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© S. Rouelle / Mairie de Paris-Comité d’histoire de la Ville de Paris

Introduction

Ce panorama historique est centré sur le XXe siècle et il ne se réduit pas au seul cas de la métropole parisienne. Pourquoi ces choix ? Le Grand Paris n’existe pas seulement depuis le siècle dernier. Dès le Moyen-Âge, Paris, comme les autres villes de son temps, vit en synergie avec son environnement rural et annexe périodiquement de nouveaux territoires. De même, la révolution industrielle au XIXe siècle relance régulièrement une réflexion sur les limites pertinentes de la capitale – à l’image de ce qui se passe alors dans les autres grandes agglomérations occidentales (New York, Londres, Berlin…). Mais de ce point de vue, l’annexion de la petite banlieue en 1860 forme moins une rupture qu’un des avatars de la récurrence des projets d’un plus grand Paris qui pourrait s’étendre aux limites du département de la Seine.

La spécificité du XXe siècle est de reposer la question des limites de Paris en la croisant avec les perspectives nouvelles offertes par le développement de l’urbanisme. Il ne s’agit pas seulement d’annexer des territoires urbanisés, mais de planifier le développement d’une agglomération-capitale. En d’autres termes, d’inventer le Grand Paris. Cet élan planificateur se nourrit autant du développement d’études de terrain toujours plus précises que de regards croisés sur les autres grandes métropoles contemporaines. Le cas parisien s’inscrit dans une première globalisation de la planification métropolitaine, soutenue par les législations nationales comme par les congrès internationaux d’architecture ou d’urbanisme. Il relève également de circulations transnationales dont les années 1920-1950 constituent l’apogée. C’est pourquoi ce panorama, qui s’organise autour de quatre « moments » de la planification du Grand Paris, offre sans cesse des mises en perspective internationales.

Cette scansion en quatre « moments », dont on comprend qu’elle n’empêche pas les perméabilités, vise à offrir des repères intellectuels s’appuyant sur des plans majeurs pour la région parisienne. Elle dessine une histoire qui se veut davantage ouverte que refermée sur ses savoirs accumulés depuis un siècle et dont la mise en perspective internationale ouvre ici un ensemble de questions pour l’avenir.

 

1911-1919

La publication en 1913 du rapport de la Commission d’extension de Paris sous la direction de Louis Bonnier, architecte-voyer, et de Marcel Poëte, archiviste-paléographe et directeur de la Bibliothèque historique, tous les deux également investis dans des cercles de réflexion comme le Musée social, inaugure, pour la première fois, la formulation d’un projet d’ensemble pour le Grand Paris. Le rapport prend place dans le contexte international de réflexion sur l’aménagement des villes et prépare le concours pour « l’extension de Paris et l’aménagement de la région parisienne », remporté en 1919 par Léon Jaussely.

 

1919-1944

Le déclassement des fortifications et l’annexion de la zone non aedificandi, relancent dans l’Entre-deux-Guerres, la planification cette fois-ci à l’échelle régionale de l’agglomération. En 1934 l’architecte Henri Prost et les services de la direction de l’extension de Paris achèvent, pour le compte du Comité supérieur d’aménagement de la Région parisienne (CSAORP) institué en 1928, le Plan d’aménagement de la région parisienne (PARP), premier document d’urbanisme officiel à afficher l’ambition d’organiser la croissance de la région capitale « et non de l’étendre davantage ». Opposable jusque dans les années 1960, le PARP explore des dispositifs innovants comme le zonage ou les « autostrades » et leur insertion paysagère. Avec la réalisation du Plan Prost, Paris participe d’un mouvement global de planification métropolitaine qui touche non seulement les grandes capitales (Amsterdam, Moscou, New York,…) mais aussi les mondes coloniaux et les villes « moyennes » ou « émergentes ».

 

1944-1960’s

La Seconde Guerre mondiale contribue à réactiver la planification urbaine (autour des problématiques de la reconstruction et de la modernisation) et accentue l’aspiration généralisée à une intervention plus forte des États. Le cas parisien ne bénéficie cependant pas totalement de cette conjoncture favorable à la planification régionale. De 1944 au début des années 1960, l’aménagement de l’agglomération semble en crise. L’État, absorbé par la politique d’aménagement du territoire au sortir de la guerre diffère l’attribution de moyens à la région parisienne au bénéfice de la province entre 1955 et 1966 (décentralisation industrielle, métropoles d’équilibre, communautés urbaines). En 1960, la publication du Plan d’organisation générale de la région parisienne (PADOG) témoigne d’une forme de schizophrénie des décideurs qui font le diagnostic des besoins d’aménagement régionaux tout en proclamant la nécessité de limiter la croissance de Paris.

C’est du renforcement de l’administration régionale (District de Paris en 1961, IAURP en 1960, AFTRP en 1962,…) qu’émerge la proposition d’une planification régionale à l’échelle de l’Île-de-France. Le plan Delouvrier (SDAURP) de 1965, non approuvé mais mis en application pour ce qui concerne les grandes infrastructures (RER, aéroports) et les villes nouvelles incarne à plusieurs titres une époque. Il est emblématique de la collusion entre aménageurs et productivisme économique et urbain. Planification et urbanisation deviennent des leviers économiques soutenus par un système public et para-public puissant. Pour se réaliser, il nécessite de renforcer les échanges anciens entre Paris et les métropoles mondiales. Voyages d’études et rapports sur les villes nouvelles se multiplient dans les années 1960, bien au-delà des modèles britanniques ou scandinaves. Les regards métropolitains se croisent au-delà du mur de Berlin. Enfin, levier d’un savoir-faire français, le SDAURP va très vite chercher à s’exporter (Amérique latine, Asie du Sud-Est, Proche-Orient). L’exemple parisien qui intéresse directement les grandes capitales européennes (Bruxelles, ..) est aussi étudié par la province, qui de Lyon à Bordeaux et de Rouen à Marseille produit des grands schémas d’aménagement des « aires métropolitaines ».

 

1970’s-2000

Les années 1970 ouvrent une période paradoxale. Si elles constituent un âge d’or de la planification métropolitaine, la mise en œuvre de cette dernière va s’effectuer sous le feu de multiples critiques qui remettent en cause ses fondamentaux. L’ère qui commence symboliquement avec la publication du SDAURIF en 1976 peut à la fois se lire comme celle de la mondialisation capitalistique de la planification métropolitaine (Amérique latine, Égypte, Asie du Sud-Est,…) et comme le moment d’affirmation de nouveaux paradigmes dont Paris est emblématique : retour sur la ville ancienne, réflexions sur les espaces verts et le maintien d’une agriculture et d’une sylviculture dans les grandes régions urbaines, limitation des grands programmes de logements. Si dans certains pays (Angleterre, Égypte, Japon), ce changement de paradigme débouche sur une crise de la planification, d’autres à l’instar de la France tentent de l’adapter aux nouveaux enjeux de société et de gouvernance.