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DOI

10.25580/IGP.2019.0004

Laurent Coudroy de Lille

Vous n’avez pas envie de dire qu’il y a deux Paris plutôt qu’un grand Paris ?

 

Alexandre Frondizi

Pourquoi essayer de penser cette agglomération comme une unité et non pas comme deux Paris ? C’est la nature du bâti, du réseau viaire, l’origine sociologique et résidentielle des spéculateurs et des propriétaires mais aussi, et surtout, des premiers habitants qui me permettent de dire que c’est un Paris au-delà de Paris. C’est-à-dire que ce sont des Parisiens d’origine ou d’adoption qui spéculent, qui bâtissent et qui vivent dans cet outre-octroi.

 

Laurent Coudroy de Lille

Ma question porte plutôt sur la nature des représentations de l’époque.

 

Alexandre Frondizi

Les représentations qui parlent de deux Paris datent moins de l’époque que de la fin du siècle. Les représentations de l’époque, on le voit dans l’adresse des propriétaires, présentent un seul Paris. J’ai trouvé peu de traces de ces représentations, mais je n’ai pas énormément cherché. J’ai travaillé sur la cartographie, qui est une forme de représentation, sur quelques journaux et j’ai l’impression qu’on essaye de se représenter l’ensemble de ces communes et du centre-ville dans une certaine unité mais il reste du travail sur ce point que je n’ai pas approfondi.

 

Florence Bourillon

Je pense que les réflexions sur les fortifications ont aussi conduit à un changement du discours puisqu’il s’agissait en localisant les murs des fortifications à la fois d’intégrer les agglomérations et de laisser des zones de culture pour nourrir la ville de Paris en cas de siège. C’est cette double analyse qui compte dans la réflexion lors de la période haussmannienne pour considérer les communes de la petite banlieue comme des parasites.

 

Alexandre Frondizi

Je pense qu’il y a plusieurs strates. Il y a une première représentation grand-parisienne de la capitale par les lotisseurs, dès les années 1820. Il y a une deuxième représentation qui unifie tous ces territoires pendant les années 1840. Victor Considérant parle de la « grande ville de Paris [qui] forme plusieurs villes sous une désignation collective », donc une aire urbaine à plusieurs centralités. La troisième strate est celle de Zola où, quand il doit choisir un quartier qui incarne l’âme populaire parisienne, il choisit un quartier de l’extra-muros.

 

Emmanuel Bellanger

Vous nous invitez à prendre au sérieux la question juridique, la question financière et la question foncière. Vous avez sous-entendu au début de votre intervention que le chercheur pouvait être en quelque sorte prisonnier des limites administratives, est-ce que vous pourriez un peu plus nous éclairer sur ce que vous décrivez comme un piège alors que je pense qu’au contraire les limites administratives posent un cadre qui n’est pas uniquement administratif. Derrière la souveraineté municipale il y a aussi un espace vécu de sociabilité.

Dans votre propos, vous avez aussi insisté sur l’importance des jeux d’acteurs que vous liez aux jeux de juridiction, et je vous suis tout à fait là-dessus. Et en même temps, dans vos acteurs on perçoit bien l’élu mais on voit moins la médiation préfectorale qui est extrêmement importante. Vous avez raison d’insister sur le cadre juridique mais est-ce qu’il ne vous piège pas un peu ? Le Grand Paris populaire que vous pointez on le voit assez peu, est-ce que vous pourriez nous éclairer un peu là-dessus ?

Et puis enfin dernier point, vous insistez sur la question intercommunale qui a fait l’objet d’une journée d’étude ici. Elle est important parce qu’elle relativise aussi ce qu’on entend par souveraineté municipale suburbaine. Cette souveraineté n’est pas toujours dans un rapport de conflit avec la ville centre ; il y aussi beaucoup de compromis, notamment autour du boulevard, vous l’avez évoqué à la fin.

 

Alexandre Frondizi

Quand je parle d’être prisonnier des limites administratives, c’est évidemment une provocation. Ce que je veux dire, c’est que les historiens du Paris contemporain qui travaillent sur la banlieue sont plutôt des vingtièmistes. En tout cas, ceux qui ont travaillé sur la banlieue au XIXe siècle ont fait des monographies communales qui ne sont pas articulées à l’histoire de Paris. Je plaide pour la possibilité de faire l’histoire de Paris en faisant l’histoire d’une de ces petites banlieues et de faire l’histoire de cette petite banlieue comme si c’était l’histoire de Paris. Il y a pour moi un jeu d’échelles constant entre l’échelle grand-parisienne et l’échelle locale. Ce jeu d’échelles me semble nécessaire parce que les acteurs réfléchissent et agissent à ces deux échelles.

Sur le cadre juridique, ce que je n’ai pas dit, c’est que la servitude a été abrogée en 1847. J’ai laissé de côté aujourd’hui ce qui était l’essentiel de ma thèse, à savoir chercher à comprendre pourquoi est né au XIXe siècle un grand Paris populaire. D’une part, la sociologie des acquéreurs de lots à bâtir montre des Parisiens venant des faubourgs populaires et pour la plupart artisans, notamment dans le bâtiment, et petits commerçants. Il n’y a que six à sept pourcent de rentiers et de propriétaires ! Acquérir un terrain est donc un moyen d’ascension sociale par la voie de la propriété. En dépouillant les archives des journées révolutionnaires de 1848, les archives des procès contre les inculpés d’insurrection ou les archives des décorés de février 1848, on voit qu’elles sont extrêmement riches sur la population qui loge dans ces quartiers et sur les mobilités de population parce que les sources remontent vraiment en amont dans l’histoire. Cela permet de suivre ces individus dans leurs mobilités sociales et dans leurs mobilités géographiques. C’est là aussi que je vois qu’il s’agit d’un Grand Paris parce qu’il y a des mouvements incessants de traversée du mur soit pour aller travailler soit pour déménager. Et ce ne sont pas seulement des mobilités centrifuges, il y a aussi des mobilités centripètes ; il y a un retour dans le centre-ville qui s’opère parfois.

Sur l’intercommunalité, il s’agit en effet dans ces conflits entre communes d’une recherche de compromis.

 

Nathalie Roseau

Comment est-ce que vous relisez les conditions qui ont présidé à l’édification de l’enceinte de Thiers en 1841 à la lumière de ces débats sur les servitudes, au-delà de l’argument militaire.

 

Alexandre Frondizi

Je pense que ce sera abordé après, mais j’insisterais sur l’emplacement de cette enceinte qui a pour objectif d’intégrer ces nouveaux quartiers. On reconnaît ainsi l’unicité de cette ville qui se développe des deux côtés du mur de l’octroi et qu’on estime que l’urbanisation de toute la zone entre deux murs ne se fera pas tout de suite.

 

Florence Bourillon

On retrouve bien dans les deux ensembles géographiques que l’on a envisagé cette présence des Parisiens alors que, dans Paris même, il y a encore beaucoup de place.

 

Emmanuel Bellanger

Ce pouvoir municipal qui passe aussi par des enjeux financiers, par la création d’octroi c’est aussi une question d’autonomie et de reconnaissance du pouvoir édilitaire. J’entends bien ce que tu dis sur la question de la centralité qui passe notamment par la place mais pour autant ensuite tu parles d’une promotion immobilière qui prend le relais du pouvoir municipal. Est-ce que tu pourrais nous éclairer sur la place de la puissance publique dans ces questions de remembrement, dans cette volonté d’ordonner ce territoire ?

 

Paul Lecat

En fait il y assez peu de trace d’intervention municipale après l’opération de la Réunion sur ces territoires. La commune de Charonne va se concentrer ensuite sur une autre opération jusqu’en 1859 et l’annexion suivra. Après l’annexion on a le sentiment que les pouvoirs publics se désintéressent de ce petit quartier qui était vraiment le lieu de centralité pour la commune de Charonne mais qui ne représente qu’une partie mineure du nouveau 20e arrondissement. Ils vont se concentrer sur la rue des Pyrénées et la place Gambetta. On retrouve très peu de traces d’action publique sur ce territoire et on a vraiment l’impression qu’il est laissé à la promotion immobilière pendant une dizaine d’années jusqu’en 1870 où la préfecture va percer la rue Alexandre Dumas entre la place de la Réunion et le centre de Paris.

 

Loïc Vadelorge

Sur le rapport entre constructions et voirie. Si on met de côté la rue de la Réunion qui est une création, il me semblait qu’on trouvait un mouvement de construction autour d’une voirie qui se structurait à ce moment-là mais qui était de nature privée, une voirie de lotissement, et qui, ensuite, passait dans l’espace public. Vous n’avez pas évoqué ce sujet. Est-ce que ça existe toujours à cette période-là notamment par rapport au processus de faubourisation.

Puisqu’on travaille aussi sur les valeurs foncières, est-ce qu’il y a possibilité de voir comment, avec les ventes, cette valeur foncière évolue selon les zones dans le quartier.

 

Paul Lecat

Oui on peut comparer et j’ai des sources autour des mutations foncières. Elles augmentent fortement d’une façon qui me semble assez uniforme, peut-être à l’exception des maisons d’impasses de la cité des singes qui restent à des prix assez bas. Je n’ai pas encore beaucoup travaillé là-dessus et il faudrait comparer avec d’autres espaces urbains parisiens pour avoir une vision plus précise sur ces questions.

Sur les voies privées, ça concerne l’ensemble des impasses et des passages et ils ne seront repris par la ville de Paris que très tardivement. Elles restent privées jusque dans les années 1960. Donc une grande partie du tissu urbain du quartier de la Réunion s’ancre sur des voies privées. Les autres axes sont des anciens chemins communaux comme la rue des Haies, la rue des Vignoles… tout au long de la période 1870 1890 on viabilise ces voies souvent par le biais de pétitions.

 

Loïc Vadelorge

Je me permets d’aller plus loin parce que ce n’est pas une petite question malgré tout. Avec la percée de la rue de la Réunion on a un geste d’urbanisme qui ne relève pas de la fabrique ordinaire de la ville. Pour le reste du tissu urbain, la question de la capacité de gestion cette commune se pose une fois qu’elle est intégrée à Paris.

 

Paul Lecat

Il me semble que la commune de Charonne est incapable de gérer tout ça et elle n’essaye même pas, elle laisse la promotion immobilière privée faire ce travail d’autant que peu à peu elle se rend compte qu’elle va être annexée dans les années qui suivent. Ensuite la municipalité parisienne va surtout travailler en réponse à des mobilisations ponctuelles d’habitants. Même la percée de la rue Alexandre Dumas se fait suite à une pétition d’habitants qui réclament que le quartier soit relié au centre de Paris.

 

Alexandre Frondizi

Dans le cas de la Chapelle Montmartre la plupart des voies sont percées par des privés et ensuite sont municipalisées dès les années 1820. La commune reprend les alignements et les infrastructures mises en place par le privé.

J’aimerais savoir pourquoi il y a une absence d’urbanisation jusqu’aux années 1850 ?

 

Paul Lecat

Il est difficile de répondre mais on voit l’urbanisation est moins rapidement qu’à la Goutte-d’Or qui attire beaucoup plus de monde.

 

Corinne Jaquand

Ce qui me frappe en regardant le plan de ce secteur c’est que finalement on a des tracés très modestes. Je me demande pourquoi ce quartier n’a pas connu des formes urbaines plus globales comme on peut trouver dans le quartier des Batignolles ou de la rue du Commerce. Est-ce que c’est des questions de relief, de parcellaire… ?

 

Paul Lecat

Je ne saurais pas expliquer pourquoi si ce n’est que le Faubourg Saint-Antoine n’avait pas encore débordé.

 

Florence Bourillon

Il y a des réponses à cette question de la continuité du développement parisien de l’autre côté du mur dans les travaux de Gérard Jacquemet. .

 

Laurent Coudroy de Lille

Il faut dire aussi que la norme du développement urbain c’est d’être inégalitaire dissymétrique, opportuniste, chaotique…

 

Corinne Jaquand

Non pas forcement. On va trouver dans les communes de la petite couronne aussi bien des quartiers type villes nouvelles que des formes de faubourg.

 

Laurent Coudroy de Lille

Il faudrait comparer la sociologie parce qu’on n’a pas les mêmes activités économiques.

 

Florence Bourillon

L’activité de maraichage et de vignes est certainement extrêmement rentable ce qui a pu retarder le développement urbain.

 

Emmanuel Bellanger

Je m’interrogeais sur la socio-histoire. Tu nous dis que les propriétaires viennent du milieu rural mais qu’ils ont une vision urbaine et peut-être qu’en explorant la nature de cette vision urbaine tu pourras mieux répondre à toutes ces questions.

 

Laurent Coudroy de Lille

Est-ce qu’il y a des choses à chercher sur la politique de dénomination. La rue de la Réunion c’est un magnifique exemple puisqu’il s’agit de réunir différents territoires de cette commune et non pas de réunir à Paris. Est-ce que dans le choix des noms de rues il y a des délibérations intéressantes ?

 

Paul Lecat

On ne trouve pas les délibérations, les débats mais juste la décision de faire ces trois rues : de la Réunion, du centre et des écoles. Les autres voies sont restées telles quelles vec des noms issus du passé agricole. Et les impasses portent le nom des propriétaires. La rue Alexandre Dumas sera nommée par la ville de Paris et la rue Monte-Cristo vient d’une demande des habitants.