La fin des années 1920 en URSS est marquée par un important débat portant sur le contenu et la forme de la ville socialiste[1], qui réunit divers acteurs, urbanistes, sociologues, médecins, économistes. Tout en partageant une vision commune de la nouvelle société – collectivisation du mode de vie, éclatement de la cellule familiale, décentralisation – ils proposent des formes différentes de répartitions territoriales et d’habiter. Aux deux pôles opposés se trouvent ceux qui seront nommés, de manière critique, les ourbanisty et les dezourbanisty, dont les positions sont portées par deux économistes du Gosplan, Leonid Sabsovitch et Mikhaïl Okhitovitch. Le premier prône la décentralisation par le biais de la création des centres urbains spécialisés, proches des lieux de production, avec un habitat collectif et une collectivisation ainsi qu’une sectorisation du mode de vie poussés à l’extrême ; le second, la suppression pure et simple de la notion de ville via la dispersion des différentes fonctions urbaines sur l’ensemble du territoire, rendue possible grâce au développement des routes et de l’automobile, et pour l’habitat, la construction économique des maisons individuelles ou groupées à rez-de-chaussée. Ce débat théorique trouvera sa traduction sur le terrain de Moscou lors de la consultation ouverte de 1930 qui réunit des participants de toutes disciplines[2].
L’évaluation par l’acteur politique du Concours international pour le réaménagement de Moscou de 1932, qui fait suite à cette consultation et où ne sont retenues que sept équipes[3], mettra définitivement fin à ces discussions. Et c’est autour de la vision centralisatrice et de la volonté de partir de la ville constituée avec ses caractéristiques géomorphologiques (dont le fleuve et la structure radioconcentrique) que l’équipe chargée de l’élaboration du Plan doit désormais composer. Trois ans plus tard, le 10 juillet 1935, le Comité central du Parti et le Commissariat au peuple de l’URSS, par leurs dirigeants respectifs, Joseph Staline et Viatcheslav Molotov, adoptent le Plan général de la reconstruction de Moscou de 1935. Lazare Kaganovitch, président de l’organisation du Parti de Moscou et secrétaire du Comité central, en assurera le suivi durant les premières années de sa réalisation, et sera notamment très actif dans le suivi du chantier du métro[4].
Si l’arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev en 1953 marque un changement d’orientations, l’application du plan reste active au moins jusqu’en 1958. Le territoire sud-ouest, principale direction de développement de Moscou dans le projet de 1935, ne sera ainsi aménagé, suivant les principes de découpages en grands îlots tels que définis dans le projet, qu’après la mort de Staline.
Depuis, plusieurs plans d’urbanisme se sont succédé, dont ceux de 1971, 1989 et l’actuel plan 2025. Malgré quelques tentatives décentralisatrices, aucun plan n’a cependant pu véritablement s’affranchir des principaux choix de développement décidés en 1935, dont l’exaltation de la structure radio-concentrique.
Par l’étendue et l’impact de son intervention, dont les traces sont encore visibles dans l’espace physique de la ville à travers la structuration du réseau viaire et le découpage en grandes unités bâties, cette opération pourrait être rapprochée de l’urbanisme parisien. En revanche, elle ne semble pas avoir d’équivalent dans la variété des représentations visuelles produites afin de faire connaître ce projet[5]. C’est cette impressionnante stratégie communicationnelle que nous souhaiterions interroger dans cet article en analysant le contenu, les formes et les supports de diffusion du Plan de la reconstruction de Moscou de 1935.
Plan de Moscou et plan de Paris : une ignorance mutuelle
La comparaison entre le projet pour Moscou et son contemporain parisien Plan d’aménagement de la région parisienne de 1934 est instructive. Conçus dans les temporalités très proches – 1928-1934 pour le premier, 1932-1935 pour le second – le Plan d’aménagement de la région parisienne de 1934 et le Plan général de reconstruction de Moscou de 1935 semblent portés par le même objectif : se doter d’un outil d’urbanisme performant, actif sur un long terme et intervenant à une grande échelle territoriale.
Le contexte d’élaboration et les enjeux poursuivis sont cependant bien différents. Nommé Plan de réaménagement de Moscou au moment du concours de 1932, renommé Plan général de la reconstruction de Moscou au cours de son élaboration, ce projet passera à la postérité sous le nom de Plan stalinien de la reconstruction de Moscou[6].
Contrairement à Henri Prost, l’urbaniste Vladimir Semionov[7], qui s’est vu confier la direction du projet en 1932, après une première proposition fournie en 1931, ne sera mentionné que dans la longue et discrète liste de participants. Et il en va de même pour l’architecte Kurt Meyer, dont l’importance jouée dans la conception du plan est mise en lumière dans les récentes publications des historiens allemands[8]. Ce souci d’effacement d’un auteur unique ou prévalent pourrait en partie s’expliquer par la structure volontairement collective de l’organisation du métier d’architecte telle qu’elle se met en place à partir de 1933, avec la création des Ateliers du Mossoviet (Soviet de Moscou). De fait, les différentes thématiques du projet ont été élaborées par plusieurs équipes, et évaluées par des groupes d’experts correspondants[9]. En même temps, la création de cette structure étatique centralisée, qui met fin aux groupements artistiques, est paradoxalement motivée par le souci affiché d’en finir avec la dépersonnalisation, en rendant chacun responsable de l’objet architectural ou urbain attribué. La discrétion autour du nom de Semionov aurait pu s’expliquer par sa mise à l’écart de la direction du projet en 1934 au profit de Sergueï Tchernychef[10], si le nom de ce dernier était passé à la postérité, ce qui n’est pas le cas. Encore aujourd’hui, bien que le rôle joué par Semionov dans l’élaboration du Plan de 1935 ne fasse aucun doute, il reste peu ou pas mentionné dans les publications. Au-delà d’un cercle restreint de chercheurs, ce plan reste pour beaucoup l’œuvre non pas d’un auteur, ni même d’un collectif d’auteurs, mais d’un acteur politique, Staline. Il apparaît également rattaché à Lazare Kaganovitch[11], nommé en 1932 à la direction de la Commission à l’architecture, fonction qu’il occupera jusqu’en 1935.
Il est important de souligner par ailleurs que les projets pour Paris et pour Moscou semblent s’ignorer, si l’on en juge par la presse soviétique et française professionnelle. Ceci peut paraître surprenant tant au regard de la contemporanéité de leur conception, que de la proximité de certaines thématiques abordées : performance d’un système de circulation ; création d’un système vert ; relocalisation de l’industrie ; inventaire et protection des réserves végétales ; transport aérien et fluvial, etc. Tandis que les deux principaux problèmes – la gouvernance et le foncier – pointés par Prost et levés en URSS avec la nationalisation du sol, et l’étatisation généralisée de la production et de la gestion, ne semblent pas, ou plus, susciter d’intérêt auprès des acteurs français.
Dans la revue Urbanisme, à laquelle Henri Prost participe dès sa création en 1932 aux côtés de son fondateur Jean Royer, aucun article n’est ainsi consacré au plan de Moscou, bien que les tableaux bibliographiques publiés dans la même revue fassent état, en 1936, de quatre articles ou notices consacrés à ce sujet dans d’autres médias : La technique des travaux, Le Moniteur des travaux publics, L’Architecture d’aujourd’hui et Le Bulletin Municipal Officiel[12]. Ce dernier fait d’ailleurs état d’une prise de renseignements concernant les conditions d’expropriation menées dans le cadre de la réalisation du plan. Le seul article se rapportant à l’urbanisme soviétique publié dans Urbanisme en 1936, « Le développement des villes en URSS » est signé par le le Dr Grégoire Ichok, directeur des services d’hygiène et d’assainissement de la ville de Clichy. Dans une vision particulièrement confiante, données de 1918 à 1933 à l’appui, l’auteur y écrit qu’en URSS « la crise du logement, si elle existe, ne doit pas avoir des conséquences graves […] », avant de conclure que« la grande expérience d’urbanisation intense se poursuit avec succès ».[13]
Ce faible éclairage n’est cependant pas spécifique à la presse française. Ainsi, la revue italienne Architettura, sur une période allant de 1932 à 1940 – soit en pleine réalisation du Plan de Rome de Mussolini –, ne consacre également aucune ligne au plan de Moscou, alors même qu’y sont publiés le concours du Palais des Soviets de 1932, le pavillon de l’URSS de 1937. L’unique article traitant de l’urbanisme porte sur les projets de villes nouvelles des années 1920 sur fonds du débat sur la ville socialiste des années 1929-1930. Ceci est d’autant plus étonnant qu’en septembre 1935, un groupe d’architectes soviétiques se rend au XIIIe congrès d’architecture à Rome dans le but d’y faire « des interventions actives » et en repart satisfait de la prestation et de la réception des architectes soviétiques « sur les questions de l’organisation du métier et des échelles d’intervention », dont les allocutions auraient été suivies par des applaudissements particulièrement prolongés, « inhabituels pour l’ambiance très stricte de ce congrès »[14]. Du côté des soviétiques le silence autour du Plan d’aménagement de la région parisienne de 1934 est plus épais encore et surprend au premier abord, si l’on prend en compte l’intérêt porté alors à l’actualité architecturale hors des frontières de l’URSS. Intérêt non seulement autorisé, mais incité par le pouvoir politique. En juin 1931, dans un rapport présenté à la session du Comité central du Parti concernant « La réorganisation socialiste de Moscou et des autres villes de l’URSS »[15] Lazare Kaganovitch clôt le débat sur la ville socialiste en ces termes : « [n]os villes sont devenues socialistes au moment de la révolution d’octobre […]. Nier le caractère socialiste de nos villes, c’est partir d’un point de vue tout à fait faux, menchevik[16] » et critique les positions selon lesquelles il faudrait cesser de regarder ailleurs et juger que « le système radial et le système en anneaux sont de systèmes féodaux, le système en échiquier, capitaliste, le système linéaire, petit-bourgeois […] »[17] Un an plus tard c’est au sujet de la structure radioconcentrique, dans laquelle l’architecte allemand Kurt Meyer voyait la traduction du « centralisme démocratique », qu’il s’exprime. De tels parallèles amèneraient selon Kaganovitch à considérer que Haussmann, « qui également projetait la ville de manière radioconcentrique [était] un démocrate ». Et il appelle à ne pas mélanger « l’analyse historique du passé avec les objectifs de ce dont nous avons besoin »[18].
« Nous ne pouvons plus, aujourd’hui, écrit-il, en nous basant sur le fait que la ville féodale s’est développée de manière concentrique […] en déduire qu’il faut détruire la ville féodale parce que le féodalisme est en contradiction avec le communisme et le socialisme. […] [C]ertains considèrent que puisque nous avons à Moscou un système radioconcentrique, au nom du communisme pur il faut tout envoyer au diable. »[19]
Ce raisonnement le conduit naturellement à poser la question de ce « dont nous avons besoin ». « Il est clairque nous ne pouvons et ne devons copier les villes anciennes, ni médiévales, ni antiques, ni bourgeoises[20] », écrit-il. Mais rien n’empêche d’emprunter ou plus précisément de « prendre » ou de « ne pas rejeter », le terme d’« emprunter », pas plus que celui de « modèle » n’étant jamais employés :
« Nous n’avons jamais rejeté la technique bourgeoise de l’économie communale, nous n’avons pas rejeté le fait qu’un appartement confortable et une belle maison, une circulation commode, tout ce qui soulage la vie du peuple a été inventé à l’étranger. Mais c’est notre affaire, nous devons le prendre aux personnes isolées pour qu’il devienne accessible aux millions, devienne accessible au peuple. »[21]
« Technique », « confort » et « beauté », apparaissent ici comme les trois principaux axes de cette conquête. Mais si « la technique » ne constitue en rien une nouveauté, le retour vers les notions de « confort » et de « beauté » marque incontestablement un tournant par rapport aux années 1920. Il est intéressant de relever la réhabilitation dont fait aussi l’objet le Paris haussmannien. « Comment travaillait Haussmann ? [demande Kaganovitch] Il travaillait très modestement : il finissait les anneaux et redressait les lignes. »[22]
Ne pas assimiler le contenu et la forme, s’étend également pour Kaganovitch à l’objet architectural :
« Certains considèrent qu’il doit y avoir une architecture prolétarienne, une architecture reflétant l’idéologie du prolétariat […], mais inventer une telle architecture, prévoir à l’avance, que telles lignes sont prolétariennes, et telle ligne bourgeoise, ça camarades, ce sont des fadaises. »[23]
Rien n’interdit dès lors de puiser à des sources variées en empruntant « certains éléments grecs, certains éléments de l’Américanisme »[24].
Pour répondre à cette aspiration de l’ailleurs, la presse architecturale soviétique se dote en 1934 d’une nouvelle revue, Arkhitektoura za roubejom (L’architecture au-delà des frontières), qui malgré sa courte durée de vie – elle cesse de paraître en 1937 – offre un panorama très large des réalisations architecturales et urbaines contemporaines. Tandis que la revue Arkhitektoura SSSR (Architecture de l’URSS), créée en 1933, éclaire dans ses deux rubriques, « L’architecture au-delà des frontières » et « À travers les pages de journaux occidentaux », plusieurs réalisations occidentales, dont l’hôpital Beaujon de Jean Walter à Clichy, les Halles du Boulingrin d’Émile Maigrot, le Mobilier national d’Auguste Perret[25]. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer de prime abord, ce silence autour du plan de Prost ne serait pas nécessairement ou exclusivement nourri par la concurrence avec l’Occident et le désir de marquer l’exception architecturale soviétique. Au même moment sont publiés le projet contemporain de Rome et d’autres projets de l’Italie fasciste tout comme les projets de l’Allemagne nazie, bien que leur portée et nouveauté soient systématiquement minimisées.
Ce silence s’expliquerait peut-être plus simplement par le fait que, malgré les apparences, le Plan général de la reconstruction de Moscou de 1935 et le Plan d’aménagement de la région parisienne de 1934 ne portent pas sur le même objet.
Moscou : « le divorce entre la capitale et sa région, sa périphérie, sa banlieue »
Dans un article publié en 1998 dans la revue Paris Projet, Jacques Lucan soulignait l’« étonnante ou inquiétante étrangeté » de la loi du 14 mai 1932 qui, « si elle fixe le cadre de la région parisienne, et donc l’action du comité supérieur, n’en retranche pas moins délibérément son centre, Paris même, inscrivant ainsi, comme sur les Tables de la Loi, l’opposition méfiante ou le divorce entre la capitale et sa région, sa périphérie, sa banlieue »[26]. Mais c’est justement par son étonnante et probablement beaucoup plus inquiétante ignorance volontaire de sa région, de sa périphérie et de sa banlieue que se distingue le Plan général de reconstruction de Moscou de 1935. Ce plan est celui d’une plus grande Moscou – la ville est censée doubler en surface – mais ce n’est pas à proprement parler un plan d’une Grande Moscou. D’ailleurs, contrairement au projet de la Grande Moscou de 1921[27] de l’ingénieur Sergueï Chestakov, le mot « grand » n’apparaît pas dans son intitulé. Serait-ce justement pour le distinguer du projet de Chestakov, fortement critiqué par Staline et Kaganovitch pour son gigantisme et irréalisme ou parce que la paternité de Staline suffisait à lui assurer une grandeur symbolique ? Toujours est-il que ce n’est pas par son étendue territoriale mais par le marquage affirmé de son centre et de ses limites que la nouvelle Moscou du plan de 1935 se définit avant tout.
Alors que les projets des années 1920 insistaient sur l’abolition de la différence entre la ville et la campagne, proposaient une vision horizontale et une répartition régulière des fonctions et des établissements humains sur le territoire, le plan de 1935, tout en réitérant le discours sur l’abolition de cette différence, n’en réinstaure pas moins une hiérarchie franche entre les deux et ne renseigne que ce qui se trouve dans le nouveau périmètre urbain élargi. Dans ce plan, la limite physique de la ville est matérialisée par la création d’une ceinture verte de protection, lieu de repos des citadins, tandis que l’espace rural alentour, jamais dessiné, n’est considéré dans les textes qu’en tant que source nourricière de la ville centre.
Il est important de rappeler que le lancement et l’élaboration de ce plan se situent en pleine période de grandes famines qui ont fait plusieurs millions de morts. En décembre 1932, un passeport intérieur et la propisska (permis de résidence) sont instaurés pour les grandes villes afin, comme écrit l’historienne Nathalie Moine, de « limiter le nombre de bouches à nourrir dans les villes [et] bloquer l’arrivée des paysans affamés »[28].
Impossible d’oublier ce contexte, lorsque Lazare Kaganovitch prononce en 1933 ce discours devant les représentants de la région de Moscou :
« Protéger la ville de Moscou est une bonne chose. Mais il est indispensable ici de prendre en compte le fait que nous ne puissions atteindre cette protection que lorsque nous créerons une zone solide, saine autour de Moscou. […] Il est vrai qu’il vous serait agréable de vous sentir comme chez vous et non comme un voyageur, un invité. Mais la question n’est pas dans l’agrément, mais ailleurs. Quel est le cœur du problème ? Prenons la gestion. Chacun construit ce que bon lui semble, comme il veut autour de Moscou. Nous avons pris une zone de 50 km. Je considère qu’il faut interdire de construire sans permis dans une zone de 53 km autour de Moscou et toute construction sur 3 km. »[29]
Cet accent mis sur la centralité et la protection de Moscou se décline à plusieurs échelles : Moscou centre de la révolution mondiale ; Moscou centre de l’URSS, reliée à ses cinq mers par la création du canal Moskova-Volga ; Moscou centre par rapport à ses périphéries. Et c’est bien sur le centre historique, comme vitrine immédiate de la ville, que va porter la priorité de ce réaménagement, avant de se poursuivre dans le nouveau périmètre élargi.
Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’un article détaillé consacré aux villes occidentales, dont Paris, publié en 1937 dans la revue Arkhitektoura SSSR, n’évalue que les qualités du Paris haussmannien et ne retienne du Paris contemporain que les projets de l’aménagement de la ceinture en 1919, prêtant une attention toute particulière aux boulevards à plusieurs niveaux de croisement, susceptibles de servir de modèle aux boulevards circulaires moscovites. Car ce Paris intramuros est surtout regardé pour la performance supposée de sa structure radioconcentrique, dans laquelle les soviétiques reconnaissent, quelques décennies après Eugène Hénard[30], des ressemblances avec Moscou. Et ceci alors même que Moscou avait cessé de se développer suivant ce modèle depuis le XVIIe siècle[31]. Cette structure radioconcentrique n’est donc pas tant regardée comme conservation et réactivation d’une forme héritée du passé qu’en tant que schéma idéal du réseau viaire sensé résoudre les futurs problèmes de trafic. Pour une Moscou qui doit doubler de surface passant de 30 000 à 60 000 ha, c’est vers un Paris dans son périmètre de l’enceinte de Thiers démolie que les soviétiques regardent. Et la mise à l’échelle entre les deux projets, si elle montre un fort décalage entre le Paris intramuros et le futur Moscou, n’en montre pas moins que ce n’est pas sur la même étendue territoriale que l’on prévoit d’intervenir.
La reconstruction de Moscou – et c’est là qu’il faut en partie chercher la raison de cette étrange désignation[32]– passe donc par la mise en évidence du schéma radioconcentrique via l’élargissement conséquent et la création de nouvelles radiales et anneaux, et la protection des agglomérations environnantes par une ceinture verte large de 3 km, doublée d’une zone de contrôle de 50 km. Dispositifs qui témoignent d’une volonté de faire coïncider la « ville-politique » avec la ville « géographique » et traduisent la foi en la possibilité de contrôler, par un document d’urbanisme, l’afflux de population et le développement de la périphérie urbaine qui en résulte.
Le nouveau territoire urbain double et se développe dans la direction sud-ouest, suivant en cela la proposition émise par Kurt Meyer à l’occasion du concours de 1932 et élaborée ensuite par son équipe. La future Moscou est censée accueillir une population de 5 millions d’habitants à l’horizon des années 1950. Les industries et les activités polluantes sont projetées ou déplacées hors la ville ; les institutions, administrations et espaces culturels conservés et renforcés en son centre ; tandis que les habitations se déploient le long des principales artères radiales et circulaires et le long des berges des rivières Moskova et Iaouza, nouvelles artères de parade de la ville. Le schéma radioconcentrique se retrouve également dans le système vert – ceinture végétale, pénétrantes radiales, parcs urbains disposés en couronne. Il est aussi repris et en sous-face, à travers le tracé des lignes du métro, autre chantier majeur[33]. Enfin, une nouvelle division urbaine, le kvartal (îlot) de 9 à 15 ha, (de 200/300 m x 500 m), bâti en périmètre d’immeubles de six étages et plus autour d’un grand square, définit les nouveaux gabarits et simplifie de manière drastique le découpage du réseau viaire.
Une large diffusion
Le projet est montré et diffusé sur plusieurs supports, à commencer par la presse professionnelle. Il est ainsi publié de manière très détaillée dans le n° 10-11 de la revue Arkhitektoura SSSR de 1935. La revue Stroitelstvo Moskvy, créée dès 1929, permet de suivre les différentes étapes de son élaboration. Puis, en 1936, le texte de la résolution et les différents documents techniques sont publiés dans un luxueux ouvrage dont la couverture est ornée d’un portrait de Staline, photographié de trois quarts et d’un profil intemporel d’un Lénine en médaillon. Les deux figures sont apposées sur fond de perspective de Moscou et séparées par le fleuve Moskova, principal axe de développement de la ville, tout en étant réunies par les nombreux nouveaux ponts jetés entre les deux rives (voir Fig. 1, Fig. 2). Dans cet ouvrage sont notamment publiés les plans permettant de comprendre le principe de restructuration du réseau viaire à travers le redressement et l’élargissement des voies radiales et la création de nouveaux anneaux, les vues aériennes embrassant les nouvelles perspectives qui mènent vers le Palais des Soviets, et les préconisations sur le découpage en très grands îlots.
[ Voir Fig. 1 et 2 ]
Mais la presse professionnelle n’est pas l’unique support de cette diffusion. Il est non seulement publié dans la presse généraliste, mais se diffuse sous d’autres formes qui vont directement aller chercher le citoyen. Dans ses lieux de vie : le projet est ainsi présenté en 1933 dans les vitrines des immeubles en construction de la rue Gorki, premier axe et chantier de reconstruction ; mais aussi dans ses lieux de travail à travers de multiples conférences et autres formes de présentations orales et illustrées.
Dans ce vaste corpus de formes et de supports de diffusion, trois objets mériteraient une attention particulière : un poème pour enfants, un album illustré et un film de fiction, tous trois datant de la même année 1938.
Littérature enfantine
[ Voir Fig. 3 , 4 et 5 ]
La maison déménagée
Près du Pont de pierre
Où coule la Moskova
Près du Pont de pierre
La rue est devenue étroite
Dans cette rue des bouchons se forment,
Des chauffeurs s’inquiètent
– Oh là là, soupire l’agent de circulation
Que cette maison d’angle nous gêne !
Sioma s’est absenté longtemps
Sioma se reposait à Artek[34]
Puis il a pris le train
Pour retourner à Moscou
Voici le carrefour bien connu
Mais il n’y a plus ni maison, ni porte !
Et Sioma reste là effrayé
À se frotter les yeux
La maison était là
À cette place
Elle a disparu
Avec ses habitants !
[…]
L’agent répond à Sioma
– Vous nous gêniez
Vous dans votre maison nous avons décidé de
Vous conduire dans une ruelle
Cherchez derrière l’angle
Et vous trouverez cette maison
[…]
Sioma se précipite chez les voisins
Les voisins lui disent :
– Nous roulons tout le temps Sioma
Nous roulons depuis dix jours
Les murs roulent doucement
Sans que les miroirs ne se brisent,
Roulent les vases dans le buffet,
La lampe reste intacte dans la chambre.
[…]
À travers ce poème pour enfants, intitulé « La maison déménagée », la poétesse Agnia Barto[35] décrit une pratique dont les habitants de l’époque ont pu être témoins au quotidien : le déplacement des bâtiments. Coupées de leurs fondations, ceinturées, soulevées par des vérins et déplacées sur des rails, préalablement installés sur toute la longueur du trajet sur plusieurs mètres, les maisons en effet « déménageaient » dans la Moscou en reconstruction.
La technique n’était pourtant pas nouvelle, les Russes y recourant bien avant la révolution pour déplacer des maisons en bois, tandis qu’en Amérique elle avait permis de faire voyager des bâtiments plus solides, dont des églises en brique[36]. C’est son déploiement sans précédent, qui plus est sur une période courte, qui la rend exceptionnelle. Près de quarante bâtiments seront ainsi déplacés dans le centre historique de Moscou durant la réalisation du plan. Ces opérations ont été menées sous la direction de l’ingénieur Emmanuel Guendel[37], acteur important dans le chantier du métro moscovite. Comparativement au nombre de bâtiments démolis, ce chiffre d’une quarantaine de bâtiments, peut paraître assez modeste, mais c’est sans compter sur la dimension spectaculaire de ces chantiers. Le recours à cette technique complexe et coûteuse ne peut en effet s’expliquer uniquement par le choix de l’élargissement comme mode d’intervention prioritaire, ni par le désir de préserver un bâti de bonne qualité. La dimension de propagande de la prouesse technologique des ingénieurs soviétiques, constitue certainement un élément important. Illustration vivante de la rapidité de la réalisation du Plan de la reconstruction de Moscou, ces déplacements étaient parfois réalisés durant la nuit pour permettre le passage d’un défilé pour une fête du lendemain.
Entre 1932 et 1937, aussi bien les revues d’architecture que la presse généraliste abondent d’articles illustrés consacrés à ces chantiers spectaculaires. Dans la rue Gorki, premier terrain d’application du plan de 1935, cinq bâtiments seront ainsi déplacés. Les habitants se souviennent encore du fait que tous les réseaux – eau, électricité, téléphone –, y étaient maintenus, relatant même que les opérations des yeux se seraient poursuivies comme si de rien n’était dans l’hôpital ophtalmologique dont le bâtiment a été non seulement déplacé, mais tourné à 90° pour venir en façade sur une rue adjacente.
Album statistique illustré
Cette même année 1938 paraît, aux éditions Izostat (représentations statistiques) un grand album de forme carrée, de 34 cm x 34 cm, de 420 pages et tiré en 5 500 exemplaires. Son titre, Moscou en reconstruction. Album de photographies, de schémas topographiques et de diagrammes[38], semble le destiner à un public de spécialistes et ne laisse en rien deviner ses auteurs. Il faut aller à l’ours, placé à la fin, pour en découvrir les noms : les artistes Alexandre Rodtchenko et Varvara Stepanova, pour la maquette, le scénariste et écrivain Viktor Chklovksi, pour les textes. De grands noms de l’avant-garde artistique des années 1920 que, si l’on suivait la logique de la périodisation habituelle[39], l’on ne s’attendrait pas à retrouver en 1938 pour glorifier, en texte et en image, le plan « passéiste » de reconstruction de Moscou[40]. [ Voir Fig. 6 et 7 ]
D’une grande richesse et variété iconographique, l’ouvrage présente d’innovantes représentations statistiques en isotypes[41] et en axonométrie, des dessins colorés qui semblent tout droit sortis de livres pour enfants, des inserts de petits cahiers photographiques montrant la Moscou industrieuse et marchande d’avant[42], des fenêtres rondes à rabats qui dévoilent tantôt le réseau du métro sous l’ancienne ligne de tramway, tantôt un vieux marché grouillant sous le lisse bitume de la chaussée, de grands dépliés faisant surgir le tracé du futur canal Moskova-Volga, ou un intérieur qui aurait été qualifié de « petit-bourgeois » dans les années 1920, dévoilant, derrière la façade d’un immeuble moderne, une famille soviétique modèle réunie autour d’une table avec napperon, où un jeune pionnier renoue son foulard devant un miroir.
Jamais le Plan d’aménagement de la région parisienne de 1934, ni même le plan de Chicago de 1910, pourtant publié dans un luxueux ouvrage, n’ont bénéficié de tels supports et variété de diffusion. Mais c’est probablement le film Novaïa Moskva (Nouvelle Moscou), qui constitue l’objet de médiatisation le plus surprenant et unique du plan de 1935.
Nouvelle Moscou d’Alexandre Medvedkine
Tourné en 1938 par Alexandre Medvedkine, le concepteur du fameux Ciné-train en 1932[43], le film Nouvelle Moscou devait sortir sur les écrans en janvier 1939 mais est resté « sur étagère » jusqu’à sa redécouverte récente[44]. Les archives ne donnent pas vraiment de clés de lecture permettant de comprendre les raisons de l’interdiction de ce film, tout entier consacré à glorifier le Plan général de la reconstruction de Moscou de 1935 et son génial concepteur, Staline [ Voir Fig. 8 et 9 ] .
Le film met en scène un trio amoureux que réunit la préparation de la présentation publique du projet et de ses premières réalisations, présentation dont chacun est un acteur important. Le jeune ingénieur, Aliocha, est chargé par ses camarades d’apporter la maquette animée de Moscou qu’il a fabriquée avec eux loin de la capitale, dans les marais infestés de moustiques en Sibérie. Le peintre, Fedia, immortalise depuis un balcon les vues de l’ancienne Moscou en vue de les intégrer dans la projection animée qui oppose la Moscou d’avant et la Moscou du futur. L’héroïne du film Zoïa, commissaire de cette présentation publique qui, courtisée par le peintre Fedia, tombe amoureuse de l’ingénieur Aliocha qu’elle rencontre dans le train qui le mène de Sibérie à Moscou, symbolise l’attrait pour la vie du futur au détriment de celle du passé.
Le film assemble plusieurs matériaux, scènes filmées en décors naturels (rue, métro) et en studio, documents d’archives ou de journaux filmés montrant la démolition des bâtiments et réalisations en cours, dessins, pour partie puisés dans les revues architecturales, pour partie réalisés pour les besoins du film.
Il s’ouvre sur la scène de réalisation d’une maquette animée et l’essai de son fonctionnement par les ingénieurs en proie à l’attaque de moustiques (Voir Fig. 7). Une grue en miniature attrape et enlève des bâtiments, dont une chapelle pour laisser émerger à sa place le nouveau bâtiment de l’hôtel Moscou, d’abord sous un échafaudage, puis révélé dans toute la splendeur de sa nouvelle façade. Aliocha, désigné pour apporter la maquette à Moscou, se voit accompagné par sa grand-mère en guise de chaperon, afin de s’assurer qu’il ne se fasse pas séduire par les beautés de la nouvelle capitale, sans se douter que ce n’est pas aux charmes de la nouvelle capitale qu’il succombera.
Au même moment, le peintre Fedia tente de saisir le paysage urbain de l’ancienne Moscou. Mais tout disparaît sous ses yeux : les bâtiments sont tantôt dynamités, tantôt déplacés. Pour les besoins du scénario, les bâtiments se déplacent le long d’une rue comme des trains, une manière sarcastique et absurde de réinterpréter le mode d’intervention commenté plus haut. Ainsi la grand-mère rend visite à sa sœur quand le bâtiment se met à bouger faisant défiler derrière sa fenêtre les façades de la rue Gorki. Les deux vieilles dames paniquées se précipitent vers la fenêtre en croyant que c’est Moscou qui s’en va, prennent le combiné du téléphone, qui fonctionne, jusqu’à ce qu’un technicien vienne les rassurer leur expliquant que ce sont bien les bâtiments et non la ville qui se déplacent. Ce qui fait dire à la grand-mère : « Moscou c’est devenu un meuble ou quoi ? »
Le jour de la présentation arrive. Aliocha est en retard et la projection démarre sans lui. Mais le film est mis à l’envers et, à la place de la nouvelle Moscou, c’est l’ancienne Moscou, avec ses izby (maisons paysannes en bois), ses chapelles, le temple du Christ Sauveur[45], dynamité en 1932 pour laisser la place au Palais des Soviets, qui renaissent des cendres, sous le regard du public hilare et de Zoïa paniquée. Aliocha arrive enfin, prend les commandes et le film repart dans le bon ordre. Zoïa peut alors dérouler son discours panégyrique, sur fonds de films montrant de nouvelles perspectives bordées de hautes et régulières façades, de nouveaux ponts jetés au-dessus de la Moskova, dont le lit a monté grâce au creusement du canal Moskova-Volga, mais aussi des vues dessinées de la future Moscou, avec la transformation radicale de ses berges, son métro et ses rues à plusieurs niveaux de croisement, projections qui font davantage penser aux villes américaines qu’à une ville socialiste modèle.
Aliocha n’a pas failli à son devoir de citoyen soviétique et retourne en Sibérie, en laissant derrière lui Zoïa. Durant son absence une nouvelle ville a été bâtie, avec ses kvartaly réguliers et ses vastes perspectives. Abandonnant les privilèges offerts par la capitale, dont la possibilité d’obtenir un logement individuel[46]. Zoïa le suit dans ces contrées éloignées, allant même jusqu’à arriver avant lui en s’y rendant par avion.
Et c’est sous le portrait de Staline que les deux amants réunis lèvent leur verre à sa gloire et entament la chanson sur laquelle ils se sont rencontrés dans le train :
« Quelle que soit la lointaine contrée où je me trouve et quel que soit l’endroit par lequel je passe, je vois ma chère capitale et entend la voix aimée. Le soleil de Moscou luit partout, partout ses rayons se propagent et ce n’est pas un hasard si en Espagne, la ville de Madrid chante les chansons moscovites. Moscou donne des ailes à chacun de nous et apprend à vivre et à travailler. Celui qui l’a visité ne serait-ce qu’une fois ne peut plus jamais l’oublier. Elle porte la force du peuple, Staline y habite et avec lui notre bonheur est visible, partout ses combats nous mènent de plus en plus loin. L’ennemi peut toujours rêver d’un nouveau cours sanglant, il ne passera jamais à travers notre capitale, à travers notre pays. »
Cette chanson resitue sans ambiguïté le contexte de militarisation croissante dans lequel est conçu et diffusé ce projet d’urbanisme, faisant apparaître le choix des grandes largeurs des voies et profondeurs de métro comme étant dictés autrement que par l’unique confort des habitants et le désir d’anticiper les bouchons.
Cette chanson a été composée par le poète et parolier Mikhail Issakovskiï, auteur de l’autrement plus célèbre Katioucha, écrite la même année 1938, et qui connut une diffusion hors frontières soviétiques qu’aucun plan d’urbanisme ne saurait concurrencer. Est-ce parce que les chansons voyagent et touchent plus facilement qu’un plan d’urbanisme ou aussi parce que sa Katioucha, ce diminutif affectif du prénom Ekaterina, donnera ensuite son nom au tout aussi célèbre et diffusé lance-roquette ?
En conclusion, un projet ou une diffusion exceptionnels?
Accentuation de la valeur centrifuge et du marquage physique des limites; retour à la grande composition urbaine; redimensionnement du réseau viaire et fluvial; conquête du sous-sol; spécialisation des espaces de promenade et de recréation… Malgré les grandes annonces de son caractère exceptionnel, le plan de 1935 pourrait sembler n’être qu’un rattrapage tardif et amplifié des projets d’aménagement du XIXe siècle, réactualisé par les innovations technologiques du début du XXe. Devenu à son tour un modèle pour les autres villes de l’URSS, puis de l’ancien bloc de l’Est, ce plan a-t-il des spécificités que les nombreuses sources auxquelles il a puisé ne posséderaient pas? Ne résident-elles pas avant tout dans la structure centralisée de la conception et de la gestion architecturale et urbaine, ainsi que dans les facilités offertes par la nationalisation du sol? De fait, sans ce régime foncier, le choix, forcément très coûteux, d’élargissement des voies, avec ce que cela a signifié de destructions et de déplacements de bâtiments de valeur, n’aurait probablement pas pu aboutir. Quant à l’élément le plus identifiable du projet, les grands kvartaly, l’originalité se situe davantage dans leur hypertrophie que dans leur plan. Ce sont bien les dimensions de ces nouvelles unités bâties qui ont transformé la perception et la pratique de la ville. La réduction drastique du réseau viaire secondaire résultant de ces découpages, conjuguée au choix du schéma radio-concentrique, a engendré d’importants problèmes de circulation, à ce jour irrésolus. Ces kvartaly restent en même temps les ensembles de la période soviétique qui ont le mieux résisté au redécoupage parcellaire, consécutif au retour de la propriété foncière. En devenant des copropriétés, ces très grands îlots, jadis ouverts, se sont refermés, n’offrant plus l’usage de leurs squares qu’aux habitants de leurs immeubles.
L’exceptionnelle stratégie communicationnelle déployée autour du plan de reconstruction de Moscou de 1935, que nous avons exposée dans cet article, avec sa diversité de supports de diffusion et de publics visés, a largement contribué à forger une image d’un projet abouti, en décalage avec sa réalisation effective. La fermeture des kvartaly ne permet plus de mesurer l’envers du décor, la permanence du tissu historique derrière les façades monumentales, la dimension d’arrangement et de bricolage derrière le discours de maîtrise technique. En ce sens, le retour de la propriété privée, en mettant fin à la porosité du tissu, n’a fait qu’accentuer la vision de la ville depuis ses grandes artères et croisements, telle qu’imaginée dans les grandes vues aériennes des dessins et des films des années 1930.