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Le changement de paradigme de la planification urbaine dans la nouvelle Roumanie après la Grande Guerre

par Bogdan Suditu

Résumé

Le système de planification urbaine et territoriele de la Roumanie est fortement influencé par le système français depuis le milieu du XIXe siècle, en particulier après l’adoption du code civil napoléonien et du modèle administratif d’inspiration française. Après la Grande Guerre, finalisé en août 1919 pour la Roumanie, les techniciens et les hommes politiques ont coopéré étroitement pour résoudre les problèmes urgents liés au logement (location et construction) et au développement urbain. Le changement de la manière de planifier les villes, comme le propose la loi Cornudet, sera utile aux acteurs publics responsables du logement, de la planification et de l’aménagement de nouveaux quartiers et de la reconstruction urbaine, immédiatement après la guerre, qui sont à la recherche de nouvelles solutions legislatives et techniques pour le développement de l’espace urbain, autres que les « ouvertures de rues » classiques pratiquées jusque-là.

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DOI

10.25580/IGP.2019.0029

Il est maître de conférence à la Faculté de Géographie de l’Université de Bucarest, ayant des intérêts professionnelle sur la gouvernance et la planification urbaine et territoriale, les disparités socio-territoriales, politiques d’habitat etc. Cours enseignés: Analyse et la planification urbaine ; Politiques d’habitat et mobilités residentielles ; Politiques et stratégies du développement urbain et rural ; La Géographie du Bucarest (Faculté de Géographie, L’Université de Bucarest) ; Introduction en droit de l’urbanisme et aménagement du territoire (programme de master organisé en coopération entre l’Université de Bucarest, Faculté de Droit / Université d’Architecture et Urbanisme « Ion Mincu » Bucarest).  Sa thèse de doctorat a été menée à l’Université de Bucarest et à l’Université d’Angers (France). Il est ensuite devenu diplomate de l’Ecole Nationale d’Administration – ENA (France). Il a travaille aussi dans l’administration publique centrale en tant que coordinateur des services responsables en matière de politique d’habitat, d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Il a publié des articles et des ouvrages sur les politiques de logement et de logement social, la mobilité résidentielle urbaine et périurbaine à Bucarest, l’étalement urbain, les établissement informels etc. Depuis mars 2019 il est le coordinateur du projet d’élaboration de la Stratégie nationale sur la protection des monuments historiques (Ministère de la Culture et d’Identité Nationale – Roumanie). 


Français

Le système de planification urbaine et territoriele de la Roumanie est fortement influencé par le système français depuis le milieu du XIXe siècle, en particulier après l’adoption du code civil napoléonien et du modèle administratif d’inspiration française. Après la Grande Guerre, finalisé en août 1919 pour la Roumanie, les techniciens et les hommes politiques ont coopéré étroitement pour résoudre les problèmes urgents liés au logement (location et construction) et au développement urbain. Le changement de la manière de planifier les villes, comme le propose la loi Cornudet, sera utile aux acteurs publics responsables du logement, de la planification et de l’aménagement de nouveaux quartiers et de la reconstruction urbaine, immédiatement après la guerre, qui sont à la recherche de nouvelles solutions legislatives et techniques pour le développement de l’espace urbain, autres que les « ouvertures de rues » classiques pratiquées jusque-là.


Introduction

Pour expliquer le titre de cette communication, changement de paradigme, Il me faut faire une petite introduction historique. Après la première guerre mondiale, le territoire de la Roumanie se dédouble avec, du point de vue de la planification, un mélange entre des modèles anciens en Valachie et Moldavie du sud à l’est, alors que la partie de Transylvanie et Banat faisait partie de l’empire d’Autriche-Hongrie. En Roumanie, la fin de la première guerre mondiale n’est pas en novembre 1918 mais en mars-avril 1919 car Georges Clemenceau a demandé à l’armée roumaine de pousser jusqu’à Budapest pour en finir avec le bolchévisme.

 

Deux cultures de la planification

On se trouve donc dans une situation assez intéressante avec d’un côté deux cultures de planification, de gestion urbaine, de gouvernance territoriale entre une partie sud à la fois très influencée par la France et très balkanique et de l’autre côté la Transylvanie et le Banat d’influence autrichienne, très allemande aussi, avec des règlements précis et des morphologies urbaines qui rattachent cet espace à un ensemble qui va des Carpates au Rhin. C’est dans ce contexte que le paradigme de la planification s’est reconstruit. Bucarest, qui appartient à la partie sud, a gagné la guerre interne sur les questions politiques et idéologiques, et restera la capitale. Le sud du pays est donc en mesure d’imposer ses choix à l’autre partie.

Après 1918, on a donc reconstruit des législations et des modèles de planification et Bucarest a continué à regarder vers l’ouest, vers la France, plutôt que vers Vienne ou Berlin. Pavel Kisseleff (en russe Pavel Dmitrievitch Kisseliov), gouverneur russe entre 1829 et 1834, instaure l’usage de la langue française à la place du grec à partir de 1831 avec une volonté politique très forte, remplaçant 80% des mots techniques d’origine grecque ou slave par des mots français en 1880. Les boyards envoient leurs enfants faire des études en France et reviennent pour devenir politiciens et conduire le pays en copiant les nouveautés législatives françaises comme le code civil imité en 1864, la loi communale et beaucoup d’autres lois, par exemple la loi d’expropriation pour cause d’utilité publique en 1878. Beaucoup d’instruments et de règlement sont donc copiés de la France jusqu’au début de la première guerre mondiale. La Roumanie construit de même ses propres boulevards haussmanniens 20 ans après Paris.

 

Les modèles de la planification en Roumanie

Au moment de la Première Guerre mondiale le modèle de la cité jardin arrive de manière peu règlementée. Un boyard qui possédait un terrain dans le nord de Bucarest fait appel à deux architectes, un prussien pour établir le plan et un français pour établir le règlement architectural. Ce projet a une influence telle dans le pays que, trois ans plus tard, en 1915, la mairie de Bucarest établit son premier règlement technique sur les lotissements, parcs et parcelles. Pendant et après la guerre tout ce qui était développement urbain, logement ville et territoire est resté sous la pression politique et sociale du développement.

Au début du XXe siècle, on passe d’un type de planification centré sur les rues à petites parcelles à l’idée d’une planification de lotissements et de parcs reliés entre eux dans la ville. En 1906, l’architecte en chef de la ville, Cincinat Sfințescu, propose de faire la planification pour l’ensemble de la ville mais le projet n’avance guère parce qu’il n’a pas le soutien des politiques, ni celui des autres techniciens de la planification urbaine. Sfintescu a deux défauts à leurs yeux : il est ingénieur et il a fait ses études à Berlin, ce qui était très mal vu à l’époque. Dans cette période 1912, 1913, 1914, on développe une législation sur les logements bon marché et les grandes villes de Roumanie proposent des concours d’architecture pour faire des modèles techniques de logement. Au début, les architectes n’y participent pas car ils pensent qu’on ne peut pas concevoir des maisons avec des spécifications techniques. Le contexte est donc difficile avec cette bataille entre deux professions. En 1919, même sans soutien, Cincinat Sfințescu arrive à terminer le rapport, le premier plan général de « systématisation » (urbanisme) qui sera approuvé par le parlement et ensuite par la ville en 1921. Cette période est une période de contestation, une période de réflexion et de débats, parfois inutiles, mais les deux projets font débat dans la presse. On commence à parler d’une spécialisation des quartiers surtout dans les nouveaux quartiers autour des anciens centres-villes. La spécialisation est professionnelle mais elle se fait aussi sur les revenus. Dans le nord, on a des quartiers de villas et de chaque côté des logements bon marché. À l’ouest, une zone militaire et le palais du prince souverain Carol 1er, donc toujours une spécialisation fonctionnelle et sociale et des règlements techniques. La plupart de ces nouveaux terrains proposés à l’urbanisation sont occupés par des lotissements géométriques qui intègrent des questions architecturales et urbaines et des questions sociales.

Tout ce qui s’est passé après la Première Guerre mondiale dans la planification et dans la restructuration de la société s’est fait sous la pression du bolchevisme : lois sur la construction, sur l’assurance sociale, sur l’accès à l’habitat ont été changées très vite à partir de 1919, 1920. C’était une période très riche en législation et en résultats mais toujours avec la peur de la part de la classe dominante de voir la classe ouvrière demander une république bolchevique… ce qui arrivera finalement en 1945.

En 1921, les grandes entreprises sont obligées soit de construire elles-mêmes des logements ouvriers soit de payer les société de construction de logement bon marché pour leur construire des logements. Ce qui est intéressant c’est que la plupart de ces logements sont dans la zone péri-centrale de Bucarest et c’est aussi le cas dans d’autres villes. C’est une spécificité des années 1920, 1930. Et dans le processus de gentrification qui débute après 1999, ce sont des logements très recherchés qui atteignent des prix assez élevés car ce sont des maisonnettes avec un petit jardin dans des zones accessibles.

 

Le modèle français s’impose

En copiant le modèle français, ont été mis en place des règlements sur l’embellissement des stations balnéaire, mouvement assez important à cette époque. Entre les deux guerres mondiales, beaucoup d’étudiants roumains ont fait des études en France à l’Institut d’urbanisme de Paris. Deux d’entre eux deviendront très important : Constantin Mihaesco qui a soutient sa thèse en 1927 à Paris sur la plan de Buzău, et Alexandre Zamfiropol qui soutient sa thèse en 1928 sur une ville du pétrole, et deviendra l’architecte-urbaniste le plus important dans les années 1930, 1935. Pour arriver à l’idée de planification et de gestion territoriale, une loi de 1925 oblige les villes à adopter des plans d’urbanisme (« systématisation ») d‘ici 1929. En fait en 1929, seule quatre villes auront réussi à avoir un plan d’urbanisme. Dans les années 1930, plus de vingt-cinq villes y parviennent. Tous les plans d’urbanisme après 1925 ont un regard sur la zone suburbaine avec une coordination obligée, donc une perte d’autonomie administrative par les communes suburbaine. Ensuite, certains villages qui avaient une résonance balnéaire de récréation sont reliés administrativement aux grandes villes même s’ils sont à vingt-cinq ou trente kilomètres, ce qui fait qu’à partir de 1926, 1930 beaucoup de ces stations sont reliées à des villes par des chemins de fer.

À Bucarest, à partir de 1926 quand les communes environnantes sont devenues suburbaines, c‘est le tramway qui les a vraiment reliées à la ville. Les héritages de cela sont importants aujourd’hui, puisque le terminus des lignes représente le cœur de l’ancien village annexé. Après 1991, on observe une volonté très forte de revenir vers le système français sur le plan terminologique et législatif au moins sur un plan formel.