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Quand Paris dominait ses campagnes

par Robert Muchembled

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Robert Muchembled est historien. Il a soutenu en 1985 une thèse d’État : Violence et société, comportement et société en Artois de 1400 à 1660. Il reste aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes français de l’histoire de la violence sur la longue durée et de l’histoire de la régulation de cette violence, ce qui l’a amené au début du XXIesiècle à prendre position sur les émeutes urbaines de 2005 et sur la violence dans les banlieues. Il a commencé sa carrière à Lille avant de devenir, en 1986, professeur d’histoire moderne à l’université de Paris 13, dont il est aujourd’hui professeur émérite. Parallèlement il a engagé une carrière internationale à Ann Arbor à l’université du Michigan et à l’Institute for Advanced Study de Princeton. Son œuvre écrite est considérable, ce qui en fait l’un des plus grands historiens français d’aujourd’hui avec une trentaine d’ouvrages traduits dans des dizaines de langues. Cette œuvre s’inscrit dans le prolongement des travaux ouverts dans les années 1950-60 par Robert Mandrou sur l’histoire des mentalités, mais aussi par ceux de Norbert Elias sur la civilisation des mœurs. C’est une histoire sociale qui participe aussi de ce qu’on a appelé dans les années 1980 l’histoire culturelle dont, incontestablement, l’époque moderne a été le plus beau fleuron. Parallèlement à la problématique de la violence, Robert Muchembled a développé celle de la culture populaire paysanne à la fin des années 1970, celle de la sorcellerie et du diable dans les années 1980-90, puis celle d’une histoire des femmes et de la sexualité dans les années 2000, avant de se tourner plus récemment vers l’étude de l’odorat ; il prépare un essai sur la séduction, passion française. Outre ses travaux de recherche c’est aussi un historien qui consacre beaucoup de temps à la publication de synthèses universitaires voire de synthèses pour le grand public. La frontière entre les deux est assez mince comme le montre L’Histoire du Grand Paris, un livre qui peut être lu par différents types de lecteurs. Il a été enseignant pendant toute sa carrière et il a dirigé un très grand nombre de mémoires de maîtrise et de master sur lesquels s’appuie explicitement (puisqu’ils sont tous mentionnés) cette synthèse sur le Grand Paris.


Contexte

Le livre Histoire du Grand Paris est issu du désarroi d’un professeur qui, en 1986, a perdu ses repères archivistiques en quittant Lille pour Paris et s’est ainsi trouvé totalement démuni en face d’étudiants qu’il n’avait pas formés et auxquels il ne savait pas quoi proposer. À l’époque, les historiens modernistes s’intéressaient aux archives des notaires, ce que je n’avais pas fait jusque-là. Mais en me lançant dans la région parisienne et plus particulièrement dans le Val-d’Oise et la Seine Saint-Denis, d’où venaient mes étudiants, pour essayer de leur trouver des sujets de recherche, je me suis dit que le plus simple était de les faire travailler sur les inventaires après décès, des documents notariés socio-économiques. Je suis un historien formé par l’économie. Je n’apprécie guère l’économie, mais toute ma formation a été économique, parce qu’à cette époque il n’y avait que cela. J’ai parcouru les campagnes parisiennes de la fin du Moyen Âge avec Guy Fourquin et j’ai écouté les leçons au Collège de France de Fernand, Braudel qui était un économiste. Et je me suis dit que puisque je n’aimais pas l’économie j’allais tirer de ces documents économiques des choses culturelles et sociales. Mais l’économie vous retrouve toujours.

L’histoire du Grand Paris est en fait l’histoire d’un rapport de force socio-économique et je pense que c’est toujours le cas. Le politique n’est que l’écume des choses. C’est ce que Fernand Braudel appelait « la troisième dimension historique », le temps court.

 

Paris et son contado

Le contado est une notion forgée à propos des villes italiennes de la Renaissance, qui dominaient brutalement une zone assez large autour d’elles, composée de villages, d’autres petites villes et de cités sujettes. C’était une sorte de colonisation, qui prenait une forme de guerre larvée, et se transformait ensuite en système économique.

Comme le disent certains géographes, von Thünen par exemple, à propos des cercles concentriques économiques qui entourent une grande ville, cette dernière a besoin de dominer pour s’approvisionner ; c’est le contado. Pour faire cela, elle doit avoir une emprise territoriale très puissante, surtout à l’époque moderne, c’est pourquoi Paris colonise brutalement ses environs.

Les limites de la région parisienne sont complexes à définir. Toute la France peut constituer le contado de Paris pour certaines choses, mais il y a quand même quelques grands cercles successifs. Le centre des cercles, la capitale à l’époque, correspond à peu près aux douze premiers arrondissements parisiens actuels. La ville est relativement petite, elle est très densément peuplée, à tel point qu’on y construit en hauteur, ce qui est alors une exception en France. À proximité du centre, le premier cercle de Thünen, est celui des cultures maraîchères, très proches de la capitale. Ensuite, on trouve une zone de viticulture, qui entoure Paris. On produit énormément de vin, pour la boisson parisienne, mais aussi comme vin de messe. Au-delà, on a le cercle des grandes plaines céréalières. Mais la caractéristique principale du système de contado est que toute la production réalisée autour de Paris est orientée vers le marché parisien, parfois à l’opposé de tout bon sens. Par exemple, sur les terres de la plaine de France, qui sont les plus riches du pays, on cesse de faire de la céréaliculture pour produire de la dentelle pour les nobles et les bourgeois parisiens : il y a 1 900 dentelliers au XVIIsiècle à Villiers-le-Bel. Plus près de Paris, Montreuil abandonne totalement la polyculture vivrière pour produire des pêches en espaliers. La vallée de Montmorency fait des cerises, fruits qui se vendent très cher sur les marchés parisiens. Ce sont des plus-values extraordinaires. Pour cette raison, on peut dire que l’effet de Paris est vraiment un effet de colonisation. Le métabolisme parisien arrive jusque-là et les gens n’ont pas le choix. Il y a ainsi une spécialisation qui se développe à tel point qu’on est obligé d’édicter des interdictions pour empêcher les marchands parisiens de piller trop directement la contrée. Il y a, par exemple, ce qu’on appelle la zone des grains en 1567 : un périmètre de protection déterminé par édit qui interdit aux marchands de grains parisiens de s’approvisionner à moins de 8 à 10 lieues du centre de la ville. Cet édit est nécessaire pour contrer la pratique courante d’amener tout le grain à Paris et de le stocker, en attendant que le cours augmente, pour le vendre ensuite très cher sur les marchés parisiens, ce qui provoque des émeutes frumentaires.

Paris utilise aussi la région autour d’elle grâce à un quatrième cercle encore plus éloigné : celui du nourrissage. Les enfants sont mis en nourrice dans les campagnes pendant deux ou trois ans juste après leur naissance, avec une mortalité infantile qui monte à 90% — contre 50% en moyenne à l’époque. C’est une habitude parisienne systématique, qui est aussi une manière feutrée de se débarrasser des enfants excédentaires et elle ne concerne pas seulement les riches. Ces derniers ont les moyens de se payer des nourrices dans les campagnes immédiates, où les tarifs sont les plus chers, tandis que les plus pauvres doivent aller chercher plus loin, parfois même jusqu’en Picardie ou en Normandie.

 

Le mythe égalitaire

Le très long terme historique est toujours présent en parallèle, notamment à travers un mythe de l’égalité qui n’est pas suivi de réalités économiques. Un mythe égalitaire qu’on retrouve aujourd’hui en Amérique. Les États-Unis sont construits sur un mythe égalitaire, comme le lieu où tout le monde peut réussir. C’est formidable ! Les pauvres affluent en masse, croyant qu’en vendant des hamburgers on peut devenir un richissime homme d’affaires. Cette Amérique-là se retrouve dans le Paris de l’époque moderne, et peut-être aussi de l’époque contemporaine. Je me réfère à un mythe de l’égalité : chacun est égal devant la loi, mais en réalité cette égalité théorique produit de l’inégalité. La chose est très bien illustrée par la coutume parisienne des temps modernes, qui pose un très gros problème. Il s’agit d’un égalitarisme niveleur : à la différence de beaucoup d’autres coutumes françaises, en particulier de celles du sud du royaume ou des coutumes nobiliaires, qui réservent l’essentiel de la succession à un héritier privilégié à travers le droit d’aînesse, la coutume parisienne veut servir tout le monde, y compris les filles, ce qui conduit à un émiettement du parcellaire et peut transformer une famille riche en famille pauvre en quelques générations. Par exemple, au XVIIIsiècle la région parisienne est la plus grande productrice de vin en France. Mais quelle est la réalité ? Le parcellaire est émietté au maximum, en toutes petites lanières, si bien qu’on a essentiellement des tout petits producteurs locaux, à la merci des acheteurs parisiens.

Ce principe a particulièrement appauvri les paysans d’Île-de-France, qui sont moins nombreux que les citadins. Vers 1700, il y a environ 500 000 Parisiens et 211 000 paysans dans les campagnes, contrairement au cas français ordinaire, où l’on compte généralement 80% de paysans pour 20% de citadins. Pourquoi cette exception parisienne ? Mes maîtres économistes Fourquin, Jacquard, et d’autres, expliquent que les campagnes parisiennes se portent très bien pendant le beau XVIsiècle, c’est-à-dire jusqu’aux années 1560. Tout va bien pour les paysans locaux. Ils subissent moins durement la tutelle parisienne et ils vivent au large, sans pression démographique excessive, parce que les campagnes de la contrée étaient dépeuplées à la fin de la guerre de Cent Ans, suite aux épidémies, aux massacres, aux ravages de troupes, etc. Deux ou trois générations ont ainsi profité d’une très bonne situation. Il y avait de la terre et de la place pour tout le monde, il y avait de bons rendements, on vivait bien. C’est ce qu’on a appelé le beau XVIsiècle. À partir des années 1560, les choses se gâtent, non seulement à cause des guerres de Religion, mais surtout suite au développement des épidémies de peste, dont celle de 1580-82 dans la capitale, associée à une énorme crise frumentaire. Les grandes famines reviennent régulièrement tous les trente ans, 1630, 1660, 1690, 1709, 1738. On meurt de faim dans les campagnes parisiennes durant les « années de misère », explique Marcel Lachiver. Pourquoi ? Parce que la structure des campagnes est devenue celle d’une société à deux vitesses.

Toute une série de phénomènes font de la région parisienne une énorme zone lucrative, non seulement pour l’État, mais aussi pour les entreprises de transport. Car il faut transporter le grain et l’or pour le payer, ainsi que tous les produits et animaux nécessaires à l’alimentation du Gargantua parisien. Le contado parisien constitue en lui-même une zone à deux vitesses où certains ruraux (les plus nombreux) s’appauvrissent pendant que de rares autres (coqs de village, censiers ou gros fermiers) s’enrichissent. Les riches ne cessent de s’enrichir en rachetant les parcelles des petits qui sont trop pauvres pour survivre sur une terre dont ils ont hérité d’un père qui a eu trop d’enfants. Avec trois ou quatre héritiers, c’est la ruine assurée en deux générations. Les jeunes hommes peuvent certes devenir journaliers, manouvriers, mais le métier ne paye plus beaucoup dans les zones hyperspécialisées. Beaucoup tentent leur chance dans la capitale, jeunes mâles sans héritage ni spécialisation, qui louent leurs bras pour survivre. En réalité, s’ils ne meurent pas rapidement, ils deviennent souvent bandits et sont rapidement éliminés par la très efficace police parisienne au XVIIIsiècle, car le mot d’ordre des autorités est d’empêcher les bandes organisées de s’établir dans la gigantesque capitale. Des dizaines de milliers de jeunes filles paysannes quittent également les campagnes pour aller se brûler aux mirages de la ville et devenir servantes. Elles versent souvent rapidement dans la prostitution, après s’être retrouvées sur le pavé parisien, où les attendent des recruteurs d’un réseau très perfectionné de maquerellesqui dirigent des bordels publics surveillés et tolérés par la police.

Le système socio-économique parisien dont je vous parle a laissé de grandes traces à cause de sa pérennité. Je ne sais pas quand il a vraiment disparu, mais probablement pas avant le milieu du XIXsiècle, parce qu’il est basé sur la démographie paysanne d’Ancien Régime, laquelle évolue très lentement. Profondément modelée par le mariage tardif entre soi (endogamie et homogamie), celle-ci a fonctionné pendant quatre siècles sans montée très importante de population. Les premiers grands brassages humains, à partir de la première guerre mondiale, entraîneront de grands changements structurels.

Cela donne lieu finalement à une région parisienne qui est réellement à deux vitesses : d’un côté le monde de l’enrichissement, c’est-à-dire le monde de ceux qui donnent du travail dans le contado, mais aussi celui de l’État, qui ne coïncide pas toujours avec la richesse, ainsi que celui de la noblesse de robe, sans oublier la minorité paysanne très fortunée ; et de l’autre côté, une masse rurale extrêmement paupérisée. Les inventaires après décès villageois montrent un clivage extraordinaire entre une immense prospérité inconnue ailleurs en France et une masse miséreuse : l’ampleur de la différence des biens inventoriés dans une communauté moyenne de 1 000 habitants peut aller de 20 livres à 10 000 livres. Une situation qui rappelle, toutes proportions gardées, les résultats actuels du capitalisme sauvage américain.

 

Un échec dans la réussite

Le grand problème de la ville de Paris, je crois, c’est qu’elle a été pendant des siècles en concurrence avec l’État, qui siégeait dans l’Île de la Cité, avec le palais, les instances judiciaires et tout le decorum royal. Or, l’essentiel dans les rapports humains ce sont les rapports de force. Ils peuvent prendre des formes politiques et militaires mais aussi, le plus souvent, des formes économiques. Le problème de Paris par la suite a été de jouer un rôle économique différent de ce que l’État souhaitait lui faire endosser. Et en fait, à mon avis, c’est un peu l’histoire d’un échec dans la réussite, car Paris est une réussite sur de nombreux points. C’est de très loin la plus grande ville française. Au début du XVIsiècle, Paris, première ville d’Europe, a environ 300 000 habitants quand le royaume compte 16 millions de sujets. En 1789, avec un peu plus de 600 000 habitants dans une France d’environ 30 millions de personnes, elle n’est plus que la seconde cité du continent, dépassée depuis la fin du XVIIsiècle par Londres. Apparaît-là ce que l’on peut appeler le drame existentiel de Paris. C’est la plus importante métropole européenne, probablement aussi du monde, pendant au moins deux siècles (XVIet XVIIsiècles). Gigantesque corps dans un pays où aucune autre ville n’a cette ampleur, elle maintient durement cet avantage en étouffant la concurrence urbaine dans toute sa zone de forte influence : il n’existe aucune grande agglomération dans la région parisienne à l’époque moderne. Les deux seules entités qualifiées de villes sont Pontoise et Saint-Denis, dont la population est sans commune mesure avec celle de Paris : Saint-Denis, nécropole royale,  compte 4 000 habitants et constitue un satellite de la capitale, où les Parisiens vont boire le dimanche, parce que le vin est moins taxé que chez eux, et où les boulangers de Gonesse font étape en allant vendre leur pain blanc dans la capitale.

Quel est donc le grand problème de Paris ? Revenir à Braudel permet de le poser. Il raisonne en ville-économie monde, car, pour lui, il y a toujours une ville mondiale : Venise à la fin du Moyen Âge, Anvers au milieu du XVIsiècle, Gênes à la fin du XVIsiècle, Amsterdam au siècle d’or, c’est-à-dire durant les deux premiers tiers du XVIIsiècle, puis Londres. Jamais il ne cite Paris. Une analyse économique un peu rapide l’expliquerait par l’absence de banque à ces époques, à la différence d’Amsterdam et de Londres. Mais il faut aussi prendre en compte le fait que Paris n’a pas de débouché maritime direct et qu’elle dépend d’un État politique extrêmement puissant qui l’infantilise. Paris est donc un échec économique structurel dans la course à la suprématie mondiale. La capitale avait pourtant d’énormes chances : son site, sa puissance collective, sa mainmise sur les richesses d’un énorme contado, sa capacité d’étouffer impitoyablement toute concurrence urbaine dans son aire. Mais elle n’a pas réussi à alléger les puissances étatiques qui pesaient sur elle. On peut parler d’une méconnaissance par l’État de ses propres intérêts, car à force de brider le monstre parisien qui faisait peur, il a fini par l’étouffer. Gigantesque, grondant sans cesse, souvent révolté (au temps d’Étienne Marcel, durant la Ligue, la Fronde, la Révolution, la Commune), Paris inquiétait, comme une entité indomptable et incontrôlable. Ce qui a fait le jeu de Londres, sa seule grande rivale. Non seulement celle-ci lui a ravi la primauté sous Louis XIV, mais elle l’a ensuite privée des flots de richesse coloniale qui l’irriguaient et auraient pu lui permettre de soutenir la comparaison, en confisquant une grande partie de l’empire territorial français au traité de Paris en 1763.

Paris n’a jamais réussi à prendre une envergure mondiale dans le domaine économique, mais elle a su acquérir une primauté culturelle internationale. Pour y parvenir, il lui a initialement fallu conquérir le bastion de son assise, c’est-à-dire la large zone, autrefois totalement rurale, qui l’environne, et c’est le propos de ce livre.

 

Conclusion : Capitalisme, sécurité et modernité

Toute cette zone est poussée vers la modernité parce qu’on y trouve des idées nouvelles et une situation très en avance sur le reste du royaume.

Je crois que Paris a ainsi bâti son propre capitalisme, qui n’est pas le capitalisme commercial des autres villes mondiales dominantes. Il est peut-être l’ancêtre du capitalisme régulé français, parce que Paris était en même temps enserré et contraint par la puissance politique de l’État. C’est cependant un capitalisme impitoyable, qui ne craint pas d’appauvrir et d’affamer les gens et qui a éliminé tout ce qui était dangereux pour la suprématie de la capitale dans sa très large zone d’influence. Une grande auréole autour de Paris a par ailleurs bénéficié dès le XVIsiècle d’une sécurité renforcée, sous le contrôle de la maréchaussée, police militaire des chemins créée par François Ier. Au XVIIIsiècle, il n’y a plus de bandes armées dangereuses en région parisienne. Extrêmement puissante et efficace, la maréchaussée empêche que les campagnes parisiennes ne deviennent une zone de turbulences mais également une zone de grandes révoltes. La Jacquerie de 1358 est le dernier large mouvement rural qui les touche. Par la suite, elles sont habituées à obéir aux autorités, jusqu’à la Grande Peur de 1789, alors que les périphéries du royaume, plus réticentes face au pouvoir royal, connaissent d’inquiétantes séditions, surtout au XVIIe siècle, jusqu’à l’ultime du genre, celle des Bonnets Rouges de Bretagne en 1675. Cette situation pacifiée, directement liée à l’étroite tutelle étatique et au désarmement des populations appliqué par édits sous Louis XIII, a largement participé à l’extension de la puissance parisienne en facilitant les échanges économiques. Par ailleurs, la région parisienne ne connaît pratiquement pas de bûchers de sorcellerie. On n’en trouve guère dans cet univers où la culture paysanne a évolué beaucoup plus vite qu’ailleurs, suite notamment à une forte alphabétisation des villages franciliens, à la présence sur leur sol de nombreux médiateurs culturels (chirurgiens, notaires…), de bourgeois possédant une résidence campagnarde, de nobles qui y font bâtir des châteaux et donnent ainsi du travail à divers spécialistes. Sans oublier la lente percolation parmi les populations du sens du profit, ne serait-ce qu’en produisant un désir de réussir en échappant aux contraintes rurales classiques.

Tant il est vrai que l’économie, chassée par la porte, rentre par cette fenêtre culturelle…