorité dans les aménagements à ce mode de locomotion en particulier. Or, à Paris, l’étude de l’adaptation des infrastructures à l’évolution de la circulation montre que cela fait plus d’un siècle qu’une relative priorité est donnée aux véhicules roulants. Pour s’en rendre compte, il faut emprunter le point de vue des services techniques qui entretiennent l’ensemble du réseau viaire parisien, et dont les pratiques montrent comment, à partir des grands travaux haussmanniens, l’espace urbain se mue en infrastructure de transport dont les enjeux liés à son entretien deviennent de plus en plus prégnants. À partir du terrain de notre thèse, nous proposerons un panorama d’un siècle sur l’évolution matérielle des revêtements de voirie et des problématiques de maintenance viaire telles qu’elles se posent aux ingénieurs de la ville, dans le but de mettre en évidence qu’à partir de 1850, les transformations matérielles tendent à donner progressivement la priorité à un type d’usage particulier de l’espace public, celui de la circulation véhiculée.
Matthieu Flonneau
Construire ou déconstruire le Boulevard Périphérique : résistance et persistance des ‘intentions’ d’une génération ‘glorieuse' ».
Une infrastructure routière a-t-elle jamais pu incarner l’intérêt public et général ? Dans un contexte contemporain d’annulation des acquis routiers où situer l’innocence du Boulevard Périphérique ? Parmi ses relectures contemporaines, il apparaît que des « intentions » sont projetées de façon rétrospective, à charge, pour déconstruire une réalisation présumément condamnée par ses usages jugés obsolètes ou anachroniques à l’aune des transitions écologiques et énergétiques. Inventer et édifier un périphérique aux finalités durables à l’échelle des besoins mobilitaires d’une métropole en voie d’édification fut-il plus simple que le réinventer de façon soutenable comme le propose l’époque actuelle ?
Nathan Belval
Le boulevard périphérique, un moteur paradoxal de l’écologie sonore
Cette communication se propose de montrer comment la lutte contre le bruit a favorisé l’émergence de l’écologie sonore et plus particulièrement de quelles manières le boulevard périphérique continue de susciter les expérimentations en faveur de la qualité sonore. Le paradigme de la lutte contre le bruit a permis l’émergence d’une approche environnementale du son. En réaction à son traitement quantitatif et technique, l’écologie sonore propose une démarche collaborative qui vise à qualifier non seulement l’action des sources sonores mais aussi les espaces et les usages qui les génèrent. Les actions de jardinage acoustique menées par la Compagnie Décor Sonore autour du Boulevard périphérique illustrent cette approche sensible de l’environnement urbain. Réactualisant la relation entre usage, expérience et espace public ces interventions créent de nouvelles situations spatiales qui participent à redéfinir les stratégies d’aménagement urbain.
Cyrille Simonnet
Surveiller et maintenir. Le défi des très grandes infrastructures.
Si l’on considère le périphérique comme une « très grande infrastructure », le propos consistera à interroger la sensibilité de tels dispositifs au regard du risque qu’ils représentent, tant au niveau de leur matérialité que de leur inscription urbaine ou territoriale. En toile de fond, la catastrophe de Gênes (14 août 2018) sera évoquée pour questionner la problématique afférente de la surveillance et de la maintenance de tels ouvrages. Si le périphérique se présente plutôt comme un millepatte géant en béton armé, le viaduc de Gênes, dans son spectaculaire survol suburbain, affichait pleinement la dimension aérienne de l’ouvrage d’art. Mais la grande dimension nourrit toujours une certaine fragilité. Le couple surveillance-maintenance comprend implicitement celui de risque-catastrophe. Il suffit que se produise l’impensé de l’effondrement pour qu’apparaisse en pleine lumière tout un faisceau de faiblesses : fatigue, usure, déficience, défaillance… La présentation abordera notamment ces questions dans le contexte actuel d’une certaine inquiétude au regard de l’optimisme qui régnait dans les années soixante et soixante-dix.
— Déjeuner —
14h00-16h30
Session 2
Le Boulevard Périphérique comme objet de communication et de résistance
Justinien Tribillon
Le boulevard périphérique et les parisien·nes : premiers amours, première rupture
L’historiographie du boulevard périphérique et des abords de Paris présente souvent cette nouvelle infrastructure comme un projet qui ne fut pas contesté. Il est vrai que contrairement à l’Axe Nord-Sud ou à la Voie Express Rive Gauche, il ne semble pas qu’il y ait eu des mouvements contestataires qui se soient constitués de façon préventive. Partant du principe que le boulevard périphérique n’a pas fait l’objet d’une contestation sociale structurée, cette communication propose de nuancer l’idée que le boulevard périphérique a été bien reçu par ses voisins en proposant trois cas d’études sur des plaintes de riverains envoyé au préfet de la Seine à la porte de Ménilmontant, porte de Vanves, et porte de Champerret dans les années 1960. Cette communication reviendra sur le contexte historique et technologique du boulevard périphérique—il est la première autoroute urbaine de France, sur les formes de protestations, sur la réaction de la préfecture et du département de la Voirie, et sur la corrélation entre catégorie sociale des protestataires et leur capacité à influencer rétrospectivement ou proactivement le design du boulevard périphérique.
Marion Émery
Traverser Paris par l’autoroute, un projet contesté, 1959–1976
Aux côtés du boulevard périphérique, une multitude d’autoroutes urbaines, de radiales et de voies express figurent dans les différents schémas directeurs parisiens qui se succèdent durant la période des Trente Glorieuses. Ces projets infrastructurels en réseau qui quadrillent la capitale seront vivement contestés puis, à l’exception du Boulevard Périphérique et de la Voie Express Rive Droite, définitivement annulés. La communication se concentre principalement sur deux projets particuliers, L’Axe Nord-Sud et la Voie Express Rive Gauche et les arguments des discours critiques et contestataires dont ils vont faire l’objet. Ainsi, la recherche analyse la participation des contestations contre les infrastructures dans la disparition de ces tracés des grands plans d’aménagement après 1975, et questionne la relation qui peut être établie entre ces mobilisations et le discours critique du milieu architectural de la seconde moitié du 20ème siècle. La recherche se concentre principalement sur les arguments et les conséquences de ces contestations sur les projets, de l’évolution de leur conception à leur abandon.
André Lortie et Blanche Thirot
Célébrer / critiquer le boulevard périphérique : enjeux et perceptions au gré de ses anniversaires décennaux
Il y a 50 ans, inaugurant l’ultime tronçon du boulevard périphérique, le premier ministre Pierre Mesmer se réjouissait que « cette œuvre [fut] un succès ». En soirée, au journal télévisé de la deuxième chaine, s’exprimaient déjà des réserves quant à l’efficacité d’une rocade parfois saturée. Des interrogations sur la fluidité de la circulation aux critiques des nuisances atmosphériques, de l’inquiétude de la prolifération des immeubles de bureaux au réquisitoire contre la coupure entre Paris et ses voisins, la presse donne un aperçu de la réceptivité collective à l’égard de cette voirie singulière. En s’intéressant principalement à la célébration de ses anniversaires décennaux dans les media, parallèlement aux grands projets métropolitains successifs, il s’agira d’apprécier la mobilité des enjeux sociaux et techniques face l’inertie de l’infrastructure.
Raphaële Bertho et Nathalie Roseau
Marges et périphéries. Photographier la ceinture de Pantin à La Villette.
Avant, pendant et après la réalisation du boulevard périphérique, la ceinture constitue une « marge » en recomposition permanente, à l’avant-garde des devenirs de la métropole ou bien porteuse d’une mémoire qui ne s’éradique pas sous le projet. En cela, ce réservoir des horizons d’attente cristallise la centralité du changement à l’œuvre dans le Grand Paris. Un changement entendu comme l’entremêlement d’un paysage politique et vernaculaire pour reprendre les notions de l’historien du paysage John Brickerhoff Jackson. Dans la correspondance qu’elle établit entre la vision et le lieu, la photographie nous guide pour comprendre l’entrelacement des influences qui ont stratifié son occupation sur le temps long, mettant à jour, à travers l’archive visuelle, une archéologie de la transformation des environnements. Élargir le champ temporel et spatial, pour aller voir le hors champ au-delà des objets qui éblouissent, permet d’observer le rôle et les statuts attribués ou appropriés par le territoire de la ceinture. À partir d’une sélection d’images, cette présentation s’attachera en particulier au double transect de la Porte de Pantin à la Porte de La Villette.
17h00-18H30
Table ronde modérée par Emmanuel Bellanger
Les ateliers du Boulevard périphérique sont une instance de gouvernance partagée avec les collectivités franciliennes et les parties prenantes, qui a été accompagnée et documentée par l’Atelier parisien d’urbanisme entre juillet 2019 et mai 2021. Ils ont permis d’établir un livre blanc, dont les orientations ont été débattues en mai 2022. Quel bilan tirer de cette expérience ? Afin d’en proposer une interprétation, la table-ronde s’efforcera de mettre en perspective convergences et points de blocage, en les abordant depuis les points de vue d’acteurs techniques dans et hors Paris, et celui de certains observateurs, associatifs ou académiques.
Patricia Pelloux, directrice adjointe et directrice des études métropolitaines de l’Apur
Bernard Landau, architecte voyer honoraire de la Ville de Paris, président de l’association La Seine n’est pas à vendre
Antoine Soulier-Thomazeau, directeur de l’aménagement et des déplacements de l’établissement public territorial du Grand Paris Est ensemble
Mathieu Flonneau, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne