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L’élection d’Henri Sellier à Suresnes

par Jean Marie Maroille

Résumé

Après la première guerre mondiale une rupture politique intervient dans la conduite des affaires municipales de Suresnes, elle est en phase avec un changement, une nouvelle vision sociale de la gestion de la banlieue parisienne. Cette évolution est en contrepoint avec le résultat de la législative de novembre de la même année.

Cette campagne électorale coïncide à l’émergence de ce que l’on appellera le Socialisme Municipal.

Henri Sellier conduira l’action municipale à Suresnes pendant 22 années mais son action et son œuvre persistent dans la mémoire locale.

Rien ne peut mieux représenter le souvenir de Sellier dans l’inconscient des Suresnois que la Statue de Saulo, érigée dans le square de la mairie, portant la maxime :

« Il consacra vie à l’élévation de la condition humaine ».

Henri Sellier a laissé aussi aux Suresnois deux symboles d’architecture qui ont marqué l’urbanisme social : la cité-jardins et ce dont il était le plus fier, l’école de plein-air, dont le globe terrestre marque l’universalité de ses travaux.

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https://www.inventerlegrandparis.fr/link/?id=715

DOI

10.25580/IGP.2019.0036

Il est président de la Société d’Histoire de Suresnes


Français

Après la première guerre mondiale une rupture politique intervient dans la conduite des affaires municipales de Suresnes, elle est en phase avec un changement, une nouvelle vision sociale de la gestion de la banlieue parisienne. Cette évolution est en contrepoint avec le résultat de la législative de novembre de la même année.

Cette campagne électorale coïncide à l’émergence de ce que l’on appellera le Socialisme Municipal.

Henri Sellier conduira l’action municipale à Suresnes pendant 22 années mais son action et son œuvre persistent dans la mémoire locale.

Rien ne peut mieux représenter le souvenir de Sellier dans l’inconscient des Suresnois que la Statue de Saulo, érigée dans le square de la mairie, portant la maxime :

« Il consacra vie à l’élévation de la condition humaine ».

Henri Sellier a laissé aussi aux Suresnois deux symboles d’architecture qui ont marqué l’urbanisme social : la cité-jardins et ce dont il était le plus fier, l’école de plein-air, dont le globe terrestre marque l’universalité de ses travaux.


L’année 1919 voit l’élection d’Henri Sellier à la mairie de Suresnes. C’est un concours de circonstances, une rupture et un paradoxe. Pour comprendre les raisons de ce succès aux élections municipales et la durée exceptionnelle des mandats successifs qu’il exerça, il est utile de revenir brièvement sur le parcours de l’homme et de comprendre le contexte politique local des élections municipales à Suresnes.

 

Le parcours d’Henri Sellier

Sellier est un militant au parcours universitaire atypique. Depuis l’âge de quinze ans, Sellier, fils d’un contremaître à l’arsenal de Bourges, est adhérent au parti socialiste révolutionnaire. Il sort d’une école de commerce réputée et se tissera dans ces milieux privilégiés des élites un carnet d’adresse et surtout de solides amitiés. Sellier est germaniste. Il fera un stage en Allemagne dans la banque et complètera son cursus par une licence en droit. Il est polyglotte. Militant, il le restera toute sa jeunesse, et sera aussi syndicaliste. En 1905, il se fait remarquer comme délégué à la Fédération nationale des employés et soutient la grève chez Dufayel. Il galvanise les ouvriers et défend leurs revendications. La même année, il participe au congrès de l’unité de la SFIO et arrive à Puteaux grâce au socialiste Lucien Voilin qui est berrichon comme lui et qui, s’étant fait renvoyer de l’arsenal de Bourges, est venu travailler à l’arsenal de cette commune suburbaine. Voilin devient membre de la municipalité de Puteaux (il sera maire de 1912 à 1925) et engage son compatriote Sellier à le rejoindre. Elu député, il cède sa place à Henri Sellier qui, entre temps, était devenu administrateur de la coopérative La revendication créée par le socialiste et ancien communard Benoît Malon. Ainsi Sellier, par un concours de circonstances, se retrouve conseiller général de la Seine pour le canton de Puteaux à la place de Voilin. Il ne reste cependant pas à Puteaux et vient s’installer à Suresnes.

 

Le contexte des élections municipales

Quel est le contexte des élections municipales à Suresnes en 1919 ? Des élus sont là depuis 1905, dirigé par le maire Victor Diederich. Autour de 1908, un certain nombre de bâtiments municipaux ont été construits : une école, un dispensaire, une passerelle. La statue de Zola est inaugurée. Diederich est anticlérical est aussi maladroit dans ses propos, de plus, il est entouré d’un certain nombre de notables qui ne plaisaient plus du tout aux nouveaux arrivants de Suresnes. Au moment des élections se produit une rupture, avec seulement deux listes en cours, la liste de Sellier avec quatorze ouvriers, six employés, deux horticulteurs, un artisan, un comptable et un ancien employé municipal et la liste d’union républicaine avec six ouvriers seulement, trois employés, un artisan, neuf cadres et puis surtout des professions libérales donc des notables. La liste de gauche, celle du parti socialiste menée par Sellier, s’avère très différente dans sa sociologie de la liste de droite qui représente les anciens. Le résultat est une élection à deux tours. Au premier tour Henri Sellier est le seul à être élu directement sur sa liste et sur la liste de droite on a neuf élus — mais aucun conseiller sortant n’est élu. Au deuxième tour, il reste dix-huit sièges à pourvoir. Sellier réussit à faire élire les dix-huit candidats socialistes restants alors que pour la liste de droite, l’union républicaine ne comprend aucun élu au second tour.

 

Le programme de Sellier

Les raisons du succès d’Henri Sellier se trouvent dans son programme. Seize pages quand la partie adverse ne présentait qu’un tract recto-verso. Dans ce programme de seize pages, un préambule fait référence aux valeurs : syndicalisme, organisation, coopérative. Le mot social ou socialisme revient trois fois dans la première page. Le but est d’améliorer le sort de la classe ouvrière. Les dégâts laissés par la guerre sont bien sûr évoqués. Ensuite, le programme devient un véritable plan scientifique. Il débute par une référence au cahier de doléances, il expose des principes et puis, comme dans un grand nombre de ses écrits, Sellier s’appuie sur l’histoire et la géographie qui conditionnent le développement des villes. Il fait aussi référence au déterminisme, aux sciences et note que « l’absence de règles conduit à la misère, à l’inconfort, à la difficulté de circuler ». Sellier s’attaque aussi aux monopoles qui font souffrir les administrés. Il utilise là aussi les statistiques, une science récente pour affirmer qu’il y a une corrélation entre les décès par tuberculose et la surpopulation dans les garnis. Pour parvenir à des résultats, selon lui, il faut unir les forces locales et régionales, développer l’hygiène, les sports… Les mots « assistance » et « solidarité » sont utilisés.

Le cœur du programme est appelé modestement « programme administratif » mais Sellier a déjà une vision régionale, départementale, il parle déjà de fusion de communes. Puis des initiatives dans le domaine municipal sont énumérées : la commune doit s’assurer d’un accroissement du foncier. Sellier ne fait pas de promesses pour les impôts, on ne peut pas créer des équipements publics sans argent mais il a déjà une idée forte : taxer les richesses acquises. C’est l’idée d’un impôt sur la plus-value qui ne verra le jour que bien plus tard. Pour les services publics, Sellier propose une réorganisation industrielle et commerciale très éloignée d’un socialisme dogmatique. Par la suite effectivement, le personnel municipal sera assimilé au personnel départemental pour les travaux communaux qui nécessitent des techniques modernes. Pour les services d’assurance et d’assistance, il propose une application plus large des lois, même si on reste quand même bien loin des soins gratuits généralisés. Pour l’application de l’hygiène, il propose un bureau d’hygiène. Et pour le ravitaillement, Sellier redevient coopérateur : il faut faire fonctionner les coopératives à la consommation, il faut revenir dans des circuits de provisionnement courts où on fait disparaître les bénéfices. Pour l’enseignement, il est nécessaire d’avoir une surveillance médicale, de créer des écoles de plein air et de promouvoir l’éducation physique. Enfin, pour les questions d’ordre local, Sellier fait intervenir tous les corps d’élus, annonçant le pragmatisme et la recherche de concorde qui marqueront tous ses mandats. Sellier termine ce programme par la harangue : « il n’y a que deux forces opposées en présence, la liste des travailleurs socialistes générateurs de progrès et le parti de la réaction générateur de désordre ».

 

Henri Sellier aujourd’hui

Que reste-t-il donc aujourd’hui de la mémoire de Sellier chez les Suresnois ? Son plus proche collaborateur parlait de socialisme municipal, il me semble plus juste de parler d’un socialisme pragmatique exercé sans ostracisme. Il reste cette statue de Maurice Saulo dans lequel on représente Sellier en homme fort enraciné à la fois dans la terre berrichone et dans la terre suresnoise, protecteur de la femme et de l’enfant. Il savait s’enflammer quand il s’agissait de l’hygiène et de l’urbanisme mais il était toujours protecteur. Cette statue avec cette devise « il consacra sa vie à l’élévation de la condition humaine » est vraiment applicable à la vie d’Henri Sellier. Enfin, il reste aussi deux éléments matériels : d’une part la Cité-jardins un élément indispensable au logement des classes ouvrières et d’autre part, ce dont il était le plus fier, l’école de plein-air que les progrès de la médecine ont fermée, fort heureusement, mais dont l’incurie administrative a malheureusement condamné le bâti en négligeant sa conservation. Fort heureusement, un symbole a été préservé par les efforts de la municipalité, le globe terrestre de l’Ecole de Plein Air, univers sans fin ayant fait rêver des milliers d’enfants et marquant l’universalité des travaux d’Henri Sellier.