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Introduction. Un après-guerre politique et urbanistique

by Emmanuel Bellanger et Laurent Coudroy de Lille

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https://www.inventerlegrandparis.fr/link/?id=703

DOI

10.25580/IGP.2019.0021

Emmanuel Bellanger

Suresnes est une ville emblématique dans l’histoire des banlieues et du Grand Paris. Elle est incarnée par Henri Sellier figure incontournable de l’histoire urbaine, sociale et politique de l’entre-deux-guerres. Cette journée élaborée en partenariat avec le Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes en témoigne (MUS). Suresnes est associée au nom d’Henri Sellier, maire de cette commune de 1919 à 1941, animé d’une passion pour les villes et singulièrement pour la sienne. Henri Sellier est porté par une expérience édilitaire et un idéal militant, révolutionnaire et réformiste à la fois. Son parcours est caractérisé par une action publique et un projet intellectuel et politique majeur aux multiples déclinaisons : le logement social, les cités-jardins, l’hygiène sociale et la santé publique, la reconnaissance et l’aménagement du Grand Paris, l’intercommunalité, la professionnalisation des mairies, la coopération et l’Union internationale des villes, l’École des hautes études urbaines devenue l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris…[1].

Le programme de cette journée ne porte pas uniquement sur Henri Sellier dont l’évocation jalonnera la journée ; le programme a été conçu autour de l’année 1919 qui marque un moment d’accélération de l’histoire. L’année 1919 est une année d’espérances et d’épreuves, celle des lendemains de la Grande Guerre ; elle est marquée un changement profond social, politique, urbain, économique et générationnel.

La reconversion de l’économie de guerre et la vie politique s’inscrivent dans un contexte de montée en puissance du mouvement social et de nouvelles radicalités qui annoncent la scission du parti socialiste SFIO et de la CGT. Durant la guerre et dans l’immédiat après-guerre, la ville est un laboratoire de nouvelles expérimentations politiques qui prolongent et renouvellent le socialisme municipal des années 1880-1900. Dans les communes du Grand Paris, les élections municipales de 1919 ont pour mot d’ordre le renversement des notables, ces républicains radicaux qui exerçaient jusqu’ici leur hégémonie politique sur les territoires municipaux suburbains. Plus que par le passé, l’émergence et l’enracinement d’une banlieue rouge font de la pacification de ce territoire un enjeu politique et institutionnel qui donne naissance à de nouveaux outils d’administration, de contrôle et de planification des communes. Ainsi, en 1919, la première grève du personnel communal, qui paralyse les services publics de la banlieue parisienne, donne lieu à l’adoption de la première loi statutaire de reconnaissance et de stabilisation du personnel des mairies urbaines. L’adoption de la loi Cornudet sur les plans d’aménagement, d’extension et d’embellissement des villes s’inscrit également dans ce contexte de mise en ordre des territoires. La planification, placée sous le contrôle des services préfectoraux de l’Extension de Paris, est pensée à l’échelle des villes de plus de dix mille habitants et des 78 communes de la Seine banlieue formant avec la capitale le Grand Paris.

Le changement politique est aussi un changement urbain marqué par les enjeux de reconstruction des régions dévastées et, à Paris, par ceux de l’aménagement et de la requalification de la zone et de ses fortifications. L’extension de Paris donne lieu au lancement en 1919 d’un concours international d’architecture au moment où la reconnaissance académique d’une nouvelle discipline, l’urbanisme, est consacrée par la création, la même année, de l’École des hautes études urbaines (EHEU), bientôt rebaptisée Institut d’urbanisme de l’Université de Paris (IUUP), à laquelle est associée une section de perfectionnement aux métiers des mairies, devenue l’École nationale d’administration municipale (ENAM).

L’année 1919, nous l’avons dit, est l’année du changement politique ; elle est aussi l’année du changement d’échelle. La fabrique de la ville n’est plus pensée uniquement à l’échelle communale ; à Paris, la bonne échelle est celle du département de Seine, siège d’une capitale d’Empire et d’une métropole internationale. Ce passage de l’échelle municipale à l’échelle métropolitaine se caractérise par la constitution et l’extension, au-delà de Paris, de grands réseaux techniques et de grandes intercommunalités, parmi les plus importantes d’Europe, qui confortent le poids démographique et politique du Grand Paris.

L’année 1919 est enfin l’année d’un changement générationnel et sociologique porté par une démocratisation de l’accès aux fonctions édilitaires et administratives. À la faveur de l’avènement du communisme municipal embryonnaire au sortir de la Grande Guerre, une nouvelle génération de militants entre en politique et se lance à la conquête des municipalités, des intercommunalités suburbaines et du conseil générale du département de la Seine (l’assemblée délibérative du Grand Paris) en vue de devenir des élus bâtisseurs et de véritables administrateurs.

 

Laurent Coudroy de Lille

1919 est donc d’abord un après-guerre, et nous en célébrons le centenaire. Nous avons cependant souhaité nous départir d’une approche simplement commémorative, déjà abondamment nourrie pendant quatre ans par les commémorations de la Grande guerre, en insistant sur le contexte, condition nécessaire à l’orientation scientifique de cette journée et de notre séminaire. L’année 1919 peut-elle être considérée comme un basculement ? La marque de la guerre lui donne tout d’abord une inscription très forte dans une histoire plus générale. Cette histoire est évidemment européenne, voire mondiale : nous avons souhaité enrichir notre champ de vision en direction d’autres pays, donc d’autres villes : l’Allemagne -et il est important d’envisager une histoire franco-allemande des villes et de l’urbanisme- la Roumanie (qui se refonde au début du XXème siècle) et l’Espagne demeurée à l’écart du conflit, mais qui entre davantage qu’on ne le pense dans les conjonctures urbaines globales du moment.

Notre groupe de travail, Inventer le Grand Paris, travaille depuis quelques années à resituer les moments de la métropole parisienne dans des temporalités plus longues. C’est aussi dans le moment -ou la période- que nous allons aborder aujourd’hui que commencent à se constituer les discours et les institutions de l’urbanisme, en France mais pas seulement. La loi Cornudet, première en France à instrumenter la planification urbaine, est votée au printemps 1919.

L’idée nous est venue de suivre le fil de cette année si spéciale, puisque c’est en été qu’est lancé le concours sur le plan d’extension de Paris, et en automne que se fait l’ouverture de l’École des hautes études urbaines. Enfin, en décembre, les élections municipales conduisent Henri Sellier et d’autres aux commandes de la vie municipale. Nous avons donc organisé le programme de notre journée, autour d’un jeu de « quatre saisons » de l’urbanisme qui illustrent assez bien cette conjoncture.

Ce petit dispositif qui fournit le déroulé de notre journée invite ainsi à pousser la réflexion sur la succession dans le court terme de faits tenus par des calendriers contraints (calendriers électoral, parlementaire ou universitaire…), mais aussi liés entre eux, puisqu’ils ont un lien fort avec les villes et leur urbanisme. Ces quatre saisons de 1919 nous placent dans ce rapport entre temps court ou temps plus longs, qui fait que l’on peut parler d’un après-guerre urbain et urbanistique. A cela, il faut ajouter que les acteurs de l’époque évoquent à la fois le temps qu’ils sont en train de vivre -la sortie de guerre avec en toile de fond le Congrès de Versailles- mais aussi d’autres temporalités : le temps regretté, et peut-être à retrouver de l’avant-guerre (la reconstruction ou reconstitution)… enfin les temps terribles de la guerre qui peuvent sembler avoir été un temps suspendu, et on remarque parfois que certains débats qui avaient été entamés avant-guerre ressurgissent dans l’après-guerre… Mais si tel est la cas ils sont évidemment transformés. Temps d’anticipation enfin, puisque la sortie de guerre autorise de nouvelles projections dans l’avenir, ce dont les visions de l’urbanisme font évidemment partie.

L’année 1919 est donc chargée… tout comme notre programme. Nous devons préciser que, selon les habitudes du séminaire IGP, il n’y a pas eu d’appel à communication ouvert. Nous avons préféré solliciter des chercheurs qui travaillent sur telle ou telle question, à partir des pistes qui viennent d’être mentionnées. Nous voudrions les remercier d’être entrés avec pertinence dans cette demande précise.

Il n’en demeure pas moins que nous avons pu organiser cette journée selon des modalités plus amples que d’habitude… et pour cela nous devons remercier la Ville et le Musée de Suresnes qui l’ont rendue possible. Vous savez à quel point notre groupe de recherche estime l’entreprise menée à travers ce musée. Au-delà des éléments historiques sur lesquels elle repose, c’est un engagement en matière de politique culturelle dans lequel nous, universitaires, n’avons pas de mal à nous retrouver. Vous nous faites ainsi sortir du cénacle universitaire, et plus encore par la visite à la cité jardin-jardin en fin de journée ou par celle de l’exposition « une certaine idée du bonheur » sur les cités-jardins, en début d’après-midi.

Figures et illustrations

Figure 1 :

Portrait d’Henri Sellier, conseiller général de la Seine, en 1911.
© DR, dessin extrait de Le Conseil municipal. Nos édiles. Annuaire illustré municipal et administratif de la Ville de Paris et du département de la Seine, 1908-1912.

Figure 2 :

Elections municipales 1919 : la première vague rouge en banlieue parisienne.
© Emmanuel Bellanger

Figure 3 :

Anticommunisme et peur du bolchévisme.
© Archives départementales du Val-de-Marne, côte 71J69, brochure de propagande du Groupement économique des arrondissements de Sceaux et Saint-Denis, 1919.

Figure 4 :

Célébration de la victoire socialiste en banlieue parisienne le 1er février 1920 à Saint-Denis
Rassemblement devant l’hôtel de ville.
Parmi les 24 maires socialistes élus en décembre 1919 figure Henri Sellier premier magistrat de Suresnes de 1919 à 1941.
© Archives municipales de Saint-Denis, affiche et photographie de la manifestation devant la mairie de Saint-Denis, 1920.

Figure 5 :

Célébration de la victoire socialiste en banlieue parisienne le 1er février 1920 à Saint-Denis
Rassemblement devant l’hôtel de ville.
Parmi les 24 maires socialistes élus en décembre 1919 figure Henri Sellier premier magistrat de Suresnes de 1919 à 1941.
© Archives municipales de Saint-Denis, affiche et photographie de la manifestation devant la mairie de Saint-Denis, 1920.