- Aurélien Delpirou, animateur du débat, maître de conférences à l’Institut d’urbanisme de Paris, rédacteur en chef de la revue Métropolitiques, historien
- Dominique Alba, directrice générale de l’Atelier parisien d’urbanisme, APUR
- Catherine Barbé, directrice des partenariats stratégiques à la Société du Grand Paris, SGP
- Christiane Blancot, directrice d’études à l’APUR
- Jean-Louis Cohen, professeur en histoire de l’architecture à la New York University
- Annie Fourcaut, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1, Centre d’histoire sociale du xxe siècle
- Hartmut Frank, professeur émérite à la faculté d’architecture, Hafen Universität Hamburg.
- Gérard Lacoste, directeur général adjoint de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France, IAU-ÎdF
- Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, AIGP
Aurélien Delpirou : L’idée originelle de la table ronde était de réunir des chercheurs, historiens de la ville, de l’urbanisme, de l’architecture, avec des acteurs, techniciens de l’aménagement urbain, de la planification territoriale, pour confronter leurs regards, leurs expériences, et éventuellement leurs attentes, en matière d’approche historique des démarches de planification. Je vais présenter brièvement les participants : Hartmut Frank, professeur émérite à la Hafencity-Universität d’Hambourg : il a été commissaire avec Jean Louis Cohen de l’exposition présentée à Strasbourg en 2013, Interférences/Interferenzen, sur les interactions architecturales et urbaines entre la France et l’Allemagne, de la Révolution à la période contemporaine. Gérard Lacoste est directeur général adjoint de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-ÎdF), fondé il y a 50 ans et qui entretient la mémoire de la planification. Annie Fourcaut est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1, Centre d’histoire sociale du xxe siècle : on connaît bien ses travaux sur les politiques du logement, sur les rapports Paris-banlieue, notamment l’ouvrage publié avec Emmanuel Bellanger Paris-banlieue, conflits et solidarités (2007) qui a été un élément important dans le déclenchement du débat sur la question métropolitaine à Paris. Catherine Barbet, quant à elle, a une longue expérience dans l’aménagement et la planification, alternativement au ministère de l’Équipement et à la direction de l’urbanisme de la ville de Paris. Elle a rejoint la Société du Grand Paris (SGP, chargée de construire le futur réseau de transport du Grand Paris). Elle y développe, entre-autres, des partenariats avec l’université et la recherche. Jean-Louis Cohen est professeur à la New-York University, spécialiste de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme en France, Europe, États-Unis, au xixe et xxe siècles. Il a été commissaire de très nombreuses expositions, dont la dernière avec Hartmut Frank, Interférences/Interferenzen. Puis Dominique Alba et Christiane Blancot, respectivement directrice générale et directrice d’études à l’Atelier parisien d’urbanisme, l’agence d’urbanisme de la ville de Paris. Avec l’IAU d’Île-de-France et l’APUR, sont représentées aujourd’hui les deux grandes agences d’urbanisme de la région. L’APUR a confié plusieurs études à des historiens de la ville.
Nos échanges dans le cadre de cette table ronde s’articuleront à partir de trois entrées qui ne sont ni des lignes directrices uniques, ni des séquences chronologiques figées. La première s’ouvre sur la question du Grand Paris dans une perspective historique. Quelle est l’utilité, la pertinence, l’intérêt aujourd’hui de réfléchir sur le long terme à la question du Grand Paris, aux trajectoires du Grand Paris depuis un siècle ? On pourra confronter la vision des historiens à celle des acteurs sur la question. Une deuxième piste concerne la place et l’intérêt de l’histoire aujourd’hui dans les structures de planification et les agences d’urbanisme. Ont-elles conscience de leur rôle pour développer une histoire spécifique, une mémoire de la planification ? Ceci nous conduira à ouvrir une troisième piste, forcément liée à la deuxième, autour des usages de la mémoire dans la planification territoriale. Ce sont trois pistes tracées à gros traits pour un saut chronologique important 1913-2013. Sur cent ans, le contexte économique, social, urbain a profondément changé ; les acteurs qui portent la planification également, même si on peut repérer des trajectoires dans la planification urbaine et territoriale en Île-de-France, des figures récurrentes de projets, des inerties, des maturations longues de certaines questions, et, au contraire, des bifurcations majeures. Bref, que peut nous dire l’histoire avec ce recul rétrospectif d’un siècle sur le projet du Grand Paris tel qu’il est reformulé depuis une dizaine d’années ? Voilà notre point de départ. La parole est à Annie Fourcaut.
Annie Fourcaut : Comme il est complètement impossible de répondre à cette question, je vais me placer d’un point de vue légèrement décalé : ce colloque a célébré pendant deux jours le centenaire 1913-2013. On a fait l’histoire des origines du Grand Paris comme si cette histoire était une évidence, or je crois que l’évidence de ce champ de recherche ne va pas du tout de soi, et que si nous discutons aujourd’hui de ces questions, c’est parce qu’il y a eu un travail de constitution de ce champ de recherche en amont, dont je voudrais rappeler brièvement quelques étapes. Le travail de Jean-Louis Cohen a évidemment été pionnier : je pense à son livre Des fortifs au périf (1992), co-écrit avec André Lortie, qui est quand même le premier travail sur les lisières de la ville ; je pense aussi au livre que vous avez évoqué, Paris Banlieue, conflits et solidarités, que j’ai dirigé avec Emmanuel Bellanger et qui était un recueil de textes sur l’histoire du Grand Paris et faisait suite à un séminaire organisé à la demande de la mairie de Paris ; je songe à la célébration de l’anniversaire de l’annexion de 1860, qui s’est tenu aussi à sa demande, et au travail issu de la collaboration avec Florence Bourillon : un colloque, une exposition, un livre, qui s’appelait Agrandir Paris 1860-1970 (2012). Il y a donc eu plusieurs publications récentes qui ont, je crois, constitué ce champ de recherche. Sa structuration, et c’est sans doute son originalité, s’explique en grande partie par une demande politique et sociale de la municipalité parisienne. On a fait, pour la plupart d’entre nous, de la public history, c’est-à-dire un travail d’historien à partir d’une commande institutionnelle. Il est tout à fait significatif que les premiers travaux sur le Grand Paris émergent après 2001, suite à l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris et à la nomination de Pierre Mansat comme « adjoint chargé des relations avec les collectivités territoriales d’Île-de-France » – une titulature complexe et hésitante, mais qui voulait quand même dire que les politiques allaient se préoccuper de quelque chose de nouveau. Pierre Mansat a d’ailleurs continué dans la seconde mandature de Bertrand Delanoë avec un intitulé plus clair : il était « chargé de Paris Métropole ». Il ne faut pas non plus oublier la parole de l’État : le discours de Roissy de Sarkozy (2007) suivi de la nomination de Christian Blanc au poste de secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale (2008). Un champ politique s’est donc constitué, avec ce que certains appellent, – je crois que la formule est de Pierre Mansat lui-même –, une « scène métropolitaine » qui a éprouvé le besoin, ce qui est assez original, de faire appel à des chercheurs, à des historiens qui ne seraient pas là pour faire de la communication, mais de l’histoire.
Au début des années 2000, on était dans une situation de quasi-amnésie. On avait l’impression que le Grand Paris, la question du Grand Paris ne s’était jamais posée, que c’était une question complètement neuve, et qu’il fallait la reprendre entièrement de nouveau. Les élus parisiens, au premier rang desquels Pierre Mansat, ont fait aussi appel à des sociologues, des urbanistes, des architectes, pour faire une espèce d’archéologie de la question du Grand Paris, question qui s’était déjà posée. Le colloque d’aujourd’hui et les travaux autour du Conseil général de la Seine, autour du district, etc., montrent que l’histoire du Grand Paris était tombée dans une espèce de trou noir, et qu’elle avait quasiment disparu du débat. Je crois extrêmement intéressant et assez significatif que cette question scientifique se développe – nombre de jeunes chercheurs notamment américains viennent me voir parce qu’il veulent faire des thèses sur cette histoire du Grand Paris.
Je voudrais conclure brièvement en disant que tout le monde sait qu’aujourd’hui la loi sur la métropole parisienne est en débat à l’Assemblée nationale en deuxième lecture ; elle va probablement aboutir, pour créer une entité qui va être Paris plus les communes de la petite couronne, et qui va être chargée de l’urbanisme, du logement et du développement durable. À cet aboutissement politique ont contribué, pas à parts égales, mais dans le même sens, les chercheurs et les politiques. Je crois que c’est un exemple tout à fait rare de réponse à une demande politique explicite : les chercheurs ont répondu, et il est certain que la recherche historique a fait avancer le débat public.
Aurélien Delpirou : Pierre Mansat, Annie Fourcaut a rappelé comment le renouvellement des travaux sur l’histoire du Grand Paris avait été impulsé par une commande politique de la mairie de Paris. Qu’attendiez-vous du travail des chercheurs-historiens au moment où vous avez lancé les premières initiatives au début de la décennie 2000 ? Qu’y avait-il derrière cette commande institutionnelle ? Quelle était l’attente politique vis-à-vis de la construction d’un regard historique sur les questions métropolitaines ?
Pierre Mansat : Qu’est-ce que j’en attendais ? Je dois dire d’abord que cette interpellation autour de la question m’est venue avant 2001, notamment à la lecture du livre Des Fortif au périf (Jean Louis Cohen et André Lortie, 1992). Quand je me suis retrouvé en équipe et en situation de gouverner, je me suis beaucoup interrogé sur ce que la représentation politique véhiculait comme idées toutes faites. Par exemple, on pense que les maires de l’agglomération ont été réunis la première fois par Bertrand Delanoë, le 5 décembre 2001. En fait, on a oublié qu’en 1993 déjà, ils avaient été réunis et que le délégué chargé de l’action régionale nommé par Jean Tibéri (qui sera maire de Paris de 1995 à 2001) en avait tiré un petit compte-rendu qui contenait des idées en germe. Par exemple que l’avenir de Paris passait par un périmètre au delà de ses frontières administratives, et qu’il fallait se projeter à d’autres échelles. Mais ceci est resté à l’état d’une note administrative non suivie d’effet. Il y a ainsi une histoire politique récente qui mériterait d’être regardée de plus près. Comment politiquement Paris a été en relation avec la Région, par exemple ? Quels étaient les rapports de force, et la façon dont chacun gouvernait chez soi sans tenir compte de ce qui se passait chez les autres ? Je me suis dit qu’il fallait déconstruire les représentations un peu schématiques qui étaient les nôtres. J’avais quelques connaissances historiques très floues, et c’est pourquoi j’ai sollicité Annie Fourcaut, Emmanuel Bellanger, en la matière. Il me semblait évident qu’il y avait une commande politique intéressante à passer, en laissant bien évidemment les chercheuses et les chercheurs complètement libres de leur travail et de la façon dont ils entendaient le mener. Il n’y avait pas d’objectif, sauf d’essayer de mieux comprendre comment s’était établie la relation de Paris avec les banlieues, et comment s’étaient organisés les rapports de force.
Aurélien Delpirou : Jean-Louis Cohen, vous souhaitez réagir sur cette commande politique qui aurait contribué à renouveler l’historiographie du Grand Paris.
Jean Louis Cohen : Oui, je crois qu’on peut historiciser cette thèse, en reprenant les débuts de la réflexion sur le Grand Paris. Prenons l’exemple de quelqu’un comme André Morizet (maire de Boulogne-Billancourt entre 1919 et 1942) qui s’intéresse à Haussmann avec l’idée de projeter l’haussmannisme vers la banlieue. Les premiers parrains politiques du Grand Paris, notamment ceux du lancement de l’étude du plan régional à la fin des Années vingt, étaient des gens qui posaient des commandes à l’histoire ou s’improvisaient historiens. Il n’y a pas eu de prospective, de projet politique sans qu’il n’y ait eu de substrat historique existant ou à former. Ce n’est pas pour diminuer les mérites de Pierre Mansat, qui a eu la grande qualité – exceptionnelle chez un élu, tous pays du monde confondus – de dire : « je ne sais pas, j’ai tout à apprendre ». J’ai rarement vu un élu invitant les chercheurs à proposer, à poser des questions, à développer les conclusions de leurs travaux, à trouver les moyens de les faire continuer. Donc c’est une conjoncture exceptionnelle, qui n’est pas tellement nouvelle, mais exceptionnelle par l’ampleur, l’ouverture et la générosité du propos.
À part ça, on pourrait regarder les choses d’une autre façon : j’aurais tendance à dire qu’il y a une empreinte… L’architecte Bruno Fortier a proposé un terme, que je trouve extrêmement intéressant, en parlant plutôt au xixe siècle, de « bibliothèque idéale de projet » : l’idée que la politique ou les transformations projectuelles de la ville se font en consultant une bibliothèque idéale, qui est faite de projets inachevés, inaboutis, non pas ratés, parce que je crois que la notion de succès en matière de plans et de projets est une notion qu’il faut complètement repenser. Donc il y a une bibliothèque de projets idéale, de projets pertinents pour considérer le Grand Paris, une bibliothèque concrète aussi… Regardons le projet de Léon Jaussely de 1919 pour le concours sur l’extension et l’aménagement du Grand Paris, dont la genèse est très complexe : il y a dans ce projet du Forestier (JCN Forestier qui publia Grandes Villes et Systèmes de parcs, 1908), du Berlin, de l’observation indirecte de l’Amérique. Il y a des couches successives, mais il y a aussi l’idée d’une gare centrale, qui finira par être réalisée dans les années 1970 avec le croisement des réseaux métropolitains aux Halles. Il y a l’idée d’une interconnexion des réseaux périphériques, qui est au centre des thèses actuelles du Grand Paris Sarko-Hollandien. De manière générale, il y a beaucoup de permanences dans les projets, parfois même concrètement sur le terrain : ainsi, le parc de la Courneuve et le marché de Rungis sont les héritiers de réflexions qui ont été initiées par la Commission d’extension, l’idée d’un grand parc public au Nord et de décentraliser les Halles au Sud de Paris. Ce sont des exemples extrêmement précis de la pertinence, de la persistance de projets relativement théoriques, qui ont cependant fait l’objet d’acquisitions foncières avec une ambition qui s’est concrétisée plusieurs décennies plus tard. On a oublié le projet de la ville nouvelle de Belle-Épine sur les terrains qui sont devenus ceux du marché de Rungis. C’était un projet très important, très intéressant autour de 1930, qui aurait été confié par concession au privé, ce qui a fait scandale et polarisé des débats très violents. Donc, il y a une longue durée de ces décisions et de ces préoccupations, qui est mesurable sur le terrain pour peu qu’on le regarde finement.
Aurélien Delpirou : Gérard Lacoste, quelle a été la politique de l’IAU en matière d’archivage, de mise à disposition des plans qui ont été produits, du PADOG jusqu’à nos jours ? Y a t’il des techniciens qui sont spécifiquement affectés à l’entretien de cette mémoire, ou du moins à la constitution de cette bibliothèque idéale ?
Gérard Lacoste : Si vous le permettez avant de revenir sur cette question technique, j’aimerais rebondir sur la question de la pérennité des débats entre 1913 et 2013 : quels sont les sujets, les idées récurrents, qui soit disparaissent ou réapparaissent ? Vous évoquiez Pierre Mansat et son humilité par rapport à la connaissance, je pense qu’on devrait tous l’avoir. Tous les professionnels doivent le remercier de l’initiative qui a été prise pour mettre sur le devant la scène autre chose que les grandes figures emblématiques d’Haussmann et de Delouvrier, et permettre d’exhausser d’autres actes qui ont jalonné le débat d’idées. Les débats aujourd’hui se polarisent, me semble-t-il, autour des questions de l’organisation du cœur de l’agglomération, de sa banlieue, des questions environnementales, mais je rajouterai une dimension, présente depuis au moins 50 ou 60 ans, qui est celle de la place de l’agglomération parisienne dans le pays et dans la configuration internationale, comment ces enjeux pèsent ils sur l’organisation et les choix qui ont été faits pour organiser la métropole francilienne ? J’ai coutume de dire que, depuis une cinquantaine d’années, les politiques publiques dans le domaine de l’aménagement ont été scandées par une succession d’idées fortes dans lesquelles la dimension stéréotypique ou idéologique était très présente. Elle le reste d’ailleurs. Je voudrais les égrener rapidement pour montrer en quoi cela fait partie du capital d’idées qu’on traîne avec nous et qui continue d’interférer dans le débat. À l’époque Delouvrier, on sortait du débat introduit par le géographe Jean-François Gravier dans son livre, Paris et le désert français (1947). L’hypothèse, qui a imprégné les choix faits en matière d’aménagement, se fondait sur l’idée qu’il fallait contenir l’Île-de-France pour rééquilibrer l’espace national. Une autre idée a surgi après, qui prolongeait la précédente : celle d’optimiser l’organisation de la ville : ce fut l’ère des ingénieurs, de la ville machine, de l’optimisation des réseaux de transport performants, de la bonne localisation des équipements, des pôles de croissance et des infrastructures. Les compétences techniques des ingénieurs prennent alors une place très importante dans l’aménagement. Plus tard, une autre idée apparaît, celle de la nécessité de remédier aux inégalités. On assiste alors à l’émergence de la politique de la ville qui traite de la question en matière de répartition de l’emploi et d’accès au logement. Chacune de ces idées ne fait pas disparaître les précédentes, mais prend le pas sur les autres et conditionne la manière dont on pense les solutions et les politiques d’aménagement à un moment donné. Je continue à égrener le chapelet : il y a la dimension environnementale qui surgit plus récemment. Elle était présente en 1913 de façon modeste – quand je vois ce qui a été évoqué dans ce colloque sur la place des espaces verts. Cette préoccupation prend aujourd’hui le pas sur toutes les autres et a débouché sur un document de planification pour l’Île de France, le SDRIF, qui la porte au pinacle et fait redescendre toutes les autres. La dernière injonction en date, qui nous amène notamment le débat sur la métropole, c’est l’enjeu de la mondialisation et des métropoles en compétition les unes par rapport aux autres. Il y a à la fois une récurrence des idées et une hiérarchisation qui bouge sans cesse, ce qui fait qu’à un moment donné on arbitre pour aller vers des mises en œuvre qui privilégient telle ou telle solution. Cet aspect me semble important : on peut aujourd’hui penser le Grand Paris et faire le parallèle entre 1913 et 2013. Pour comprendre cette époque lointaine, il faut, je pense, prendre en considération d’autres postures de débats politiques nationaux, voire internationaux, qui sont venues, comme aujourd’hui, télescoper les réflexions des contemporains.
Aurélien Delpirou : Hartmut Frank, comment voit-on les débats sur le Grand Paris depuis l’Allemagne ?
Hartmut Frank : J’étais vraiment surpris du titre du colloque « Inventer le Grand Paris ». Pour moi qui ne suis pas Parisien, c’est une évidence, le Grand Paris existe depuis longtemps, c’est une réalité, et nous tous discutons peut-être de quelques changements intervenus dans l’organisation administrative, la gestion des transports, ou les formes urbaines, mais il n’y a aujourd’hui pas d’autre solution que de penser « le Grand Paris ». Quant à notre rôle d’historiens… qu’est-ce qu’on peut ajouter ? Je ne pense pas que les plans qui ont été évoqués lors de ce colloque auraient pu être applicables, mais ils nous montrent quand même quelques aspects qui continuent de faire discussion, quelques problématiques à long terme. L’urbanisme est une discipline de très longue haleine. Dans ce colloque, j’étais là pour parler du contexte du concours et de l’exposition du Grand Berlin en 1910 où sont apparus quelques leitmotivs de longue durée, quelques propositions pour des projets d’aménagement qui seront réalisées pour certains bien plus tard. Ainsi après l’unification des deux Allemagnes, s’est concrétisée la construction d’une gare centrale à Berlin, l’interconnexion de la ligne ferroviaire nord-sud, qui avait été envisagée à plusieurs reprises depuis le début du xxe siècle. Comme l’idée d’un grand axe et d’un forum gouvernemental, reprise sous le nazisme par Albert Speer et immédiatement abandonnée après-guerre. Ces projets n’avaient pas été jusque-là réalisés pour des raisons historiques, politiques, et dans une moindre mesure technique, en raison notamment de la nature du sous-sol à Berlin qui rend coûteuse la réalisation d’infrastructures souterraines. Après la Réunification, en 1996, on a voulu faire un plus Grand Berlin en soumettant au référendum la fusion du Land de Berlin avec celui du Brandebourg : la population s’est prononcée en majorité contre la fusion des deux Länder. La connaissance historique de toutes ces discussions récurrentes peut ajouter, je pense, à la construction d’une culture sur l’urbanisme indispensable pour mener à bien les discussions publiques. Celles-ci reposent sur une meilleure connaissance des possibilités d’intervention dans le cadre bâti et en fonction des territoires, en prenant en compte les désirs des groupes de population et des forces politiques. Quand on mentionne Paris, on ne peut pas s’en tenir à Haussmann, qui représente certes un grand moment dans l’histoire de l’urbanisme, mais pas toute sa mémoire. Ce colloque, et d’autres, sont les petits morceaux d’une mosaïque qui s’ajoutent pour créer une scène favorable aux discussions des questions d’urbanisme à un certain niveau, ce qui peut permettre de prendre de meilleures décisions politiques dans la gestion de la ville.
Aurélien Delpirou : Catherine Barbé, que pensez-vous de cette mémoire entre oubli, récurrence, et résurgence…
Catherine Barbé : En écho à Gérard Lacoste, je voudrais témoigner des différentes vagues de préoccupations auxquelles sont soumis les politiques. Je suis administrateur de la ville de Paris depuis 1978. Ces dernières années, je me suis interrogée pour savoir pourquoi, dans les années 1980-1990, je ne me posais pas la question métropolitaine. C’était d’autant moins excusable que je me suis occupée des échanges d’urbanisme avec Berlin entre 1988 et 2008 ; j’ai aussi travaillé à la préfiguration du Grand Londres en tant qu’expert de l’Union européenne auprès des autorités britanniques. Quand je parlais de la ville de Paris, J’avais l’impression de parler de la métropole, ce qui n’était pas le cas. Si on ne doutait pas que les sujets étaient bien traités, c’est en raison d’une phase politico-sociale qui a ramené les préoccupations plutôt vers le terrain. La municipalisation de Paris, l’élection d’un maire à partir de 1977, et de maires d’arrondissement à partir des années 1980, a amené à privilégier les relations avec les habitants : comment mieux prendre en compte la démocratie dans les décisions d’aménagement de la ville ? Ce sujet a occupé le devant de la scène et nous a tous un peu aveuglés sur le fait qu’on était sur la petite échelle, à l’échelle du groupement d’habitants finalement, sans réaliser qu’un certain nombre d’enjeux dépassaient l’échelle de Paris et devrait être traités à celle du Grand Paris.
Christine Blancot : En ce qui concerne les services d’urbanisme parisiens, il est vrai que dans les années 1980-1990, l’échelle d’intervention était celle de l’Est parisien. Il s’agissait de rééquilibrer Paris vers l’Est dans une sorte de consolidation de l’annexion de 1860. De façon schématique, la vague de construction d’équipements à l’époque haussmannienne et post-haussmannienne avait ensuite subi un grand coup d’arrêt ; puis, après 1945, sont intervenus les programmes des grands ensembles de logement sociaux après 1945 qui, comme en banlieue, ont été massivement construits dans plusieurs arrondissements de Paris, les 13e, 18e, 19e, 20e, 15e. C’est pourquoi les années 1980-1990 se sont positionnées dans une espèce de politique de « rattrapage » sur les territoires de l’Est intra-muros avec cette idée sous-jacente que les fortifications n’étaient pas encore tombées. Puis, si l’on fait un bond dans le temps en 2009, il y a eu l’événement constitué par la consultation internationale sur le Grand Paris qui a un peu joué le rôle des concours du début du xxe siècle. Elle a fait émerger toute une série de questions, même si les projets étaient irréalisables, inapplicables en tant que tels. Aujourd’hui, suite à la consultation, tout le monde parle de créer les « boulevards de la métropole » comme si c’était une idée neuve. Or, en fait, dans le rapport de la Commission d’extension de 1913, Bonnier proposait déjà des grands boulevards pour structurer l’agglomération en banlieue. Les problématiques contemporaines sur l’environnement, la transition énergétique ont aussi émergé de la consultation – je pense notamment aux dessins de Richard Rogers qui proposait des piles urbaines par quartier pour fabriquer de l’énergie renouvelable – et sont devenues des éléments de débat banals, évidents qui ont même irrigué le nouveau SDRIF (Schéma directeur de la région Île de France) qui vient d’être approuvé. Si vous le relisez attentivement, vous constaterez qu’il s’est passé quelque chose depuis 2009.
Dominique Alba : En effet, le schéma de l’Est parisien était porté par Jacques Chirac en opposition à François Mitterrand qui faisait alors les grands projets. Il y avait un choix politique et une traduction politique de ce pouvoir. En 2011, on a monté une exposition au Pavillon de l’Arsenal Architectures quatre-vingt pour regarder cette période de près, et c’était édifiant de voir comment ces deux hommes d’état se sont emparés chacun de ce qu’ils avaient à disposition. Chirac voulait faire dans le grandiose aussi, mais il n’avait pas les mêmes moyens, donc il a décidé d’une série de projets de moyenne envergure dans l’Est parisien. La consultation internationale du Grand Paris n’a pas débouché sur l’élaboration d’une synthèse des projets sous la forme d’un plan, mais elle a institué l’idée de la métropole. En 2013, l’APUR a publié un atlas du Grand Paris qui est préfacé par Pierre Mansat : il repose sur l’hypothèse qu’il ne peut y avoir de périmètre de plan, mais des stratégies d’intervention selon les thèmes. On est entré dans un propos complètement différent. On ne peut plus ambitionner de porter un projet urbain d’ensemble comme en 1913. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de projet urbain. On a le sentiment aujourd’hui que c’est une quantité d’aménageurs qui font la ville. Cela pose question sur la nature des travaux à entreprendre.
Jean Louis Cohen : Pour ajouter une autre couche historique « récente », deux histoires symptomatiques sont liées au Pavillon de l’Arsenal. La première : en 1988, nous sommes chargés, Bruno Fortier et moi, de monter une exposition permanente, et on se dit : « On ne peut pas faire une exposition sur la forme de Paris sans sortir des limites du périf ». Grande dispute avec Anne-Josée Arlot, alors directrice du Pavillon de l’Arsenal, qui avait totalement intériorisé l’impératif chiraquien ; recours à Bernard Rocher, alors adjoint au Maire de Paris chargé de l’urbanisme, plus ouvert, qui finalement accepte une position de compromis, en disant qu’on allait inclure la Défense, un projet considéré à l’« extérieur » de Paris. 1991-1992, on fait de nouveau appel à moi-même ainsi qu’à André Lortie pour monter l’exposition « Des fortifs au périf ». Je parle à nouveau avec Rocher, et lui dit : « Monsieur le maire, est-ce que ce ne serait pas l’occasion de causer avec les élus des communes limitrophes ? » « Ah très bonne idée ! ». On organise donc une visite de l’exposition pour les maires de la couronne. Des adjoints viennent, et quelques maires aussi – certains ont manifestement boycotté, de gauche comme de droite. Il est intéressant de rappeler que le discours qui émergeait de leur part était : « Rendez-nous des fractions de territoires annexés en 1860 ! ! ». On était exactement 130 ans plus tard. La mémoire du premier Grand Paris et de la création des 20 arrondissements n’était toujours pas digérée, et ne l’est sans doute pas encore. Les membres fantômes convulsaient et convulsent encore.
Catherine Barbé : J’ai une anecdote de même nature ; ce qui se passait au niveau de élus se passait aussi dans les services. Lors de réunions techniques avec les services des communes limitrophes, parfois, étrangement, surgissait quelque chose du genre : « Ah oui, mais en 1860 vous nous avez enlevé », etc. Donc, les cicatrisations sont lentes et ne permettent pas de passer à une phase ultérieure immédiatement. C’est peut-être la conclusion provisoire qu’on peut en tirer.
Dominique Alba : En 2001, lorsque Jean-Pierre Caffé fut désigné maire-adjoint chargé de l’urbanisme, il demanda à Anne-Josée Arlot, alors directrice du Pavillon de l’Arsenal, de faire l’exposition qu’elle rêvait de faire. Elle monta ainsi l’exposition « Territoires partagés » dont le catalogue fut préfacé par Pierre Mansat et Jean-Pierre Caffé. Cela s’est prolongé par la suite par une exposition permanente qui s’appelle « Paris et la métropole ». On a alors modifié le parcours scénographique du Pavillon avec l’installation au centre de la maquette métropolitaine.
Aurélien Delpirou : On voit bien comment tous ces travaux démontrent l’historicité de la question du Grand Paris et permettent de sortir d’un certain aveuglement ou d’un certain oubli, en déconstruisant un certain nombre de représentations. Comme vous le rappeliez, Jean-Louis Cohen, même dans les solutions techniques et les grandes options de planification, on constate des récurrences qui sont assez saisissantes, tout au long du xxe siècle. Une fois admis que le problème s’est plusieurs fois posé en 1913, en 1960, en 1980, de quelle façon a t’on répondu à ces questions dans des contextes urbains, socioculturels très différents. Quelle était la nature des plans et de quelle façon se sont-ils confrontés au réel ?
Jean Louis Cohen : Vaste question. Ce qu’on en retire, c’est ce que Le Corbusier appelait la vanité de l’illusion des plans. Il convient de relativiser la notion de plan, qu’on en fasse ou qu’on en fasse pas, et aussi la notion d’échelle et de succès des politiques urbaines : un plan n’est pas raté parce qu’il n’a pas été réalisé. On s’aperçoit que les plans, les dispositifs projectuels, sont précisément la transcription de l’état d’une culture, d’une configuration des forces. L’histoire ne nous donne aucun enseignement, c’est ce que mon maître Manfredo Tafuri m’a appris : un des enseignements de l’histoire, c’est que l’histoire en tant que telle ne nous donne pas d’enseignement positif, applicable, opératoire, elle nous enseigne d’une part le scepticisme, le sens de la relativité, mais aussi la volonté de décrypter, de clarifier les enjeux qui aboutissent à la formulation de ces plans illusoires.
Annie Fourcaut : Je suis dubitative en vous écoutant, parce que je ne pense pas du tout, comme vous l’avez dit, que la question se posait de la même façon en 1913, en 1934, en 1965, et justement, c’est l’extrême difficulté de faire une histoire linéaire du Grand Paris. Ce qu’avaient dans la tête les gens qui ont traversé les années 1910-1920, et ceux qui vont fabriquer les villes nouvelles à l’époque de Paul Delouvrier, est quand même très différent, même s’il y a des continuités. Et les questions que la société ou le politique leur a demandé de résoudre le sont aussi. C’est donc assez difficile de faire une histoire longue et sérieuse du Grand Paris parce qu’elle traverse des contextes et des configurations changeantes.
Gérard Lacoste : Je voudrais revenir sur ce qu’évoquait Dominique Alba tout à l’heure : le sens même du plan. Aujourd’hui, dans la façon de piloter l’aménagement, il y a un schéma directeur accompagné de grands documents-cadre, mais il y a aussi quantité d’autres modes opératoires qui ont émergé petit à petit. Et, pour compléter ce que disait Catherine Barbé : « Quand j’étais dans l’administration de Paris, je ne pensais pas en terme de métropole » : il faut rappeler un évènement historique très important au début des années 1980, la décentralisation, qui faisait suite à un processus historique de transformation de l’agglomération parisienne, et à une phase d’industrialisation du bâtiment avec la construction d’un certain nombre de grands ensembles, d’infrastructures, imposés par le haut qui ont été perçus par la suite comme meurtrissant le territoire ; en réaction, on a octroyé une part d’initiatives et une certaine liberté aux collectivités territoriales qui ont pris la main sur beaucoup de choses. Tout cela a eu des conséquences sur la façon de piloter les politiques urbaines et, dans nos métiers, sur la façon de concevoir, de structurer et de collecter l’information. Aujourd’hui, penser la métropole, c’est également revenir sur cette situation, organiser les choses différemment. Si l’on résume l’histoire, il y a eu comme mode opératoire d’abord les grands plans un peu messianiques qui donnaient une image de la ville future comme achevée ; et puis il y a eu les plans conçus pour des politiques réparatrices, sur des sites de rénovation urbaine, dans des tissus constitués où on a fait des OPH (opérations programmées de l’habitat), des traitements curatifs de plus petite échelle. On restait cependant dans le mode opératoire du plan et des politiques associées. Mais avec la décentralisation, et a fortiori demain avec l’émergence de nouveaux acteurs, notamment privés, on va vers autre chose, qui est une espèce de pilotage à distance de l’action des autres par l’État ou par la collectivité qui a la charge de la cohérence d’ensemble. Par exemple, la loi SRU (Solidarité Renouvellement urbain, 2000) exige des collectivités locales plus de logement social, sans pointer d’endroit sur la carte. Il faut donc faire du pilotage à distance, comme pour les conventions habitat-bureaux, qui doivent apporter un équilibre fonctionnel dans les quartiers. C’est autre chose que faire du plan. Cette autre façon de travailler sur les questions d’aménagement implique la maîtrise de l’information, l’élaboration d’indicateurs, de débattre de normes, de considérer ce qui est favorable à une situation d`équilibre dans la ville… Dans l’histoire de la planification, il y a la grande saga des plans et des rapports, mais il y a aussi d’autres documents et processus qui se sont ajoutés petit à petit à la panoplie, et qui prennent le pas, peut-être, sur les outils les plus utilisés ou considérés comme les plus efficaces.
Catherine Barbé : Je souscris à ce que dit Gérard Lacoste. Bien sûr, il y a eu des grands plans régionaux, structurants métropolitains, mais ce ne sont pas forcément ceux qui sont sur le devant de la scène aujourd’hui pour répondre aux préoccupations du moment. À des époques antérieures on s’est préoccupé des grands ensembles ou des déplacements automobile, en fabricant des plans-masse et des schémas directeurs en conséquence. On s’est depuis les années 1980 tourné vers l’échelle de proximité. Du coup, les plans ont changé de statut, ce sont soit des projets urbains, qui traitent une échelle d’extrême proximité, ou bien des PLU (plan locaux d’urbanisme) qui n’ont pas forcément de dimension stratégique, mais plutôt une dimension patrimoniale visant la protection des tissus urbains historiques et des bâtiments singuliers. Cette situation, Paris l’a vécue de manière exacerbée, parce qu’il y a beaucoup de patrimoine et beaucoup de gens qui ont du temps pour s’en occuper. J’ai souscris à cette démarche conservatrice moi aussi. Dans les années 90, je me suis beaucoup concentrée sur le patrimoine parisien. Les plans laissent peut être des traces dans l’histoire de l’urbanisme, je ne suis pas sûre qu’ils laissent des traces dans l’histoire des villes tant qu’ils ne sont pas mis en œuvre. Ce qui laisse des permanences par contre, c’est le paysage et ses données géographiques et morphologiques. Jean-Louis Cohen parlait des constantes dans les projets urbains sur le territoire de la métropole depuis deux siècles au moins, mais c’est lié au fait qu’il y a un fleuve, un milieu, des collines autour, un certain nombre d’éléments qui ont façonné le paysage, les implantations urbaines. Par exemple dans le projet Grand Paris, on s’aperçoit que tout cela a eu un effet très important : les grandes lignes ferroviaires radiales se sont logées à la fin du xixe siècle dans des endroits peu urbanisés, et qui topographiquement permettaient de faire passer les rails du chemin de fer, les gares se sont implantées sur des tissus à l’extérieur des centres bourgs anciens du xviie ou du xviiie siècles. Les futures gares du Grand Paris, qui évidemment doivent devenir des gares d’interconnexion, puisque c’est principalement un projet de rocade qui est à l’œuvre aujourd’hui, sont localisées justement à la croisée de ces grandes radiales ferroviaires historiques. Le paysage, en fait, c’est la grande constante beaucoup plus que les plans qui se sont succédés.
Dominique Alba : L’APUR a travaillé, notamment Christiane Blancot, sur cette question du grand paysage, voire du petit paysage, en essayant de recréer un outillage pour sortir de l’échelle de représentation du quartier. Paris a cette chance d’être très regardée. Pourtant, quand on fait une tour à La Défense aujourd’hui, elle n’est jamais considérée au regard du paysage, dans ce qu’elle donne à voir de La Défense, elle est considérée en elle-même. Il n’y a aucune injonction à produire une étude sur son impact paysager. À l’APUR, on a élaboré diverses études sur l’intégration paysagère des immeubles à grande hauteur. Sur les infrastructures aussi, on est amené à réfléchir avec les communes périphériques sur la question de la dimension paysagère. Prenez la RN2 qui part du nord de Paris vers Le Bourget. C’est une ligne droite équivalente à la distance entre le Rond-point des Champs-Élysées et La Défense. Prenez le Canal de l’Ourcq, il fait 11 km, c’est la dimension de Paris. Au regard de cette comparaison, il y a une opportunité de créer une situation particulière, de reconstruire petit à petit le grand paysage qu’on a oublié de regarder. La création de l’AIGP – Atelier international du Grand Paris – représente une opportunité pour commencer à se saisir de ce point de vue. Pour l’instant, les architectes sollicités par l’AIGP Paris travaillent ensemble sur une carte commune qu’ils appellent « tapisserie » où ils posent un certain nombre de jalons. Je trouve cela assez significatif. On pressent que quelque chose manque mais on ne sait pas encore comment l’attraper.
Hartmut Frank : J’aimerais revenir sur l’idée de construire une culture en urbanisme. C’est aussi une question d’idéologie. La pensée générale est extrêmement influencée par les marges, par les projets, par les concepts, et c’est la tache de notre profession d’urbanistes d’en produire. Ce ne sont pas seulement les décisions de politiciens et d’élus qui décident du futur de nos villes et des territoires. Par delà la production d’idées, on travaille à la communication de concepts. Cela se fait traditionnellement au travers de plans. Un plan ne sera pas automatiquement réalisé dans sa totalité ou même ponctuellement. Un plan, c’est avant tout le dessin, un dessein, qui deviendra le support d’une discussion, d’un discours, d’un processus, et c’est un aspect important de l’urbanisme. L’histoire montre clairement l’émergence, la circulation et la transmission de certains concepts et paradigmes dans les formes urbaines notamment. Si on revient à l’année 1913, on se posait quelques questions qui sont restées sans solution à l’époque. Aujourd’hui, certains problèmes demeurent, comme celui de la rente foncière, du manque de logements, de la concentration de la culture intra-muros au détriment de la périphérie, de ses carences en patrimoine et en espaces publics. Il y a plusieurs visualisations, des solutions proposées mais qui restent partielles. Aujourd’hui chaque commune produit ses petits plans, mais il manque l’idée générale. Sur les planches préparatoires pour le concours de 1919, que nous avons vu lors du colloque, on représentait par une tache blanche soit Paris intra-muros, soit l’extérieur. Cela reflétait une certaine conception mentale, la carte mentale des responsables de la planification, et aussi certainement de la population du Grand Paris à l’époque. On y représentait deux territoires qui semblaient n’avoir rien à faire l’un avec l’autre. Quelquefois, j’ai l’impression que cela n’a qu’à peine changé.
Aurélien Delpirou : Peut-on parler de trajectoire dans l’action publique et dans l’acte de planification ? Il me semble que, même si le contexte a très fortement évolué depuis 1960 – et a fortiori depuis le début du xxe siècle – et que les enjeux se posent dans des termes très différents, on trouve dans l’acte de planification, et notamment pour la région parisienne, un certain nombre de figures récurrentes. Par exemple, le rapport entre le plan et la commande publique, avec la place décisive de l’État ; le rôle de la grande infrastructure, du RER hier, et du Grand Paris Express aujourd’hui ; par exemple, la planification vue comme un grand dessin, une grande composition, le culte de l’objectif chiffré, comme pour les villes nouvelles d’hier jusqu’à l’objectif actuel de construire 70 000 logements par an. Il me semble donc qu’apparaissent des figures récurrentes, y compris d’ailleurs dans la consultation internationale du Grand Paris de 2009. Est-ce que cet héritage est conscient, assumé, intéressant, mobilisé ? Est-il un handicap aujourd’hui ? C’est la question que je me pose. Peut-être que les instituts d’aménagement ont une idée sur ces questions ?
Gérard Lacoste : Vous avez raison, il y a une forme de récurrence dans les schémas de pensée ainsi que des textes qui survivent et qui continuent à s’appliquer. Les récurrences : le plan est associé à des objectifs et s’en veut la traduction chiffrée. Ce qui nous est demandé généralement lors de l’élaboration d’un plan, d’un schéma directeur ou autre, c’est d’apporter un éclairage prospectif, et la première question rituelle, à laquelle on n’échappe jamais, ce sont les données démographiques : combien d’habitants, avec une cohorte de conséquences, c’est-à-dire combien de logements, quels sont les besoins en équipements et ainsi de suite. C’est un exercice imposé. Ceci dit, si les plans donnent un cadre et réduisent les incertitudes pour un certain nombre de décideurs, on ne s’illusionne pas outre mesure là-dessus. Le plan a ces figures imposées qui sont très fortes : la question du chiffre, des objectifs quantitatifs, des grandes infrastructures et des tracés qui donnent l’apparence d’une cohérence à un système de tuyaux qui va fonctionner. Le lien entre l’infrastructure et l’effet induit par son développement a fait l’objet de recherches et d’études, comme celles de Jean-Marc Offner ou d’autres. Je me souviens des premiers débats sur le réseau du Grand Paris, quand on se cassait la tête pour trouver l’équation pour son financement. L’idée qui faisait florès, c’était de profiter des effets de valorisation foncière autour des nouvelles gares pour payer la dette qui finançait la grande infrastructure. Qu’est-il advenu de tout ça ? Ce sont pour partie des idées reçues auxquelles on n’échappe pas et qui reviennent sans cesse. Ceci dit, un certain nombre d’exercices de style nous sont demandés pour donner de la visibilité au projet, pour l’expliquer dans l’optique d’un débat démocratique. À l’époque de Delouvrier, pour ne pas remonter jusqu’en 1913, on a produit de grands documents de planification : le schéma directeur de 1967, auquel d’autres ont succédé. Parallèlement, est apparue une exigence importante en terme de production d’information, et de méthode de travail, avec la nécessité d’éclairer les processus de transformation de la ville à diverses échelles. Aujourd’hui, nous sommes interpellés pour donner une vision d’ensemble de tout ce qui se tricote sur l’Île-de-France par les collectivités territoriales, comme les CDT – contrats de développement territorial –, qui foisonnent ici ou là. Comment réussir à construire une vision d`ensemble tout en restant attentif à l’apparition d’une surcapacité d’offre dans tel ou tel domaine ? Cela devient très compliqué. Quand l’État était maître du jeu et omnipotent, on avait une seule source d’information. On a aujourd’hui des défis d’une autre nature. Il faut apporter des éclairages à toutes ces échelles et dans de nombreux domaines pour comprendre et satisfaire la demande qui tient à la légitimité locale qui est née de la décentralisation. Il y a donc des figures de styles imposées, oui, une multiplicité de légitimités et des outils qui se sont sophistiqués, multipliés pour y répondre.
Aurélien Delpirou : C’est intéressant cette tension entre les formes d’oubli et les figures de style.
Christiane Blancot : Mais justement, la vraie ville n’est pas dans le plan. Et les vraies transformations de la ville ne sont pas dans le plan. Il y a des processus de transformation sur beaucoup de territoires y compris des territoires apparemment figés, en déshérence depuis des décennies, et dont les processus de transformation ne sont pas documentés qu’ils soient ou non issus de projets d’infrastructures. À la fin des années 1990, quand on a commencé à travailler à l’échelle métropolitaine, et surtout au début des années 2000, j’ai été frappée de voir la somme des travaux d’histoire, de géographie, sur le territoire métropolitain. Je suis tombée sur les études de Jean Bastié sur le Grand Paris (La Croissance de la banlieue parisienne, 1966), et sur des monographies communales, pour certaines assez anecdotiques. Certains territoires étaient étudiés très minutieusement, mais avec une vraie difficulté à les resituer dans une histoire plus vaste. Depuis, il y a eu, semble t’il assez peu de travaux historiques autres que thématiques comme les livres d’Annie Fourcaut qui sont dans nos bureaux. Il faut encourager fortement les historiens à continuer de travailler. On a besoin de savoir quel sens donner à ce qui s’est passé, comment ça s’est passé. Il y a un champ de recherche historique qui doit être amplifié aujourd’hui, si on veut travailler intelligemment à la construction métropolitaine. On a besoin de monographies sur l’histoire des territoires, sur leur transformation, et de croisements avec les approches thématiques. Les archives municipales des villes de banlieue regorgent de documents sur lesquels aucun historien n’a travaillé, et qui, souvent, ne sont même pas accessibles.
Catherine Barbé : En ce qui concerne les plans locaux d’urbanisme, mon expérience me fait dire qu’ils oscillent toujours entre deux possibilités : soit une photographie de l’existant, avec l’objectif d’inclure dans le plan des règles pour conserver les tissus urbains, que le pavillonnaire se conserve en pavillonnaire, que le tissu de faubourg se conserve en tissu de faubourg – c’est le cas le plus commun comme à Paris depuis le POS (plan d’occupation des sols) de 1977 – a contrario il y a le plan local qui se voudrait prospectif. Dans le projet de loi SRU (Solidarité renouvellement urbain) auquel j’ai participé, on avait mis des dispositions qui ont été votées par le Parlement et qui avaient pour but d’inciter les élus à l’introduire dans leur PLU un « projet d’aménagement et de développement durable », le PADD dans le jargon des professionnels, pour les inciter à développer une vision sur leurs territoires et la traduire ensuite dans des règles d’urbanisme. Un an plus tard, je me suis livrée à l’exercice d’application sur Paris, et je me suis aperçue que ce n’était pas aussi simple que ça, et qu’il est très difficile de faire porter au plan une vision prospective telle qu’on imagine qu’il devrait en avoir une. J’ajoute que c’est peut-être lié à une qualité, ou à un défaut structurel de l’idée même de plan qui doit donner un cadre aux constructeurs privés ou publics. Mais s’il n’y a plus d’argent, s’il n’y a plus de volonté politique, si pour des raisons sociales un quartier perd tout intérêt, les dispositions du plan ne seront jamais mises en œuvre, et le plan restera lettre morte.
Dominique Alba : Aujourd’hui, la réalité des territoires est très complexe, et les plans sont parfois handicapés pour représenter cela. En second lieu, on a une quantité de données tellement hallucinante que les gens finissent par penser qu’elles forment le projet. Par exemple, on a préfiguré un observatoire des quartiers de gares : on y connaît le pourcentage de 3 pièces existant dans un rayon de 800 m autour et par qui ces appartements sont habités, quels sont les revenus de ceux qui les occupent…, c’est de la big data. Aujourd’hui l’INSEE couvre toute la France par des carreaux de 200 m par 200 m qui sont documentés de la même façon. Ces systèmes s’autoproduisent presque comme de la planification. L’APUR s’est lancé dans la fabrication d’un atlas, ce qui n’est ni modeste, ni simple. Trois données ont été principalement documentées qui intéressaient le concept de métropole post-Kyoto. Ainsi les espaces non bâtis. On a vu alors apparaître une certaine nature de vide, qui est le vide privé, et qui est extrêmement important et très peu renseigné même par les sociologues. Tout ce qui se passe dans la petite couronne se passe en fait dans la sphère privée, mais comme ce n’est pas de l’espace public, on ne le connaît pas. Et dans les opérations d’aménagement, cet espace n’existe pas, il disparaît tout simplement. Il existe de toute évidence dans le pavillonnaire ; on le sait. C’est un vrai sujet de réflexion. Dans cet atlas, on a ouvert des fenêtres de 400 mètres par 400 mètres, pour comparer à tout va, Drancy, Saint-Denis, etc. Puis, on a représenté des parcours, des promenades, parce que la promenade, c’est aujourd’hui la pratique du citoyen pour découvrir le territoire. On s’est demandé si la promenade pourrait devenir un instrument de planification, et à quoi cela pourrait servir, parce que ce n’est pas cher à aménager et que les parcours piétons peuvent passer partout. En fin de compte, la promenade servirait à supprimer les frontières que les infrastructures ont créées partout dans la métropole. Prenez une carte d’Aubervilliers un peu élargie : pour sortir de ce territoire, il y a 19 passages, et tous ces passages passent sous une infrastructure. On a fait 19 photos, et on s’est dit que là ce serait bien si on faisait 19 agréables trottoirs, avec un éclairage spécifique. Il y a aujourd’hui des spécificités du territoire qui nous invitent à construire les choses autrement. Il faut juste prendre le temps de les regarder. En fin de compte, nous avons joint à l’atlas deux cartes sur les centralités, l’une représentant la centralité classique densité-habitat-emploi, et l’autre la centralité telle qu’on la pratique. Le géographe Michel Lussaut parle d’hétéro-polarités où ne se distingue plus de hiérarchie et où même Paris disparaît : il y en a partout, comme si vous aviez jeté une grande brassée de confettis sur un territoire de 700 km2.
Aurélien Delpirou : C’est un atlas qui a une dimension historique ? Pas du tout. D’accord, purement géographique. C’est une photographie du Grand Paris en 2013.
Jean Louis Cohen : Je voudrais revenir sur ce que disait Christiane Blancot sur la demande de connaissances. Je pense qu’il y une connaissance sur l’histoire des territoires du Grand Paris, sur l’histoire des projets qui s’est incroyablement développée depuis une vingtaine d’années, mais de façon fragmentée pas du tout cumulative. Je reviens à l’exemple que j’évoquais du décalage entre les projets à l’échelle de l’agglomération et les projets de détail, comme les plans, issus de la loi de 1919, élaborés par les services de Louis Bonnier. Dans les années 1970, j’ai conseillé la commune de Villejuif pour bloquer des projets de promoteurs en utilisant l’extrait local du PARP, le Plan d’aménagement de la Région parisienne, qui avait été élaboré par l’urbaniste Henri Prost et son équipe dans les années 1930, puis mis à jour par le service du plan de Paris dans les années 1950 pour pallier l’absence de plan d’occupation des sols. Ce plan, connu sous le nom du plan Prost, a eu évidemment un poids historique tout à fait important dans ce territoire de Villejuif et sans doute dans ceux d’à côté. Au regard de cette expérience et de mes travaux de chercheur, je me demande s’il ne serait pas possible de mettre autour d’une table des acteurs publics et académiques pour lancer un grand chantier de collecte et de rassemblement systématique des données cartographiques historiques, des fragments de projets, des éléments de règlement, pour essayer d’avoir une histoire de la régulation urbanistique du Grand Paris ? C’est un projet qui peut se gérer de manière décentralisée, avec une espèce de coordination méthodologique, mais qui organiserait le savoir au-delà du raccordement et du partage de nos ignorances et de nos îlots de connaissance. C’est le premier point, académique, technique, mais cela peut être extrêmement important comme aide à la compréhension, à la décision. Deuxième point, qui est de l’ordre de la connaissance historique : je suis frappé, quand je me promène comme je le fais dans les grandes villes du monde par l’absence totale dans l’agglomération parisienne d’un lieu public qui produise l’histoire, qui rende compte de l’histoire et de la mémoire du Grand Paris. On a certes l’exposition permanente du Pavillon de l’Arsenal et le Musée Carnavalet, qui est totalement obsolète, mais qui est magnifique pour ce qu’il fait ; on a aussi un musée de l’histoire de France dans le château de Sceaux ; on a des collections disparates, mais ne serait-il pas intéressant d’avoir quelque part, dans une grande usine reconvertie, un musée – et j’insiste sur le terme de musée, parce que tout le monde sait ce qu’est un musée par rapport à un centre ou un institut –, un musée dans lequel les classes d’une commune quelconque du 93 pourraient venir, et comprendre que leur territoire fait partie d’une entité plus large qui a une histoire, une complexité. Ne peut-on pas non imaginer une politique culturelle à l’échelle métropolitaine et produire ce qui serait un outil pédagogique et public plus général au service des questions que l’on évoque ici ?
Annie Fourcaut : Je ne suis pas sûre que la compréhension de l’histoire du Grand Paris depuis un siècle passe par la collection, l’archivage et la compréhension des plans, des règlements. C’est très important, mais je sais d’un certain nombre de monographies qu’un plan devient réalité ou non en fonction d’une décision politique. Par exemple les lotissements défectueux de Bobigny ont été transformés parce que le maire de l’époque les a pris en charge. La Plaine Saint-Denis s’est plus récemment transformée parce que la communauté d’agglomération était dirigée par un personnage très dynamique. Très curieusement, le problème de la décision politique, qu’elle soit nationale ou locale, a été absente de ce débat. Ce qui fait qu’un plan devient ou non une réalité, c’est, dans une contexte particulier, la volonté politique d’un groupe, d’un conseil municipal, d’un homme, d’un secrétaire d’État, etc. Or, on raisonne comme s’il suffisait de regarder des plans pour comprendre. Et la difficulté de faire l’histoire du Grand Paris que vous évoquiez, elle est là ! C’est extrêmement difficile de comprendre l’ensemble des forces politiques à l’œuvre derrière la transformation.
Jean Louis Cohen : Évidemment, mais au moins ayons les pistes pour rassembler un certain type de documents qui aujourd’hui sont invisibles car entreposés dans les archives des services et non pas versés dans les archives publiques. Bien sûr cela seul ne nous permettra pas de comprendre pourquoi un projet est sorti ou est mort à un moment donné, mais cela nous donnera une base cognitive pour faire des comparaisons. Je ne veux pas remplacer l’histoire par la documentation, et encore moins par l’archivage des dessins, mais ce serait quand même une étape.
Aurélien Delpirou : D’autant que la question du Grand Paris, à tort ou à raison, aujourd’hui est encore essentiellement posée dans le débat politique et médiatique par l’intermédiaire du grand projet, du grand plan, des grandes visions… On pourrait en débattre, mais ce qui a fait le plus réagir au plan médiatique, c’est par exemple les images issues de la consultation internationale de 2009.
Jean-Louis Cohen : Il y a une confusion dans le terme de métropole. La métropole, ce sont trois réalités différentes qu’on utilise alternativement dans les propos. Il y a la métropole constituée par l’agglomération et son espace humain, qui a sa vie et ses processus, c’est une chose ; la métropole du Grand Paris, c’est aussi dans l’esprit des gens ou des journalistes, ou des gens autour de cette table, un projet, notamment celui avec un acte fondateur qui est le réseau de transports, et tout ce qui s’accroche autour ; et puis il y a une troisième dimension, institutionnelle, qui va venir à l’Assemblée nationale. Les trois choses s’articulent mal. Donc il faudrait bien définir de quoi on parle quand on parle de la métropole de Grand Paris et en ce qui concerne le débat institutionnel, je ne suis pas sûr que derrière, il y ait le grand plan et le grand dessein. On entend autre chose à l’assemblée nationale sur cette question.
Aurélien Delpirou : Laissons conclure Pierre Mansat, dans le cadre de votre expérience à la mairie de Paris, puis à l’AIGP dont vous êtes le président, quel est l’apport de la construction du regard historique sur le Grand Paris dans les pratiques, dans les relations avec les collectivités ?
Pierre Mansat : Je ne sais pas si je saurais répondre à votre question. Il y a quelque chose qui m’interpelle, c’est l’histoire du Grand Paris de ces quinze dernières années. Cette période-là risque d’être marquée par un trou historique, un vide. Elle va manquer de chroniqueurs, d’articles de presse, parce qu’il y en a eu très peu, à part au moment de la consultation internationale, et encore, dans le cadre de communications publicitaires, mais pas sur son fondamental. Je pense qu’il y a des appels qu’il faudrait entendre : celui de Jean Louis Cohen pour la constitution d’un lieu dédié m’intéresse beaucoup comme projet politique. Projet politique qui pourrait être compris dans le projet métropolitain que la métropole va devoir élaborer, lorsque la loi sera votée… Votre colloque se déroule dans une période particulière puisque dans cinq jours arrive en discussion à l’Assemblée nationale le projet de loi qui va instituer une métropole du Grand Paris, – ce n’est pas l’objet de la table ronde de discuter des interrogations concernant le périmètre qui ne correspond pas à la métropole fonctionnelle, loin de là, ni de la façon dont la gouvernance va s’organiser, ni du sort des intercommunalités. Le système étonnant qui va être mis en place de remontées et de redescentes vers les collectivités, les équipements et les personnels de la future administration, tout ça reste en suspens, mais il n’en demeure pas moins qu’un acte politique fort a été posé qui va instituer la métropole dite du Grand Paris à une échelle bien déterminée, qui sera sans doute peu fluctuante. Les prochaines années vont être déterminées par la mise en place de cette métropole, ce sera le mandat que les élus municipaux vont rechercher en mars 2014, même si cela n’apparaît pas dans les campagnes électorales. Et je pense qu’il faut le dire à ceux qui vont organiser la préfiguration : le préfet, Paris Métropole, ceux qui auront leur mot à dire dans l’organisation de cette préfiguration : « Penchez-vous sur l’histoire ancienne et récente du Grand Paris, c’est une urgence pour que les citoyens puissent disposer des éléments de compréhension et d’appréhension de ce qui va être cette métropole qui va les concerner très directement dans leur vie quotidienne ». Je suis inquiet parce que je ne suis pas sûr que ce soit très porté, en tout cas, dans le monde politique. Je pense que cela ne l’est pas encore alors que ce serait tout à fait déterminant.